Photographie : André Maynet
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Cette lumière qui sourdait de toi
que venait-elle dire au monde ?
Etait-ce un signal
que quelqu’un dût reconnaître ?
Etait-ce un sémaphore
qui disait, en clarté,
ce que ne pouvait proférer
le sombre mystère du corps ?
A te voir, là-bas,
dans l’ornière sidérée du jour,
comment n’aurais-je été
ému aux larmes ?
C’était si rare,
dans la dague tranchante du temps,
d’ouvrir son regard
sur quelque questionnement qui extirpât,
de la caravane ombreuse
et infinie des instants,
autre chose
qu’une affligeante banalité !
Car, vois-tu, La Tôt Venue
face à mon étonnement,
je te supplie de demeurer en toi,
dans cette immense réserve du dire
qui te préserve
de bien des déboires.
Sais-tu, depuis le socle où,
Déesse Antique,
tu trônes avec la grâce
de toute chose neuve, immédiate,
sais-tu ma condition
d’éternel rêveur ?
En es-tu la Douce Visitation
que nul ne pourrait interrompre
qu’au péril de sa vie ?
Car, sois assurée
que je tuerais volontiers,
sans l’ombre du moindre remords,
l’homme inconscient, le fou
qui te soustrairaient à mon regard.
Le regard.
Oui, qu’aurais-je d’autre
à t’offrir que ceci,
l’espace d’une attentive
contemplation
et puis me retirer
dans mon étroit
continent de silence ?
Le précieux de ta présence
s’accroît de ta pure diaphanéité,
- tu es si transparente à toi-même ! -,
s’augmente de cette vibrante illusion
qui grésille tel l’insecte
contre le verre de la lampe.
Ô, dis-moi,
fière et lointaine Eurydice,
que tu ne retourneras nullement
dans le soufre brûlant du Tartare,
assure-moi que l’Enfer ne sera le lieu
de ton futur séjour.
Depuis ta découverte,
sur le bord du jour,
mon âme chamboulée
n’a pu trouver nul repos.
Comment pourrais-je même
en envisager le don, plus tard,
si mon existence devait ressembler
à celle du bagnard condamné à ne voir
que les parois blanches de sa geôle ?
Je te parle, comme je parlerais
à l’eau de la source,
à l’aile cotonneuse du nuage,
à l’arc-en-ciel traversé de blancheur.
Existerait-il la possibilité
d’une autre alternative ?
Là, à demi allongé
sur ma couche d’effroi
et de désolation,
je ne demeure en vie
qu’à croire en ta réalité.
Non à ton amour.
Pourrais-tu être seulement amoureuse
d’une esquisse aussi peu assurée de sa forme
que je ne le suis de ma propre venue à l’être
dans cet étroit corridor de l’existence
qui garrote mon cou
et jette ses lianes invasives
tout autour de mes projets
sans qu’aucun, jamais,
ne trouve la voie de sa réalisation ?
Rien ne m’assure
d’être vraiment.
Peut-être suis-je mort,
ne parlant que de cet étrange outre-tombe
d’où ne s’élèvent que des voix sépulcrales
et les dernières exhalaisons
de destins qui furent
puis, un jour, rayés de la carte,
s’absentèrent à jamais.
Crois-tu que, depuis le néant
qui nous échoit à tous
un jour ou l’autre,
crois-tu qu’un brin de conscience
nous soit offert par l’Absolu
afin que nous puissions estimer
le fardeau de notre vie,
porter un jugement sur nos actes anciens,
peser à l’aune de quelque trébuchet
la valeur de notre éthique,
la validité de nos engagements,
la puissance et l’authenticité
de notre amour ?
Crois-tu en ceci
qui nous sauverait
de bien des désespoirs,
notre vie après la mort
et le lien, encore,
avec l’arbre roux de l’automne,
le chant des cigales,
le hululement de la Lune
dans l’esseulement du ciel ?
Crois-tu à tout ceci ?
Mais je te vois détourner la tête.
Mais je vois le pli noir de tes cheveux
qu’obombre le sublime clair-obscur,
mais je vois ton visage
que je devine blafard
- es-tu un fantôme ? -,
je vois le masque de mime
qui recouvre ton épiphanie,
est-ce pour dire
la grande fantasmagorie
de notre condition,
est-ce pour dire la difficile vérité,
l’annuler peut-être,
elle est si difficile à atteindre,
se dissimulant, toujours,
sous des strates infinies de voiles ?
Mais comment donc l’écheveau
de ma lucidité
ne pourrait-il être torturé ?
Je vois ses fils de chanvre
filer là-bas, au loin,
comme si penser dans l’exactitude
était si inimaginable
que rien, désormais,
ne pouvait avoir lieu
que cette épuisante fuite en avant,
que cette perte de soi
aux confins du monde.
Oui, notre vie est bien fragile
que frôle à chaque instant
la fable mortelle de l’après-vie.
Je ne sais, vraiment,
qui je suis.
Si je suis.
Être du songe
et du fantasme,
poète sans inspiration,
chercheur d’or sans or,
magicien sans formule magique,
derviche tourneur sans robe blanche,
sans vertige d’une éternelle giration.
Non, je ne sais qui je suis,
alors comment pourrais-je
te connaître,
toi la mystérieuse qui,
tel Diogène le Cynique,
déambules en plein jour,
arborant cette étonnante lanterne
qui illumine ton flanc ?
Toi aussi, cherches-tu l’homme
tel le débauché de Sinope ?
Et ce qu’il cherchait était chose si rare :
l’homme vrai, bon et sage !
Vois-tu, l’on ne cherche jamais
la perle rare
que parce qu’elle est rare.
Rare, précieuse, tu l’es aussi.
Telle la gemme qui brille
au creux du non-savoir.
Demeure sur la lisière
de mon songe.
Ainsi pourrais-je dire,
si le réveil se présente un jour :
« J’ai trouvé la femme ! »,
« J’ai trouvé la femme ! »