Photographie : Blanc-Seing
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C’était un matin hésitant,
à peine sorti des lèvres
de la nuit.
Juste une lumière
qui effleurait les arbres,
soulignait leur contour.
Ils étaient des manières
d’oriflammes discrètes
dont nul vent, encore,
n’agitait les frondaisons.
Tout était dans l’immobile.
Tout était dans le recueil.
Dans l’attente souple de soi.
Tôt levé, je savais que
cette source matinale
serait belle,
qu’elle viendrait à moi
avec l’élégance
de ce qui est originel,
ne s’ouvre que lentement
afin qu’une grâce soit possible,
qui dise la nature
en sa plus exacte présence.
C’est une joie sans pareille
d’être seul au monde,
ou bien d’éprouver le sentiment,
de se destiner à cette nature
si disponible aux yeux
de ceux qui, avec elle,
sont en affinité,
ne demandent que la rencontre,
le frémissement de la peau
à la pointe de l’heure.
Tout est si attentif, ici,
sur les collines rouges
que parcourt une végétation rare.
Seulement une respiration verte,
un élan de chlorophylle,
une palpitation parmi
la dureté invincible
du minéral.
Souvent, j’étais venu
à la levée du jour.
Parfois regardant la tache rousse
d’un renard faisant sa toilette.
Parfois surprenant
le vol rapide d’une huppe.
Parfois devinant
les brillantes écailles du lézard
hibernant dans son trou.
Eh bien, vois-tu,
ces minces existences
plutôt entr’aperçues qu’éprouvées,
elles venaient à moi simplement
pour apporter une preuve de vie,
la mienne qui, parfois,
ne se donnait
qu’avec parcimonie
ou bien dans le vertige
de l’angoisse.
As-tu déjà éprouvé,
Toi-la-Passante-du-Lointain,
ce creux au plein de la poitrine,
ce creux qui fore son trou et,
bientôt, il ne demeure qu’un vide
cerné d’ombre
et c’est comme si le monde,
soudain, s’était effacé ?
Toujours j’ai été attiré,
depuis mon enfance, je crois,
par cette inconsistance
de ce qui, en vérité,
ne saurait trouver de nom
car on ne nomme nullement
le rien,
on ne brode
quelque poésie
sur l’immense,
l’infini,
l’absolu
qui appellent
par-delà les jours
mais toujours se dérobent
dans l’instant où,
présomptueux,
l’on voudrait en rejoindre
les portes de brume.
Sais-tu combien le sort
de l’homme est précaire,
lui qui, toujours, se pense
comme le garant
du « devisement du monde ».
Faut-il être fat pour se croire
plus grand que l’océan,
plus fort que le souffle
de l’harmattan,
plus puissant
que l’amour
lorsqu’il plante
son dard de feu
dans le derme incendié
de la passion !
Nous, les êtres-de-passage,
nous prenons le plus souvent
pour d’immortelles idoles de pierre
que nul temps ne saurait user,
dont nul orage ne pourrait
décider du foudroiement.
Homme, mon semblable,
incompressible marge d’erreur,
vanité à fleur de peau,
homme d’incomplétude,
que ne te décides-tu enfin
à prendre la mesure de ton être,
il est si friable parmi les confluences
et les contrariétés des événements,
ils nous assaillent continûment
et, pourtant, toujours faisons-nous
comme s’il s’agissait
d’aventures adventices
pareils à ces filets d’eau
que la terre boit du plein
de ses fissures.
Au hasard de mes
matinaux vagabondages,
Toi-la-Passante-du-Lointain,
dont j’aperçois souvent
la course irisée
tout en haut de la colline,
sous la lame libre du ciel,
quel est donc ton degré de réalité ?
Est-ce la force de mon regard
qui abrase ta silhouette
et te disperse,
flocon de nuage
parmi le lac immobile
des incertitudes,
la toison blanche des rêves,
l’effeuillement d’un
« vierge, vivace
et bel aujourd’hui »
que tout poète chante
avec l’inquiétude mallarméenne
rivée au fond de la conscience ?
Vois-tu combien
mes interrogations
sont inopportunes,
lissées d’inconsistance,
forgées au coin d’un lyrisme
qui les conduit dans l’étroitesse
d’une fondrière.
Tu ne le sais et comment donc
pourrais-tu en être alertée,
celle que tu es,
qui toujours échappe
à mon insatiable curiosité,
se distrait constamment
de mon désir,
voici que je t’ai attribué
la forme de Cette Plante
qui croît sur sa dalle de rocher
sans se soucier autrement
des problèmes du monde.
Telle la rose d’Angelus Silesius,
qui déploie son mystère
sans cause ni raison,
existant parce qu’elle existe
et ne s’alarmant de rien,
toi donc, que j’observe
chaque jour qui passe,
osant parfois palper
ta douceur de laine,
en apprécier l’ombre portée,
que me dit-elle de toi
cette ombre, ce glissement,
dont la parole demeurera
silencieuse,
dont le corps sera
cette brillante comète
au large de mes songes
les plus fous,
les plus dispersés ?
Me répondrais-tu
et du deviendrais,
soudain,
cette Fille-ci,
cette Femme-là
à la chair dolente,
aux soucis fichés
dans le repli de l’âme,
cette Présence qui,
sans doute,
s’offusquerait de paraître
et revêtirait d’ineffaçables
prédicats.
A tout prendre, je crois que
je te préfère
en ta consistance d’éther,
éloignée dans l’inintelligible
résille du jour,
cette nécessaire obscurité dont,
longtemps encore,
il me plaira de projeter
sur ton énigmatique venue
la roue polychrome
d’une possible volupté.
Oui, l’ombre est plus précieuse
que la plante qui lui a donné
sa silencieuse forme.
Tout reste à connaître,
rien n’est dit de l’indicible.
Tu es espace entre deux mots.
Tu es hiéroglyphe.
Qui jamais
Ne déclôt son être.
JAMAIS !