« Entre sel et ciel… Aigues-Mortes… »
Photographie : Hervé Baïs
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Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
Comment dire l’Infini,
comment dire l’Immensité
lorsque nous, les Hommes
à la taille de fourmi,
nous éclipsons à même
notre propre insignifiance ?
Il faudrait être
bien présomptueux
pour nous croire
le peuple élu de la Planète,
il y a tant de merveilles
partout présentes,
elles nous rappellent
à notre devoir
de modestie.
Si nous étions
une espèce fluviale,
alors notre corps serait
pareil à celui des anguilles,
ces sortes de lianes noires
qui semblent venir
en droite ligne
du creux le plus dissimulé
des abysses.
Si nous étions une espèce
relevant de la flamme,
alors nous serions
pareils aux phénix,
ces oiseaux de feu
renaissant de leurs cendres.
Si nous étions une espèce
relevant du ciel,
alors nous serions
ces prodigieux nuages,
ces voiles de vapeur
qui n’ont ni lieu,
ni consistance.
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
Mais ce que nous sommes
jusque dans la sombre
évidence de notre chair,
des êtres de la terre
qui nous déclinons
sous les prédicats
de la glaise,
de l’humus,
de l’argile,
enfin de toute matière
dense, opaque, refermée
depuis toujours sur
son étonnant mystère.
L’eau, le feu, l’air
se laissent approcher
au gré de leur constante
visibilité, de leur
transparence.
Une eau dévoile,
grain par grain,
son chapelet de gouttes.
Un feu laisse jaillir en son sein
le carrousel des flammes,
une pluie de fines étincelles.
Un air nous montre
ses empilements de strates,
la multiplicité des vents
qui en balisent l’existence.
Mais la terre réserve en elle
tous ses minéraux secrets,
ses gemmes brillant
dans sa nuit originelle,
ses intimes tellurismes
qui sont les traits
les plus vifs
de son essence.
Et les Hommes,
les Femmes,
là-dedans,
parmi la complexité
du Monde, où sont-ils ?
Sans doute sont-ils
ces Turquoises vertes,
ces Hématites noires,
Ces Jaspes rouges,
ces joyaux qui ne
se dissimulent qu’à mieux
dévoiler leur nature
si étonnante, si singulière.
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
L’eau est étale,
noire et grise,
avec des reflets d’argent.
Elle dit le calme du lieu,
mais aussi sa profondeur,
l’essentiel de qui elle est,
le miroir dans lequel
se réverbère la beauté
ici infiniment présente.
Le ciel est pur don de soi,
ouverture sans fin,
appel de l’illimité,
creuset de l’impartageable,
assomption vers de
hautes altitudes,
là où rien ne signifie plus
que sous le régime
éthéré des idéalités.
Il est le signe de l’Infini
sous lequel sont couchés
les Hommes pliés sur
leurs nattes de sommeil
Nul bruit alentour
qui dirait le passage
de l’oiseau,
le glissement du train
sur ses rails,
l’écho assourdi d’une
barque de pêche.
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
Tout demeure en soi
jusqu’à la limite
d’un effacement,
d’une disparition.
Alors les Hommes,
les Hommes de la Terre,
les Hommes rivés à leur sol,
où sont-ils, alors
que nul mouvement
n’en trahit la présence ?
Leur étrange absence est
plus forte que leur appel.
Leur invisibilité est le signe
le plus sûr que nous voudrions
les rencontrer, les connaître,
entrer dans l’immémorial
de leur légende.
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
Est-ce le silence des eaux
qui les soustrait à notre vue ?
Est-ce la Mort qui nous
prive de les apercevoir ?
La Mort des Hommes
qui est aussi la nôtre,
nous qui regardons,
dont le regard est vide.
L’immense voyage du ciel,
sa fuite vers
d’illisibles destinations.
La stagnation de l’eau comme
si plus rien au Monde
ne faisait sens.
Å la pliure des deux,
sur la ligne basse
de l’horizon,
les remparts et,
derrière les remparts,
les maisons
où l’on vit,
où l’on aime,
où l’on meurt.
Reflets des murs d’enceinte
sur la sérénité de l’onde.
Reflets des tours sur la
quiétude de l’onde.
Sont-ils des Vivants
ceux qui s’abritent derrière
ces épaisses murailles ?
En leur île de pierres,
éprouvent-ils des sensations,
des émotions identiques
aux nôtres ?
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
Cette Citadelle est tissée
du songe le plus troublant.
Elle flotte dans l’espace,
entre marais et lagunes,
entre fins cirrus
et mare liquidienne
qui paraissent venir
du plus loin du temps.
Verrions-nous sortir,
de cette forteresse
de pierres,
un Humain, un seul,
et alors nous croirions
au miracle,
tellement ces Mortes eaux
nous inclinent aux belles
ombres de la Mythologie.
Cette eau ténébreuse,
n’est-elle
Le Styx en personne
avec sa charge
de haine éternelle ?
Cette eau ténébreuse,
n’est-elle la personnification
du Phlégéthon, de sa
rivière de flammes ?
Cette eau ténébreuse,
n’est-elle l’image du Cocyte
dont les lamentations
viendraient jusqu’à nous ?
Cette eau ténébreuse,
n’est-elle le ruisseau
du confondant oubli
sécrété par Léthé ?
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux
Tous ces fleuves
qui étaient supposés
converger en un
vaste marais
dans le monde souterrain,
sont-ils de pures divagations
de notre imaginaire
ou bien ont-ils quelque
élément de réalité, ici,
sous le ciel
d’Aigues-Mortes,
près des eaux
d’Aigues-Mortes,
tout contre les remparts
d’Aigues-Mortes ?
Cette ligne de lumière
des remparts
vient nous sauver
d’un onirisme
frappé de tragique.
En elle, tout ce
qui peut s’éclairer,
à la manière d’un fanal
au milieu de la nuit.
Aigues-Mortes
Mortes-Eaux