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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 08:47
Quelle attente vous saisit donc ?

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

   L’attente est toujours un mystère. On est là au centre de Soi. On est là, vacant, immergé au plein de sa solitude. L’attente n’a ni début, ni fin, ni contours. L’attente est telle qu’en elle-même son essence l’a disposée. L’attente ne vit que d’être suspendue entre deux vides, entre deux temps, entre deux êtres qui, peut-être, jamais ne se rencontreront. L’attente est en-deçà, au-delà de quelque prédicat que ce soit. L’attente est invisible qui s’alimente à sa propre vacuité. L’attente attendrait-elle quelque chose ou quelqu’un, serait-elle pourvue de quelque finalité et alors elle s’écroulerait sans délai sur ses propres fondements. L’attente justement considérée ne pourrait se référer qu’à l’ennui, lequel serait son miroir vide, son miroir sans tain.

 

L’attente est hors du temps.

Temporelle elle ne serait plus attente

mais événement sur le point de paraître.

 

L’attente est hors de l’espace.

Serait-elle située elle ne serait plus attente

mais lieu inséré dans le Monde.

 

L’attente penserait-elle,

elle ne serait plus attente

mais déjà méditation sur l’existence

et peut-être projet.

 

L’attente en tant qu’attente,

voici sa seule vérité.

L’attente est un Absolu,

c’est-à-dire un Rien.

 

   Attendre, en quelque manière, c’est s’attendre Soi-même, sur le point d’esquisser la fragilité de son être, son évanescence, sa transparence. Attendre est un cristal qui vibre en soi, pour soi, s’abreuvant à sa propre source. Une façon de cercle ontologique répétant jusqu’à l’absurde ce refrain identique à la pluie de gouttes dans l’abîme sans fond d’un aven :

 

ATTENDRE

ATTENDRE

ATTENDRE

 

   Vous qui attendez, c’est vous qui avez instillé en moi le venin de l’Attente. Souvent ai-je attendu :

 

le passage du Facteur

et la missive de l’Amante ;

l’arrivée du livre de poésie

et ses mille joies secrètes ;

le passage de l’Ami

et le verre de l’amitié ;

la venue du temps

et son lot de surprises ;

la découverte à nouveau

du blanc village tapi

sur son île de rochers tout contre

le doux flanc de la mer.

 

   Alors, l’Attente me paraissait être un don du ciel, un ineffable cadeau, une surprise et, tel le jeune enfant, j’en dépliais le papier froissé avec le cœur battant et les mains moites. Mais voici que ma vue, soudain, s’est obscurcie, que la belle lumière d’aube s’est métamorphosée en un crépuscule terne et sans avenir.  Vous qui attendez, m’avez révélé l’Attente en sa plus grande profondeur, celle de l’abysse si vous préférez. Sans doute mes yeux étaient-ils fermés sur la vérité. Toujours, pour moi, l’Attente se teintait des belles moirures de l’espoir. Et me voici soudain dépossédé de ce qui pouvait s’inscrire en toute Attente et donner sens à mes actes, à mes mouvements, donner à l’air que je respirais, de douces fragrances, communiquer à mon âme des ouvertures au gré desquelles elle trouverait sa propre liberté.

  

   Mais, bien plutôt que de parler dans le vide, dont je fais maintenant la cruelle épreuve, laissez-moi tracer les traits de qui vous êtes, du moins telle que vous m’apparaissez. D’abord, dans un premier geste du regard, c’est votre Noire Effigie qui vient à moi sans délai. Vous connaissez le tableau de l’admirable Van Gogh « Champ de blé aux corbeaux », initialement on ne voit que le blond lumineux de la paille, le bleu pervenche du ciel, mais bientôt, c’est le vol erratique du peuple des corbeaux qui envahit votre champ de vision, y traçant ses dessins les plus funestes. Vous êtes possédé par le noir, votre corps est enduit de la lourde poix du deuil et la Mort rôde alentour à laquelle vous n’échapperez point. Vous observant, je disparais en vous et ne connais plus que le voile persistant de votre nuit. Je suis envahi par l’angoisse à tel point que je ne m’appartiens plus et que je pourrais disparaître sur-le-champ au simple décret de votre farouche volonté.

    

   J’étais vivant, plein d’allant et me voici reconduit dans de sombres corridors dont je crains ne jamais pouvoir ressortir. Happé, je suis happé par un si violent maelstrom que je n’en ai connu de telle sorte dans les pires moments de mon existence. Voici que je ne suis même plus en Attente de qui-je-suis, fétu de paille ballotté par les flots tumultueux d’un océan en furie. Je ne sais si vous m’apercevez vous observant. Dans l’affirmative, possiblement me croyez-vous atteint d’une pure folie. Mais cette Folie Majuscule, c’est bien vous qui me l’avez inoculée. Avant même de vous connaître, mon voyage terrestre, loin de constituer un « long fleuve tranquille », se déroulait sous les meilleurs auspices qui se pussent concevoir. Certaines rencontres sont mortelles, c’est bien le grain de la démence que vous avez semé en moi. Je le sens doucement germiner, faire son cruel métabolisme dans le silence étonné de ma chair.

  

   Mais, loin de me réduire à la mutité - ce serait la pire des choses -, je dois poursuivre ma narration sur vous. Votre forme noire, longiligne, pareille à celle d’un insecte, peut-être l’anatomie d’une Mante Religieuse, est campée sur une chaise étroite, la cambrure de vos reins ne s’appuyant nullement au dossier, tête uniformément couleur de suie, visage de mastic, anguleux, pareil à celui des momies pliées dans leurs bandelettes de tissu embaumé, votre main droite supportant votre menton,

 

vos yeux : des charbons,

votre bouche : de la lourde ébène,

votre abdomen : celui d’un scarabée ;

vos jambes : deux lianes noires

emboîtées dans de lourds

escarpins aux talons massifs.

 

   Sur la table, devant vous, une coupe de glace plantée d’un chalumeau, puis, à l’extrémité de votre réel, un vide nécessaire, semble-t-il. Cependant la possible silhouette de quelque Individu Anonyme qui serait attablé en vis-à-vis, mais en retrait, comme dans une inquiétante réserve. Voyez-vous, cette Figure Tronquée me questionne au plus haut point. Comme si j’en connaissais le contenu. Comme un air de déjà vu, déjà senti, déjà éprouvé. Un Quidam en quelque sorte qui aurait hanté mes songes, traversé mon imaginaire, peut-être même habité mon corps par un étrange phénomène de transsubstantiation. Un Moi qui serait ce qu’il est sans être vraiment Moi.

  

   Oui, subitement je réalise, comme à la suite de l’illumination d’un champ sous la lueur d’orage, je réalise que cet Être mystérieux et invisible n'est autre que celui-que-je-suis dont vous avez annexé sans vergogne le naïf territoire, dont vous avez amputé la liberté au motif que votre cruel désir était de me convoquer dans ce noir qui est votre marque distinctive, votre essence pour parler vrai. D’Observateur que j’étais, me voici Observé jusqu’en ses moindres coutures. Voyez-vous, le phénomène de la vision est merveilleux lorsqu’il vous donne prise sur les choses, vous en rend Maître. Combien la situation inverse est éprouvante. Me fixant pour l’éternité en celui-que-je-suis-devenu, une banlieue du Néant, vous avez fait de moi votre Esclave. Brutale réalité que celle, hégélienne, de la « Dialectique du Maître et de l’Esclave ». Oui, je sais, le retournement final, l’interchangeable du Dominant et du Dominé. Mais ceci n’est jamais qu’un tour de passe-passe, qu’une magie conceptuelle qui modèle à son gré l’argile humaine, tantôt la pétrit selon sa gloire, tantôt selon son dénuement. 

  

   J’ai déjà beaucoup mis en scène, dans mes nouvelles imaginaires, ces étonnantes Veuves Noires, ces figures mythologiques de l’ordre de l’incarnation du Mal qui ne rêvaient que de ligaturer le Bien, de le phagocyter afin que, vaincu, ne puisse plus régner sur la Terre que l’aile noire de l’affliction, du chagrin, de la douleur. A la manière des « Penseurs tragiques » je me suis créé un Monde de désolation, lequel, sans doute, ne pouvait fonctionner qu’à titre d’antiphrase,

évoquant le Négatif afin d’en tirer le Positif,

appelant le Malheur afin d’en extraire la Joie,

nommant la Peine afin d’en faire jaillir la Félicité.

  

   Comprendrez-vous alors que toute Attente est le fléau de la balance qui s’immobilise entre des contraires, qui gît entre deux discordances, entre deux irréductibles, tellement nous sommes Tous et Toutes des êtres de paradoxe, de curieux Funambules tendus sur le fil qui va de la Vie à la Mort et n’attend jamais que de connaître le lieu et le temps de son effectuation.

 

En ceci nous sommes égaux.

Seulement en ceci !

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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