Une allégorie définitive.
Œuvre : Arek Szwed.
Ce personnage ne se contente pas d'être étrange et "archéologique", mais manifeste une évidente inclination à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Car, sous son air patelin et sa bonhommie compulsive, cet Étrange ne nous convie pas moins à nous enseigner une leçon au moins existentielle, sinon métaphysique. Il n'est que de chercher, sous les traits de l'apparente simplicité, ce qui s'y dissimule de compréhension et s'y annonce à notre insu. Cet Étrange donc, qui d'un air de rien semble regarder le ciel en bâillant aux corneilles, ne laissera de nous interroger. Même un enfant serait averti, soit de quelque supercherie dont son accoutrement serait la projection symbolique, soit d'une disposition à détourner l'attention des badauds afin de commettre quelque forfait. On n'est pas vêtu de cette manière hautement anachronique et affabulatoire à seulement s'illustrer dans les rues à titre de Passant engagé dans la seule quotidienneté. Il en est ainsi du sort des Voyageurs - voyons la valise sur laquelle il est assis - qu'ils portent souvent dans leurs bagages quelque message à destination de l'humain, ceci s'accomplirait-il sous la figure de la banalité. Il apparaît à la façon d'une manière d'Hermès, et possède donc une force d'élévation mais est aussi le protecteur des voleurs : sous l'apparence, une puissance cachée, laquelle peut aussi bien être maléfique que positive, selon l'humeur du moment et le projet qui l'anime.
Mais soyons enfants un moment, le temps de développer à son sujet un genre de fiction ou bien de plausible fable. Ce Voyageur qui semble faire halte après un long parcours nous émeut par son humble posture et sa simplicité, sinon sa truculence que parvient tout juste à dissimuler un faux air de sérieux. Tout droit venu de l'astéroïde B 612 du bon Saint-Exupéry, nous nous attendrions volontiers, qu'arrivé sur Terre, il se mette en quête de quelque volcan à ramoner et de baobabs à arracher afin que l'espace fût suffisant sur la Planète Bleue. Mais clôturons la référence au Petit Prince - le bonnet d'aviateur nous avait irrésistiblement entraîné dans son étrange galaxie - et faisons l'inventaire de ce curieux accoutrement et des ouvertures qu'il nous suggère. Une lecture symbolique des attitudes et des vêtures nous aidera à mieux cerner cet étonnant Personnage.
Le couvre-chef, comme son nom l'indique si bien, est l'attribut du pouvoir, de la domination. Les lunettes posées sur le front indiquent l'importance accordée au regard, donc à la conscience et, par conséquent, à l'exercice de la lucidité. La barbe chenue, largement étalée, fait penser à quelque Mathusalem qui n'aurait pas encore renoncé à se diriger vers ses 970 ans, cette longévité exceptionnelle se doublant nécessairement d'une infinie sagesse. L'ample manteau rouge - sans doute usé par un très long usage témoigne d'un rang simplement royal (sans doute les parures d'hermine se sont-elles dispensées de paraître encore après un si long périple). Le pantalon, de facture indigente, apparaît comme la parure des gens modestes. Impression que vient encore renforcer une appartenance à la glèbe dont les gros souliers de paysan sont l'évidente effigie. La valise, quant à elle dit le Nomade qui vient de faire halte. La trompette en forme de cor, attribut ordinaire de l'ange, réalise l'association du ciel et de la terre. Voilà donc pour les symboles latents dont ce Personnage est porteur, comme, autrefois, l'homme-sandwich exhibait une réclame dont les pauvres hères, parfois, n'avaient même pas conscience, tellement leur condition pliait sous la charge dont ils étaient lestés.
Voici donc les symboles exposés devant nous. Ceux du pouvoir, de la lucidité, de la sagesse, de la royauté, de la modestie, de l'esprit de médiation. Et, maintenant, que pouvons-nous en faire qui puisse éclairer notre lanterne ? Car, à laisser ces symboles vivre leur propre existence autarcique, nous demeurons dans l'ignorance de ce qu'ils auraient à nous dire si, d'aventure, la fantaisie nous prenait de les faire jouer entre eux, comme les mots s'assemblent à l'intérieur de la phrase en vue de signifier. Autrement dit, passons du simple lexique symbolique à la sémantique de l'allégorie puisque cette dernière, l'allégorie, n'est jamais qu'un assemblage de symboles censés nous délivrer un sens particulier, sinon nous indiquer une règle de vie. Donc cet Étrange, ce presque Étranger, dont nous ne pensions pouvoir établir qu'un portrait par défaut, voici qu'enfin il se dispose à nous parler le langage existentiel dont nous pensions qu'il s'absentait. Et ce genre de parabole sous-jacente à l'attitude pateline, voici vers quoi elle nous fait signe :
Tout chemin s'érigeant en destin ne saurait oublier quelques règles fondamentales ressortissant aussi bien à une esthétique qu'à une éthique. Hommes-debout, nous souhaitons nous parer des vêtures de la royauté (le manteau) afin que notre silhouette puisse rayonner bien au-delà de notre propre esquisse. A cette fin nous disposons de l'attribut du pouvoir sous lequel nous abritons notre front désirant (le couvre-chef). Cependant une telle ouverture au monde ne saurait nous exonérer, ni d'une nécessaire sagesse (la barbe), ni d'une lucidité (les lunettes) qui en est l'exact corollaire. Notre verticalité nous assure d'une transcendance, laquelle ne doit en rien nous faire oublier l'immanence (le pantalon) dont nous provenons. Ainsi notre regard ne doit-il jamais prendre congé de nos assises modestes (les souliers) que la glèbe macule encore de sa lourde signification. Tout cheminement nécessite des haltes afin qu'une vérité (la trompette céleste) puisse surgir du sillage que nous traçons, parfois dans une manière d'égarement ou bien, seulement, d'insouciance. L'essentiel consiste à savoir que nous sommes en chemin (la valise) et que ce chemin, s'il doit nécessairement s'accomplir afin qu'un but soit atteint, ne doit jamais occulter l'origine.
Voilà, en termes allégoriques, ce que ce sympathique Personnage de céramique vient nous annoncer sous les auspices d'un comportement débonnaire. Ainsi sont les choses qui nous parlent constamment depuis leur minuscule empan. La fourmi portant sa brindille tient un conciliabule que, souvent, l'éléphant pourrait lui envier depuis sa forteresse grise. Rien ne s'ouvre qu'à ceux qui interrogent. Merci à cet Étrange de nous avoir convié au voyage le temps d'une singulière fantaisie !