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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 12:50
Au temps de la Traction.

Citroën Traction Avant 15-Six D.

Source : Wikipédia.

Que reste-t-il de ce temps-là, sinon quelques images vieillies, pareilles au flou perçu derrière la vitre d’un chromo ancien ? C’est la nature des choses que de disparaître sous de nouvelles apparitions. Ainsi, de sédimentation en sédimentation, tout périt et retourne à une manière de source fondatrice. Si irréel, si désuet de sortir ces vieux documents, comme on exhiberait à la face du monde un tesson archéologique dont on se gausserait comme de « sa première chemise », pour rimer avec une tradition proverbiale qui, elle aussi, frémit de ne plus figurer qu’au Musée Grévin de la langue. Et pourtant, est-ce si indécent de vouloir se pencher sur l’album de son enfance, d’en extraire un suc qui, encore, exsude sous l’émotion ?

C’est un matin de printemps avec cet air si particulier qui vibre tel un essaim d’abeilles. Un pur bonheur d’exister dans le jour qui monte. Ma mère et moi sommes sous la lampe cerclée d’un jonc de chrome. Nous prenons notre petit déjeuner. Ma mère un bol de café bouillant et son arôme fruité monte vers le plafond avec son cortège de douce vapeur. Pour moi, du « Phoscao », genre de « Banania » avant l’heure. Odeur si caractéristique, laquelle se mélange avec celle du pain grillé sur les cercles de fonte de la cuisinière. C’est si rassurant, cette présence à deux, autour d’un des premiers gestes du matin.

Mon père sort de la petite salle à manger, habillé d’un costume en flanelle grise. J’aime l’amplitude du vêtement, son port souple, l’aisance pareille à un art de vivre. A la main droite, il tient une paire de gants en cuir, ajourés sur le dessus, une maille de lin faite de cercles reliés par un fil plus foncé. Des gants pour la conduite. On ne lésinait pas, en ce temps d’exactitude, avec les usages vestimentaires. Armand nous salue et pousse la porte qui communique avec le minuscule jardin. J’entends le ronronnement du moteur, son bruit de gros bourdon. Pour moi il est indissolublement lié à l’image de l’homme, celui qui va à la ville pour y faire son métier et ne revient que le soir, la tâche accomplie avec un sourire de satisfaction. La Traction est garée tout près de grosses planches de chêne qui sèchent à l’air libre. Ce sont celles que le charron d’en face utilisera pour fabriquer les ridelles des tombereaux et les timons des charrettes. Sans même quitter ma place, derrière mon bol fumant, j’imagine tous les gestes que fait mon père. Sa main gauche posée sur le large volant en bakélite noire, le compteur où, bientôt, se déplacera la flèche de l’aiguille, sa main droite se saisissant de la boule qui termine le levier de vitesse. La voiture s’éloigne lentement en direction de Neuville. Là est le garage avec ses fascinantes voitures. Mon amour de l’automobile est né là, derrières les vitres irrégulières de la cuisine, avec le ronflement du fourneau, l’odeur mêlée du chocolat et du café, dans la promesse de l’heure. Un jour, peut-être, dans le réel et non plus dans les mailles floues du songe, je serrerai moi aussi, dans ma main gantée, la boule du levier de vitesse, dans l’autre le grand volant qui fait les beaux voyages. Peut-être !

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