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25 février 2015 3 25 /02 /février /2015 15:49
Depuis la falaise.

Le village de mon enfance est bâti sur une falaise blanche qui domine le cours paisible de la Leyre. Sans doute est-ce là sa partie la plus intime en même temps que sa vraie nature. Être simplement cette pointe avancée d’une meute de maisons serrées sur un plateau qui regarde le levant. La route départementale qui traverse cette paisible bourgade - les passants n’en connaissent que cette vue édulcorée -, n’en est que la visible anecdote à défaut d’en exposer son âme. C’est toujours cette perspective d’un lieu à l’écart du monde, un rien bucolique, discret, caché aux regards, qui a bercé les rives de mon enfance et de mon adolescence.

C’est un matin comme les autres avec ce qu’il faut de brume et de soleil blanc pour que l’aventure soit au rendez-vous. Depuis des temps immémoriaux, sans doute, la falaise a une histoire, sinon une légende. Et les légendes résonnent d’étrange manière dans un cœur romantique, le mien ; dans une tête naïve, celle de Touguy, un camarade de mon âge. Nous descendons le sentier escarpé qui serpente entre les buissons semés de mauve des prunelliers. Bientôt nous arrivons sur une plate-forme qu’occupe le rectangle d’un ancien lavoir envahi de mousse et de lentilles d’eau. Un jardin, partiellement entretenu, clôture un spectacle manifestement réduit à la portion congrue.

Mais ce n’est pas cela, cette manière de désolation, de décadence des « travaux et des jours » que nous sommes venus voir. Ce qui nous a attiré, c’est cette sorte de lèvre qui s’ouvre dans la roche, de faille presque imperceptible, tellement elle se fond dans la paroi. Et, de l’autre rive de la Leyre, elle se cache au regard derrière la herse dense des peupliers. Endroit idéal pour disparaître, se fondre dans une nature généreuse et accueillante. C’est cela qu’ont dû penser les hommes du village, les maquisards qui y ont trouvé refuge pendant la guerre alors que nous naissions à peine. L’entrée est mince et il faut légèrement se contorsionner pour franchir ce verrou. La lampe de poche balaie une caverne somme toute étroite, une pente de terre s’y achemine vers des profondeurs que nous gardons bien d’inventorier. Par peur, d’abord ; pour conserver, ensuite, un attrait à ce lieu empreint de mystère. Nous dérangeons quelques chauves-souris qui battent des ailes dans un bruit de feuilles mortes. L’air est humide et sent le moisi, le lichen. Heureux de ressortir à l’air libre dans le jour qui chante. Jamais nous ne reviendrons, Touguy et moi, dans la faille secrète. A partir de ce jour-là, nous avons su que le songe était un bien meilleur allié que le réel, surtout lorsqu’il prenait l’aspect décevant de la banalité. Je crois que nous avions été déçus de ne rien trouver qui eût pu servir de trophée à ramener aux copains de l’école. Dorénavant, nos luttes épiques et guerrières, nous leur donnerions corps dans les pages des livres. Là était le domaine ouvert de l’imaginaire. Peut-être notre amour de la lecture avait-il pris naissance dans ce manque à être de ce lieu inhospitalier. Comment savoir ?

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