Photographie : Gilles Molinier.
Etude 2015.
Cette belle photographie sous les yeux, nous pourrions disserter longuement sur sa similitude avec les peintures de l’Ecole Flamande, dire le nécessaire clair-obscur, l’équilibre des formes, la densité de la matière, la nébulosité de l’air, la grâce subtile de cette lumière cendrée, l’enchevêtrement harmonieux des massifs, manière de jardin à l’anglaise qu’aurait ordonné la rigueur d’une vision géométrique. Tout cela nous pourrions le dire et encore nous n’aurions rien dit des arbres en leur essence. Car, si essence il y a, quelque chose anime ce végétal de l’intérieur, comme le feu produit l’éclair et s’y consume le temps d’une brève vision.
Mais quel est donc ce principe qui produit les bourgeons, fait croître l’arbre, le porte au-devant de nos yeux éblouis, en étale les ramures, l’élève dans l’éther dans le registre majestueux du pachydermique baobab ou bien dans la lutte enflammée du cyprès ? Combien sont précieuses ces images tutélaires que nous portons en nous comme une faveur. En nous, toujours le bourgeon, la larme de résine, le trajet de la sève et les racines, les sublimes racines qui disent en hiéroglyphes métaphysiques notre appartenance au sol, notre adhésion à la terre fondatrice. A simplement évoquer l’arbre et aussitôt surgit l’arche magique d’une géopoétique. Nous voyons le cèdre du Liban, ses branches basses, ses longues aiguilles couleur de mousse éteinte. Nous voyons les immenses séquoias de Californie plonger dans l’eau grise du ciel, loin, là-bas où ne sont plus les hommes. Nous voyons les vénérables oliviers de Crète, leurs troncs séculaires semés de tubercules, leurs rhizomes apparents, leurs cheveux fous que traverse le Meltem. Nous voyons tout cela et encore bien davantage et nous fermons les yeux sur les beautés du monde et nous confions notre voyage à l’encre nocturne qui fait ses lacs alentour des demeures et le sommeil nous fauche comme un blé trop fragile que l’âge de raison n’aurait pas encore atteint.
Nous dormons, les poings fermés, en forme de spirale, la truffe humide comme de jeunes chiots. Au-dessus de nos têtes étonnées se balancent les meutes de la canopée, tanguent les fleuves verts des forêts équatoriales, vrombissent, tel un essaim d’abeilles, les grands eucalyptus où l’air joue sa multiple symphonie.
Que font les arbres lorsque nous dormons ? Un pandémonium ? Une ronde ? Une grande farandole pour dire aux hommes la beauté de la Terre baignée par les rayons de la Lune ? Les arbres dorment-ils ? Dansent-ils ? Cela, l’essence des arbres, leur nature intime, jamais nous ne la saurons. Seuls les arbres la savent. Les arbres à la grande sagesse !