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19 mars 2015 4 19 /03 /mars /2015 08:51
Oubliée dans la nasse du jour.

Cet automne était si beau dans ce pays des Corbières, austère et rocailleux. Que faire d’autre sur la pente des jours sinon se fondre dans la nature, regarder longuement les strates de la Montagne d’Alaric se perdre dans l’eau claire du ciel ? Ici, le temps était infini, teinté d’éternité géologique, à l’abri du regard cyclopéen des foules. Ici, l’espace s’ouvrait et demeurait suspendu, ne connaissant de limites qu’à l’aune de sa propre liberté. Loin étaient les villes, le désordre des déambulations, les métropoles de verre et de cristal, le désir de possession, l’envie qui faisait les yeux protubérants et les sexes érectiles. Ici était le lieu d’un possible ressourcement, d’un retour de soi à soi.

Errer longuement sur les collines semées de vent et de touffes hirsutes de serpolet, voir la laine blanche des moutons faire sa boule indistincte sur la ligne d’horizon, monter tout en haut d’une montagne, là où se découpait, sur la plaque livide des nuages, un hiéroglyphe christique en attente d’une possible réincarnation. Tout paraissait si loin et les teintes étaient parfois tellement perdues, irréelles, à la limite de celle d’un aquarium et l’on aurait cru à la mise en scène de quelque Golgotha. Une manière de sentiment religieux dans son acception de « se relier à », sans qu’aucune liturgie en fixât les irréfragables règles. Seulement une plénitude et la certitude que rien ne pouvait entraver la marche heureuse des jours. Les villages étaient loin où les hommes travaillaient à construire des enclos pour les bêtes, à presser les grappes d’où s’écoulait un sang pourpre pareil à une métaphore du drame humain. Un jour il y aurait une dernière vendange, des doigts noueux crispés sur l’éclair d’une paire de ciseaux, une façon de dire l’irrémissible pente du destin, le dernier mot, la dernière déglutition.

Oui, ce paysage inclinait aux pensées métaphysiques, mais non dans la douleur ou bien le tragique, uniquement dans la clairvoyance des idées. Tellement de bonheur simple d’exister au rythme de sa respiration, à la cadence souple de son pas, au spectacle immédiat de la touffe de genêt, du verger d’oliviers dans lequel le vent faisait sa tache vert-de-gris. Tellement d’ivresse contenue dans le pli de l’ombilic, cette amande regardée par sa propre origine.

Ce pays, il fallait en fixer la beauté, aller dans le village des hommes, photographier la porte ancienne, les rues pavées de gris, le mûrier aux larges feuilles, la maison pareille à un jeu de poupée, le porche donnant accès au clair obscur qui veillait au vieillissement du vin dans les foudres de chêne. Cela, il le fallait, seulement au regard de cette « oublieuse mémoire » chantée par le poète. Tout un après-midi à inventorier les pépites, les secrets, les recoins où dormait le sens, qu’il fallait décrypter. Puis le retour dans la chambre noire, puis les images magiques surgissant du révélateur, grain après gain, dans une fête de la lumière. C’est là, dans la clarté avaricieuse de la lampe inactinique que j’ai découvert votre présence. A la limite extrême de l’image, comme une fuite dans la trame dense du temps. Chemisier blanc, étroite jupe bleue, chair dorée par le soleil d’automne. Le dernier avant que l’hiver ne déploie son linceul de givre. Vous aurez été, l’espace d’un instant, cette distraction de mon esprit qu’une plus vive acuité eût pu conduire à la rencontre. C’est toujours si étonnant ce genre d’osmose qui confond deux individus l’éclair d’une étreinte et les dissout ensuite dans l’acide de l’oubli. Si étonnant ! Mais, au moins, auriez-vous accepté de partager ma solitude, d’entrer dans la parenthèse étroite de mon univers, d’y déposer votre empreinte, fût-elle légère comme la teinte de l’aquarelle ? Auriez-vous … ?

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