Mai 2015 – Nadège Costa – Tous droits réservés.
« L’univers soudain
à portée de main
toujours par-delà
Lorsqu’on dit … « Viens ».
Eros émerveillé.
Anthologie de la poésie érotique française.
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Nue et le voile
Jamais Nue n’est sans le voile. Jamais le voile n’est sans Nue. Immémorial balancement du dissimulé et du manifeste. Regarderions-nous Nue sans voile et nous serions dépossédés de nous-mêmes, et nous serions exilés d’un territoire à saisir dans l’exactitude du regard.
Image de Nue indissociable du voilement, de sa prodigieuse capacité à nous fasciner dans l’attente d’Elle, ce pur insaisissable dont la révélation même est le prix à payer afin que notre propre assomption soit possible. Surgissement dans la sphère onirique où, par essence, nous devenons, nous aussi, inatteignables. Conjonction des mondes, lieu d’une double révélation : celle de qui nous fait face dans son évidence, celle qui, soudain, se loge au creux de notre imaginaire avec la force des sublimes apparitions.
Nue et le voile
Projetons, le seul instant d’une possible visitation, une soudaine métamorphose. Nue, dans sa volte-face, nous révèle la totalité de son épiphanie originelle. Plénitude de la gorge, souple douceur du mont de Vénus, triangle ombreux du pubis. Mais que se passe-t-il, alors, qui nous rend muets et aveugles, paralytiques et figés, pareils à des gisants de pierre ? Quelle étrangeté s’est introduite en nous dont nous ne sommes plus que la forme endeuillée allouée à sa propre perte ? Ce que nous espérions, à savoir découvrir un territoire vierge de tout regard, un site porté à la dignité de pure merveille, voici que tout se disperse et fuit dans l’effeuillement du jour. Tout est gris et plus rien ne paraît qu’un fin brouillard semblable à celui qui flotte au-dessus des lagunes. Si douloureux de vivre, perdu dans cette multitude illisible et la nervure de notre corps est un flottement sans fin. Et notre conscience erre longuement à la recherche d’un possible sémaphore nous disant, encore, la signifiance de l’heure, la pertinence de figurer, ici et maintenant, sur ce fragment de terre qui nous maintient en sustentation au-dessus du néant. Nous avons besoin d’un cosmos, d’une quadrature fixant les limites de notre être. Nous avons besoin d’un môle de pierre auquel attacher l’esquif de notre destin.
Nue et le voile
Si indispensable, le voile, car aucune vérité, aussi apaisante fût-elle, ne se peut se révéler dans la fulgurance du dire, dans l’immédiateté du paraître. Il y faut l’espace entre les mots, le jeu subtil entre l’ombre et la lumière. Tout corps, dans son mystère, est cerné d’ombres. Tout regard, dans sa quête, est faisceau lumineux qui troue l’obscurité du monde et fait se révéler la brûlure de la connaissance. C’est seulement parce que le territoire de Nue est à dix mille lieues de notre préhension qu’il brille des feux du désir. C’est toujours le fruit hors de portée qui fait son scintillement sucré au creux de nos papilles. Comme une nature morte de Cézanne dont les pommes sont l’inaccessible que l’art tend devant nos yeux sans que, jamais, une saisie en soit possible, sauf idéelle. Notre existence passionnelle est entièrement sous le joug de la tension, de l’éloignement, de l’incommunicable. Eros ne se présente jamais à nous sous les traits de l’évidence, de la rencontre sensible, de la concrétude que nous pourrions loger au creux de notre anatomie et, ensuite, poursuivre notre cheminement avec la tête dans les étoiles.
Nue est de l’ordre de la pensée primesautière qui s’efface aussitôt révélée. Elle est pareille au vol irisé du colibri, pure vibration dans l’air étonné. Elle est l’écho de ces mirages que le vent et le sable font se lever dans le silence et l’immensité du désert. Pour cette raison d’une impossibilité à accueillir Nue autrement qu’en sa disparition même, nous aurions pu la nommer, indifféremment : pliure du jour, herbe nocturne, rosée à la pointe de l’aube, rayon crépusculaire, nymphe en voie d’éclosion, « montagnes et eaux », comme dans la peinture monochrome des Song, en Chine, où se dévoile l’être du monde à même sa disparition. Oui, nous aurions pu, mais nous sommes restés en silence parce que, parfois, la parole ne surgit de son ombre qu’à y retourner. Nous posons le voile sur la courbure du jour et revenons à notre nuit, aux battements du songe, la seule diastole-systole dont notre cœur puisse encore témoigner face à l’indicible ! Oui, la seule !