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5 novembre 2015 4 05 /11 /novembre /2015 08:44
Toujours l’être se voile.

« 12° ».

Sur une image proposée par

Frédérique de Cayeux.

A peine aperçue, l’image nous entraîne inévitablement dans le partage, l’étroitesse d’une schize ontologique. Avec nous-mêmes nous sommes comme démunis, dépossédés, territoire corporel, mental, soumis à une partition. Quelque chose nous manque, de l’ordre d’une famille, d’un clan, d’une tribu dont une étrange diaspora nous a exclus. Nous errons longuement sur nos propres contours tels le gypaète en quête de nourriture. Assoiffés, affamés, en perdition et la falaise est loin qui pourrait recevoir la fin de notre envol. Décrire des cercles autour de soi avec, au centre, le tourbillon aigu d’une vacuité. Mais quelle est donc l’origine de cette errance, la raison qui nous écartèle et nous attire dans l’étrange faille d’un clair-obscur, cette si étrange lumière pareille à celle des tableaux de Rembrandt ? Cette lueur d’outre-tombe, cette efflorescence d’une inconnaissance de soi qui nous attire dans ses filets en même temps qu’elle exerce sur nous son merveilleux pouvoir de fascination. Nous sommes, là, à la limite d’une vibration, suspendus, entaillés par la clarté, poncés, adoucis par l’ombre. Couple de tensions inverses, prodige de l’ambiguïté qui fait son irrésolution alors que passe le temps, que se déploie l’espace. Nous sommes en lévitation et rien ne peut se produire qui nous atteindrait, mettrait en péril notre forteresse de peau, le luxe de notre âme. Ainsi dure la contemplation que rien ne semblerait à même de mettre en péril.

Callipyge est là devant nous, dans l’orbe étroit de notre regard, dans l’aire désirante de notre territoire charnel. Fruit infiniment disponible, sublimes rotondités évoquant les collines de Toscane, la belle lumière qui coule comme un miel, la limpidité de cristal de l’air. C’est comme un vertige en nous, une onde qui fore son chemin à l’entour de l’ombilic, une source claire faisant son ébruitement dans la nécessité des reins à paraître, dans la proche turgescence disant l’arche plénière de la vie, la douloureuse volonté d’exister, la puissance à mettre en œuvre, l’arc à bander afin que quelque chose comme une pulsation ait lieu, une cible atteinte, un dépassement de soi dans la conque ouverte de ce qui est quintessence, retrait de l’immanence, déboulement dans la lumière de l’art. Oui, de l’art, ce qu’est toute relation portée à son acmé, cette fusion, cette osmose par laquelle nous reconstruisons une unité perdue, cette amplitude qui fait de notre corps une outre pleine, une corne d’abondance, la plénitude n’a d’autre savoir que ceci, nous combler et donner la joie pareille au souvenir heureux, à la rencontre productrice de sens. Oui, de sens. Toujours en quête d’un mot qui complètera notre fable, nous rendra existants parmi les tourbillons du monde. La posture est belle qui symbolise le désir en même temps que la provocation. « Jeu de l’amour et du hasard ». Jeu immémorial du chat et de la souris. Destin du prédateur s’immisçant dans l’ombre attirante de la proie. Tout est contenu dans cette alternative-là dans laquelle chacun, chacune, inscrit le domaine de sa propre liberté. Le prédateur n’est qu’en raison de la proie. La proie ne vit qu’à être surprise, d’abord, prise ensuite de manière à ce que s’accomplisse le cercle complet de la signification. Tant que celui-ci demeure ouvert, disponible, rien n’arrive, rien ne se produit qu’une longue attente ourlée d’une insoutenable angoisse. Si rien n’avait lieu, alors l’être demeurerait scindé, inaccompli, pareil à une main s’essayant à saisir un fruit mais ne happant que le vide. C’est ainsi, nous ne sommes qu’une partie du puzzle dont l’autre est la pièce absente, le médiateur par lequel la révélation peut survenir et combler le manque nécessairement douloureux.

Callipyge est là pareille à un rêve inaccessible, à un songe, à la dentelle souple de l’imaginaire. Caraco négligemment - savamment -, posé sur les courbes anatomiques, cette géométrie de l’esprit, cette topologie de l’âme. Car une forme, fût-elle éminemment charnelle, ne fonctionne jamais qu’à être la partie visible de l’iceberg, donc la contrepartie d’un invisible qui, momentanément, prend la parole. Pour dire le bonheur, l’envie, le sentiment total d’être là parmi le peuple de la Terre, d’en être une manière de conscience avancée, d’aventure heureuse. A la limite du vaporeux caraco, l’éclair blanc d’une toile qui cache, tout en la dévoilant, la mappemonde sur laquelle courent les yeux inquisiteurs à la recherche d’une pure beauté. C’est bien dans cette manière d’indistinction-là, d’image à la limite, de scène aux rideaux à demi occultés que s’engouffre le glaive du désir. Mais glaive suspendu, tel l’épée de Damoclès en attente d’ouvrir un destin. L’érotisme, puisqu’il faut bien l’évoquer, n’est jamais passage à l’acte, contact des chairs entre elles, ceci sera pour plus tard lorsque, précisément l’érotisme aura été consommé, ouvrant la porte à l’ennui postcoïtal dont chacun sait qu’il n’est qu’une des variantes de la mort. L’érotisme, s’il prétend à quelque vérité, est une esthétique, c’est-à-dire la mise en mouvement d’une émotion. Il est semblable à un prélude musical, à l’incipit d’un roman, aux premiers vers qui inaugurent le poème et le portent sur la scène d’une hypothétique réalité. Voyageant avec Callipyge nous sommes toujours tels des flamants roses, une patte en l’air, effleurant le sol à défaut de pouvoir s’y poser avec les belles certitudes de ceux qui ne doutent pas. Le doute est certainement le caractère imprescriptible de l’érotisme. Le fruit auquel nous prêtons toutes les vertus, auquel nous accordons toutes les saveurs n’est pas un dû qui viendrait combler une attente. Il est seulement une possibilité de réalisation, la dernière mesure d’une symphonie dont la musique parcourt avec volupté les touches blanches et noires de notre sensibilité. C’est pour cette raison du refuge dans l’expectative, de la toujours possible illusion, du retrait ou bien de l’acceptation qu’il tire toute la dimension du perpétuel étonnement dont il est le cruel détenteur. Comment trouver métaphore plus juste, tentant de l’évoquer, que de s’imaginer au centre d’une clairière avec, à la lisière, ceci qui apparaît comme une permanente tentation que la forêt reprend constamment en son sein comme pour affirmer la marge d’incertitude qui en est le sceau le plus apparent. Mais, aussi bien, nous aurions pu parler de cette ligne claire qui court pareille à un invisible filament le long de la crête de la montagne séparant l’adret de l’ubac, le versant ensoleillé de celui noyé d’ombre. Mais aussi le rivage avec sa frange d’écume, ses tourbillons de bulles, témoins des lointaines abysses où se fomentent, sans doute, les désirs les plus fous, les passages à l’acte dont, parfois, ne ressortent que des lapsus, ces amours manquées qui ne constituent qu’un dévoiement d’un érotisme qui aurait dû être transcendé. Oui, l’érotisme est de cette nature qu’il doit s’exhausser de la chair afin de jouir de son propre rayonnement. Sentiment de l’absurde cependant, puisque chacun, chacune, ne pense qu’à commettre le péché de chair puisque, aussi bien, nous sommes infiniment mortels !

Toujours l’être se voile.
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Published by Blanc Seing - dans L'Instant Métaphysique.

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