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2 juin 2016 4 02 /06 /juin /2016 07:51
De feu et de glace.

Avec Evguénia.

Œuvre : André Maynet.

Dire ce que j’étais allé chercher à la pointe extrême occidentale de l’Islande, dans cette petite ville d’Hellnar qui n’en était pas une, avec son église coiffée de rouge, ses maisons de bois que recouvrait la ligne bleue des toits, je ne saurais le dire, si ce n’est qu’à intervalles réguliers, trois ou quatre fois par an, je faisais une cure de silence et de nature avec le secret espoir d’un ressourcement. Mon ami Michel De B. (dont je tiendrai confidentielle l’identité pour de simples raisons éthiques), m’avait fourni l’adresse d’un gîte dont la situation, proche de la mer, avec vue imprenable sur le sommet du volcan Snæfellsjökull convenait à merveille à mon projet d’écriture. Du cône de lave, j’apercevais la langue de glace rutilante, les chaos de schiste noir que ponctuaient, de loin en loin, les boules blanches des goélands. Quant au gîte, situé sur un terrain à l’aspect de toundra, il était constitué de deux pyramides se chevauchant à la base, toits amples posés sur le sol, balcon de bois gris en ceinturant la périphérie. Par les fenêtres de forme triangulaire, j’apercevais, d’un côté le moutonnement vert-bleu de la Mer de Norvège, de l’autre les empilements de galets où, à la belle saison, une eau aussi claire que le cristal devait cascader dans un bruit de tonnerre. L’automne était là et, déjà, la lumière baissait, la fraîcheur arrivait de bonne heure. Une petite table de bois blanc disposée face à la fenêtre accueillait livres, machine à écrire et carnets de notes. J’écrivais un essai sur Pierre-Jean Jouve dont je souhaitais, essentiellement, faire ressortir ce qui était considéré comme sa période de création la plus prolifique, entre 1925 et 1937, intervalle au cours duquel il publiait notamment Paulina 1880 ; Le monde désert et La Scène capitale. Très jeune j’avais été marqué par la lecture de Paulina dont la braise vive était encore fixée dans mon esprit avec la même ardeur que celle du tilak creusant de son point rouge le front de l’Indienne. J’étais sous le charme de Paulina, fasciné par sa personnalité complexe, par le grand écart permanent qui la déchirait entre des passions complémentaires mais violemment opposées, le croisement entre amour charnel et inclination mystique ; attrait du désir-plaisir en même temps qu’attirance pour le sombre baiser de Thanatos ; adoration des icones religieuses mais aussi plongeon dans l’adultère avec le Comte Michele qu’elle tuera ; puis sa tentative de suicide ; enfin sa chute dans une existence de pauvre paysanne, cette vie annulant, en quelque sorte, les anciens tourments de la passion. Ecrivant, je tâchais de faire ressortir tous ces thèmes aussi existentialistes que s’abreuvant à la fontaine de la psychanalyse dont Jouve traçait la modernité avec une subtile élégance.

Le chalet, je le partageais avec une Islandaise du nom d’Andréa, nos appartements respectifs étaient mitoyens, une porte commune permettant, comme en des vases communicants, de passer de l’un à l’autre après avoir agité une cloche de bronze qui signalait une proche visite. Un matin, alors que j’étais plongé dans cette « chronique italienne » où évoluait Paulina, m’essayant à démêler le vice de la vertu de cette belle oscillant de Charybde en Scylla, un gong retentit qui me tira d’une lénifiante léthargie. C’est toujours dans cette manière d’état semi-comateux que me plongeaient les auteurs dont la forme de pensée, quasiment spirituelle, empreinte de mysticisme, cernée d’une auréole, se traduisait par ce style inimitable qui semblait comme suspendu entre Terre et Ciel. Je fis demi-tour afin de faire face à ma visiteuse matinale. N’étais-je pas abusé par mes sens, drogué par cette littérature qui instillait tous mes pores et faisait de mes yeux des fontaines s’alimentant aux eaux du romantisme, du symbolisme ou bien du surréalisme ? Quelle qu’en fût la cause, s’agît-il même du surgissement de Paulina dans ma vie réelle, incarnée, ici, sur ces rivages d’Islande, c’était bien d’une Apparition dont il s’agissait. Andréa-Paulina, dans le plus simple appareil, seulement vêtue de la résille rousse de ses cheveux relevés en chignon, protégeant pudiquement une poitrine que je supputais analogue à ces grains de raisin muscat qui délivrent ce vin si enivrant, la buée corporelle au corps si pâle qu’on l’eût cru enduit de blanc d’Espagne ou bien de poudre de riz, traversa mon territoire, aussi légère que le vol de l’éphémère dans l’air tissé d’ouate.

Sa voix me fit l’effet d’une comptine pour enfants : Minä rentoutua saunassa, ce que je traduisis instantanément par : je vais me détendre au sauna.

Ce à quoi je répondis, dans un finnois approximatif : älä ota kylmä, ce qu’elle dut interpréter comme : ne prenez pas froid.

Notre conversation devait s’en tenir là, alors que je reprenais ma respiration avec peine et que ma salive collait ma langue au palais. La Belle traversa les dalles de ciment avec l’allégresse d’une collégienne, ouvrit la porte d’une cabane de rondins qu’elle referma, otant de ma vue l’un des plus sublimes paysages qu’il m’eût été donné de voir. An bout de quelques minutes, une fumée sortit d’un tyau fiché de guingois sur le toit alors que les vitres se teintaient de vapeur. Je demeurais un long moment, songeur, fumant cigarette sur cigarette, mêlant ma fumée à celle d’Andréa, comme si, de nos communes combustions, pût sortir autre chose que l’habituelle platitude du quotidien. Loin était Paulina, loin l’essai sur les prouesses poétiques de Pierre Jean, lesquelles semblaient si bien correspondre aux subtiles remarques de Jean Schlumberger dans L'Œil de la NRF relatives à l’œuvre du Poète :

Avec beaucoup de perspicacité, de profondeur et l'on peut dire de divination, Pierre Jean Jouve a montré, dans la formation de la jeune Paulina, l'inextricable confusion des éléments sensuels et mystiques. (...) Jouve utilise avec une parfaite liberté tous les procédés du roman contemporain, pourvu qu'ils soient directs et d'ordre poétique plutôt qu'analytique. De là l'extraordinaire souplesse avec laquelle il adhère à la vie de son personnage, le suit dans ses inconséquences, ses bizarreries, ses énigmes – qui sont, malgré leur singularité, les énigmes de toute vie humaine.

Je méditais les paroles pleines de bon sens du critique, cherchant à faire la part des éléments sensuels, et des mystiques qui pouvaient expliquer l’âme de Paulina, quand Andréa, avec un naturel qui, somme toute devait être l’état orthodoxe de toute jeune fille en âge de se rendre seule au sauna, de se flageller de verges de bouleaux, de se précipiter, ensuite, dans une grande baignoire d’étain où régnait une eau à peine plus chaude que celle de la banquise, Andréa donc fit tout ceci avec tellement de candeur et d’ouverte beauté que j’aurais pu, dans l’instant, aiguiser mon crayon ou bien extraire les cendres d’un fourneau sans autre forme de procès. Sans même que la moindre idée libidineuse m’effleurât de son aile de soie. Et le problème était bien celui-là, je n’avais ni crayon, ni cendres et le charme d’Andréa-Paulina taraudait mon ventre avec une ardeur de bourdon récoltant son précieux nectar. Bien évidemment, nudité faisant loi, je ne pouvais lui proposer de boire un thé en sa compagnie, ni même de déguster un hareng saur sur une tartine de pain noir. Dans ce foutu pays où les mœurs semblaient si libres, quel mal y aurait-il eu à grignoter quelques miettes de hareng qu’aurait arrosées une bière écumeuse ? Mon Hôtesse traversa en sens inverse l’étendue de mon appartement qui me sembla avoir rétréci comme peau de chagrin. Bientôt je ne vis plus que le globe infiniment mobile de ses deux fesses auxquelles j’attribuais tout le bonheur du monde. La Belle ne se retourna même pas pour me lancer, d’une voix claire et chantante : Nähdään illalla ! La traduction en était facile : A ce soir !

Je lui répondis : Kyllä , Paulina , kyllä ​​! Ce qu’elle traduisit par Oui, Paulina, oui !

Dites, vous croyez qu’elle me tiendra rigueur de ma bévue ? Confondre Andréa et Paulina, tout de même ! Et puis, rassurez-moi, Celle qui me rejoindra, ce sera la sensuelle ou bien la mystique ?

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