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20 juin 2016 1 20 /06 /juin /2016 08:32
Echo-de-Soi.

Avec Kimberley.

Œuvre : André Maynet.

[On n’entrera de façon adéquate dans ce texte qu’à énoncer l’hypothèse suivante :

Tout visage humain ne pouvant jamais être saisi par celui, celle qui en proposent l’épiphanie (jamais on ne voit la réalité de son propre visage), c’est à un mirage, un reflet, une illusion qu’il faut confier la tâche de son intime dévoilement, donc la mise en œuvre d’une vérité. Celle-ci revêt toujours un aspect spéculaire. Nous sommes des Narcisse en puissance qui devons constamment avoir recours au médium d’une vitre, d’un miroir, d’un éclat par lequel nous nous apercevrons enfin tels qu’en nous-mêmes portés au jour, des effigies qui ne montent sur scène qu’à l’aune d’une altérité, d’un regard placé ailleurs qu’en ce que nous sommes. Ainsi en est-il d’Echo-de-Soi, cette belle mise en image d’André Maynet, ainsi en est-il de vous qui lisez, de moi qui écris, attendant qu’un miroir (celui de votre regard) vienne accomplir le geste que j’ai initié qui ne se résoudra qu’à être compris pour ce qu’il est : faire surgir dans l’obscurité ambiante une étincelle de sens. Nous ne sommes jamais que ceci, la brièveté de l’instant alors que le fleuve héraclitéen de la durée a déjà emporté notre image, flottante Ophélie dérivant à la recherche d’elle-même.]

* Nous avançons dans la brume solaire, nous glissons le long d’une éblouissante lagune, nous entrons dans la densité ombreuse d’une forêt pluviale. Nous sommes au monde et le monde est à nous dans une commune réverbération. Nous ne sommes pas sans le monde, le monde n’est pas sans nous. Nous sommes effectivement présents face à ce qui nous environne et nous ne nous posons pas encore la question de notre apparaître et nous ne nous interrogeons pas encore sur le visage qui nous constitue et nous livre parmi les choses de telle ou de telle manière. Nous sommes extérieurs à notre propre corps en quelque façon, à notre conscience par voie de conséquence.

* Nous sommes perdus dans la claire solitude d’une chambre sans portes ni fenêtres. Nul miroir, nulle vitre qui nous renverrait notre image. Nous sommes à nous, remis à notre propre déréliction dont jamais nous ne sortirons qu’à agrandir notre regard, à confier notre vision au reflet du labyrinthe de verre, à la fascination d’une psyché, voire au regard de l’Autre, celui par lequel nous existons, qui nous tire de l’abîme à la seule puissance de sa contemplation. Cette diversion de nous, cet écart, cette différence il nous faut l’éprouver comme une offrande venant du dehors qui éclairera l’intérieur de notre citadelle et alors nous ménagerons des meurtrières, nous ouvrirons des couleuvrines dont nous ferons les lieux de notre assise sur Terre devant la roche, le lumineux tournesol, le caméléon aux mille métamorphoses, l’amant, l’amante aux infinies séductions.

* Nous regardons l’image, nous cherchons à délimiter Echo-de-Soi, cette belle effigie dont, un instant, nous ferons le paradigme luxueux d’une connaissance du monde. Nos yeux s’ouvrent et nous sommes troublés, comme si un mystère allait surgir, une révélation allait advenir. Nous sommes près d’une lisière, sur le bord d’une compréhension qui pourrait bien nous installer dans un ailleurs de ce que nous sommes et nous déposer dans une réalité dont nous ne pouvions soupçonner la rutilante présence. Photographie si troublante que nous pourrions demeurer des heures, métamorphoser l’étincelle en feu constant, en lumière dont, jamais, le faisceau ne retomberait. Mais qu’y a-t-il donc qui nous rive ainsi à nos destinées communes, puisque, aussi bien, maintenant, nous faisons partie d’Echo-de-Soi comme cette jeune Apparition fait partie de nous ? Plus elle s’invagine au sein de notre massif de chair et y creuse comme un vivant sépulcre, plus nous la sentons faire sa précieuse rhétorique. La caverne est révélée qu’il faudra emplir d’un savoir afin de ne pas demeurer dans les rets étroits de cette silencieuse geôle. Sauf le murmure, le bruit de fond initié par cette belle Inconnue.

* Mais nous ne pouvons demeurer sur le seuil de l’image et n’en rien savoir. Mais nous ne pouvons nous contenter de sonder la braise, il faut souffler et en aviver le sens, en extraire cette clarté dont nous ferons le nid d’une émotion, l’archet d’une sensibilité, la lame d’une intellection. Echo-de-Soi dont chacun aura compris la relation immédiate entretenue avec la figure de Narcisse, Echo donc, nous l’approcherons à la hauteur de ce mythe qui, hors de sa fiction même veut forer l’arche existentielle et nous amener à nous interroger sur ce que nous sommes. Observons Narcisse se regardant dans l’eau, tel que décrit par Ovide dans Les Métamorphoses (Echo-de-Soi se mirant dans notre regard), et écoutons ce qui s’y dessine en toute beauté : « Etendu sur le sol, il contemple ses yeux, deux astres, sa chevelure digne de Bacchus et non moins digne d’Apollon, ses joues lisses, son cou d’ivoire, sa bouche gracieuse, son teint qui a un éclat vermeil unit une blancheur de neige ». Pourrait-on mieux dire en mots ce que le Photographe nous dit en images ? Les yeux aux étonnantes constellations, le flamboiement des cheveux pareils aux feuilles d’automne dont Bacchus fait sa parure, mais aussi à la chevelure flottante qu’arbore avec une belle noblesse Apollon, ce cou de fine couleur, à peine une élévation du blanc, pas encore une teinte, mais un suspens du temps, l’arc de la bouche pareil à une aube légère qu’habiterait encore la blancheur alors que, déjà, le vermeil commencerait à allumer ses feux, à préparer le rougeoiement du jour.

* Les homologies sont si évidentes, les lignes si convergentes que, devant nous, c’est comme le portrait de Narcisse tel que réalisé par Le Caravage, cette exactitude troublante de l’image de soi que révèle une onde impalpable ; tel que celui de François Lemoyne où la chair est cette nacre à peine posée sur les choses alors que les joues rayonnent d’une lueur rubescente ; tel celui, enfin, de Pierre-Henri de Valenciennes où le talc de la vêture n’est pas sans évoquer le visage blême du Modèle, la tonalité de pêche de la chair s’allumant par endroits comme pour dire le désir de soi d’apparaître dans la gloire du paysage. Grande beauté de l’art quand ses diverses figures rythment les multiples apparitions, comme si les épiphanies du vivant, toujours en réserve dans la puissance du temps, ne demandaient qu’à dévoiler leur être aux yeux des chercheurs d’absolu.

* Mais nous n’avons pas parlé des fleurs. La métamorphose finale de Narcisse se clôt par un changement de régime ontologique, qui le conduit de l’humain au végétal. Son sang transformé en fleur, voici ce qui restera pour témoigner de celui que fut le fils de Liriopé, la Nymphe bleue, le commun narcisse dont la forme modeste passe presque inaperçue. Ce collier de fleurs rouges qui orne le buste d’Echo-de-Soi, ce semis de pétales dont on retiendra davantage la présence symbolique que la couleur, il faut le rapporter à la belle interprétation bachelardienne, laquelle donne à penser l’individu tel une fleur, donc un tremplin pour la beauté : « Le narcissisme transforme tous les êtres en fleurs et il donne à toutes les fleurs conscience de leur beauté. Les fleurs se narcisent ».

* Merveilleuse réalité en chiasme, subtil entrecroisement de ce qui croît et se développe sur la terre sous la courbe du ciel, humains et choses qui disent, d’une même voix la beauté du monde. Après cela il ne reste plus qu’à s’abîmer dans une éternelle contemplation de ce qui se manifeste à la vue, qui n’est en définitive que le regard que nous portons sur l’altérité, que la vision que l’altérité a de nous. Images spéculaires en abîme, en abîme, en abîme … insondable profondeur de la connaissance !

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