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8 septembre 2016 4 08 /09 /septembre /2016 07:47
Au puits du secret.

Et puits, mine de riens.

Œuvre : André Maynet.

Là-bas, au loin…

Là-bas, au loin, il y avait cette foule compacte, ces rumeurs pareilles à des boules cotonneuses qui ciraient les tympans, bourdonnaient longuement dans le vestibule des oreilles. Mais pourquoi donc fallait-il ces constantes déflagrations, ces clameurs étouffées comme si quelque foudre céleste eût menacé les hommes de ses longues déchirures ? Des groupes déambulaient dans le fleuve des rues, les immeubles de verre lançaient leurs éclats anguleux, projetaient leurs yatagans de lumière. Les voitures jaunes aux mufles carrés avançaient derrière leurs vitres fumées, pareilles à des dangers impalpables, à des menaces anonymes. Piétons, errants, insulaires perdus dans le maelstrom humain, l’on essayait de se frayer un chemin parmi les confluences, les jeux complexes de jambes, les confus pas de deux, le golfe des hanches pressées, la trémulation des chairs, le glissement impalpable des peaux dont on ne percevait que l’abstrait clignotement. Le sol, hachuré de grandes entailles blanches, déglutissait sans cesse ses milliers de passants, ses milliers de cloportes montés sur leurs filins de cristal. De grandes entailles s’ouvraient à même le sol, d’immenses bouches par où s’engouffrait le peuple des Existants. Des femmes en habits, étincelantes oriflammes, poinçonnaient les trottoirs de leurs talons vindicatifs. Accrochées aux façades, de grandes enseignes lumineuses jetaient leurs dards de sang et leurs flots d’invectives multicolores. C’était une grande douleur d’avancer dans cette glaise visqueuse, de n’en être plus qu’un vague limon inconscient de ses mouvements, un égarement au milieu de ce qui ressemblait à une manière de déluge. Mais, en réalité, on n’avait guère conscience de cette folie, de ce continuel piétinement qui vous reconduisait au libre arbitre d’une paramécie dans un bouillon de culture. On progressait par petits bonds sournois, on frétillait de la croupe, on lançait des œillades à la cantonade, on s’aimait violemment sur un banc ou bien à l’ombre d’une gloriette dans un jardin public. On mâchait son pain azyme sur un tabouret de cuir. On buvait de longues rasades de bulles couleur de café. On rejetait bruyamment, par le nez, en deux longs jets écumeux, la fumée d’une cigarette. On entrait dans une salle de cinéma. Parfois on s’y endormait. Puis on rentrait au logis, cube étroit empilé tout en haut d’un empilement de cubes homologues. On avalait un barbiturique en somnolant devant les syncopes bleutées d’un écran. Puis on dormait jusqu’au déchirement de l’aube et tout recommençait dans un infini et vertigineux carrousel.

Ici, tout près…

Ici, tout près des choses intimes, tout se révélait dans le luxe des bonheurs ordinaires. La jeune fille qui s’appelait Mine de riens, était la seule Reine au milieu de son royaume. Elle avait choisi l’exil. Un jour, s’extrayant des pièges de la ville, marchant longuement sur les chemins du monde, elle avait découvert le Désert Blanc. Pure merveille pour les yeux. Enchantement pour le corps. Félicité pour l’âme. Dire la beauté de ce lieu, c’était énoncer ceci, dans la simplicité : des falaises pareilles à un talc étincelant se dressaient sous la forme de cônes tronqués. Leur sommet était plat. De profondes entailles labouraient leurs flancs, conséquence d’une érosion immémoriale. D’autres élévations, plus modestes, en forme de triangles, se découpaient sur l’ombre légère qui coulait le long de leurs roches impalpables. Au premier plan, une plage de sable blond aux ondulations douces. Des touffes d’oyats bistre en rythment la souple étendue. Au centre du paysage, l’éventail vert amande d’un palmier, son tronc de terre cuite découpé en damiers. Dans son prolongement, une ouverture en ogive ménagée dans le calcaire à des fins d’habitat troglodyte. C’est ici, dans la fraîcheur de la pierre, au centre des ombres bleues, pareille à la reine dans sa ruche que Mine de riens a élu domicile.

Mine de riens, on la regarde et l’étonnement n’en finit pas de faire ses pointes et ses piques quelque part dans l’épaisseur du derme, tout près de la peau où vibre la lumière. Elle est là, debout au centre de la demeure blanche, de la cellule secrète dans laquelle elle rayonne et diffuse ce bonheur qui lui appartient en propre. Pièce éclairée par un abat-jour de tôle. Cercle de clarté. Phosphènes gris pareils à un glacis sur l’épaule d’une terre antique. Une corde double descend du plafond. En son extrémité une poulie de bois grossier comme on en trouve sur les points d’eau, près des puits creusés dans les parois de sable. Au fond on entend tinter l’eau, on devine le ruissellement de gouttes translucides. Sous la poulie un cercle d’ombre dans lequel plonge une corde. Puis plus rien que le silence. Puis plus rien que le mystère. Ce trou dans le sol au jour uniforme, c’est la cachette secrète dans laquelle la Jeune Ermite recueille ce qui, du monde, doit être sauvé, cette beauté originelle que les hommes ont en garde mais dont, la plupart du temps, ils n’assurent le recel qu’avec distraction. Souvent, aux choses précieuses, au pur poème, à la toile simple et minimale, à la statuette d’ivoire ils préfèrent les scintillements et les éblouissements du superficiel, de l’immédiate satisfaction, du désir comblé avant même qu’il ne se soit manifesté avec la justesse nécessaire dont il doit être l’objet.

Ce que l’on trouve dans ce refuge souterrain (on pourrait facilement penser au secret de pyramides), des jarres au ventre lisse, des amphores couleur d’éternité, de délicates porcelaines aux reflets de parchemin. A l’intérieur, non de l’or ou des diamants, des gemmes précieuses mais de petits riens, de minuscules présents que la Fille du désert collectionne comme ses biens les plus précieux. Et, en effet, quoi de plus essentiel que ce qui surgit de la roche, de la plante, de l’animal avec la grâce de ce qui est évident, direct, ne demande rien d’autre que d’être au monde dans la confidence, l’à peine révélation, le bruit si ténu de la source au creux du feuillage. Dès l’aube, lorsque la fraîcheur fait ses éphémères attouchements, que la nuit bascule, que les étoiles en percent encore la toile diaphane, Mine sort de sa grotte, dans le plus simple appareil. Rien de plus beau que d’apercevoir, pour l’oiseau de passage, le rapide fennec, le scarabée à la tunique d’acier cet étonnant éphèbe, corps si semblable aux falaises alentour, orné des deux bourgeons menus de la poitrine, du triangle pubien avec sa toison légère (on y devine une mystérieuse bouche d’ombre lovée dans son secret), les fuseaux bien droits des cuisses, le glaive des jambes et enfin, subtile touche érotique, seule compromission à cette civilisation qu’elle vient de quitter, deux escarpins couleur de fraise, de plaisir, peut-être de désir, mais contenu, en attente, braise tapie dans une volupté silencieuse.

Alors Saharienne se baisse au gré de ses subtils déplacements. Cueille ici une branche sèche d’épineux acacia, là le reste noueux d’une souche d’olivier, ici encore une tunique d’insecte avec ses pattes semblables à des cils, encore plus loin la peau sèche d’un varan, la corne effilée, crénelée, d’un oryx. Parfois aussi des tessons de poteries anciennes, des sculptures de sel aux éblouissants cristaux. Puis, dans l’orbe d’un réel bonheur, ici ou là, au creux d’un rocher, sur la dalle de sable lissée par l’harmattan, une pointe de flèche, un galet aménagé à la belle teinte de terre, des signes épars, parfois une hache polie en néphrite aux veines profondes, des traces de sanguine et d’ocre, (on croirait y deviner l’élégance de la girafe, l’agilité de l’antilope, puis des hommes, des arcs aux formes si dépouillées qu’elles semblent dessiner ce qui, de l’humain, trace les prémices de la culture, grave dans la psyché universelle les signes de sa confondante parution). La suite des jours de Mine, ce n’est rien que ceci : un tissage d’enchantements, de merveilleuses mélodies qui font frissonner son corps, des musiques aériennes portées par le vent, des poèmes bleus à la naissance du jour, couleur de corail au crépuscule, teintés d’obsidienne dès que le soleil bascule derrière l’horizon, que les oiseaux se taisent, les lézard regagnent leur terrier d’ombre, les rêves naissent sous le croissant de la Lune. Rien que ceci : la vie pleine, disponible, immédiate de qui sait confier son destin au mouvement des astres. Se ressourcer au puits du secret, tel est le prodige par lequel cette Modeste tisse ses jours, brode ses nuits. Il n’y a pas de révélation plus belle que celle-ci.

Là-bas, au loin…

Pendant ce temps, dans les ornières des villes, aux nœuds complexes des carrefours, dans les hautes tours aux façades aveugles, dans les temples du consumérisme mondial, sur le mode du temps pressé, de l’espace condensé en sa plus étroite valeur, les hommes, les femmes tressent leurs rondes interminables, échafaudent les conditions de leur aliénation. Mais qu’attendent-ils donc ces aveugles, ces paralytiques, pour se débarrasser de la corne qui soude leurs yeux, des liens qui entravent leurs mouvements ? Qu’attendent-ils donc ? La Terre est grande qui peut accueillir la beauté. Oui, la Terre est grande.

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