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10 janvier 2017 2 10 /01 /janvier /2017 09:46
Elle parlait à l’oreille des oiseaux.

Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

Une à peine parution sur la lisière du jour.

 

Nul ne la voyait rôder à l’entour des magasins ou s’approcher des lieux où la foule se pressait en rangs serrés, attendant de la contiguïté siamoise le surgissement de quelque faveur divine. Non, Babélienne (vous aurez compris que ce nom étrange résonne comme le langage peut le faire depuis une ziggourat en direction de l’éther qui l’accueille), Babélienne donc se situait toujours dans les marges, les demi-jours, les espaces de cendre grise, là où elle pouvait se fondre comme le grésil le fait dans le ciel du septentrion. Elle vivait ainsi, de sa légèreté même, de sa fragile innocence, humant ici le fluide délicat d’un lis, goûtant là un nectar échappé de l’abdomen d’un bourdon. Tout dans l’inaperçu, tout dans l’approche ineffable, tout dans le prolongement invisible de soi se fondant à même la neige suspendue de l’absence. Sur les rivages qu’elle fréquentait avec une belle assiduité, nue entièrement, seulement vêtue d’un bonnet de dentelle venu du temps béni du romantisme. Elle était naturellement issue d’une poésie directe, d’un immédiat sentiment d’être, deux pliures rousses de cheveux encadrant son visage de pierre blanche que rehaussait, dans le presque impalpable, la couleur de pêche native des joues, un rouge à peine plus grand que le susurrement de l’amour ou la voix de l’éphèbe dans le jour qui vient. Babélienne se confiait à une intime connaissance de soi mais aussi des choses, de toutes les choses qui voulaient tenir à son oreille le langage léger de la fable, le dire souple de la comptine, l’éclat assourdi des voix d’enfants sur les confins du monde. Pour nombre de curieux, mais de curieux de l’âme, non de ceux qui ne regardaient les choses qu’à combler leurs yeux de notations mondaines, de joies indécentes, de contentements vite acquis, la Jeune Apparition ne se serait révélée que dans l’ordre du rêve ou bien sa silhouette se fût déclinée selon une ligne d’ombre qu’un contour rapide eût emporté avec lui.

 

Elle écoutait les oiseaux.

 

Souvent, dans ses longues dérives océaniques, sur la dalle continue d’un sable infini, en haut de la bosse d’une dune, sur sa pente semblable à la venue crépusculaire, elle laissait flotter ses yeux dans le vent du large, dans la glissière de la nostalgie, dans la cannelure des affects. Cela faisait, en elle, une mélodie de flûte indienne, le bruit du vent parmi les cannes des roseaux, le glissement des grèbes à cous noirs sur la glace unie des marais. Elle avait si peu à faire, si peu à bouger pour être en harmonie avec cela qui l’accueillait dans une sorte d’évidence plénière. Ce qu’elle aimait surtout, dans l’annonce de l’heure à venir, c’était fermer les yeux, entrer à l’intérieur de sa nacre de chair - ce luxe infini, cette sublime décision d’être soi dans le domaine étourdissant de quelque irrévélé -, puis se laisser flotter, là tout contre l’eau qui battait en rythme alterné ses vagues de cristal et d’écume tout contre les flancs de l’exister. Alors il n’était pas rare que les oiseaux de mer, les goélands à la grande voilure, les mouettes rieuses au large poitrail immaculé, les sternes aux becs orangés pareils à une épine, aux rémiges largement ouvertes, éventail noir et blanc, intime reflet du mélange nocturne et diurne, il n’était nullement rare donc que ces oiseaux, tels des cerfs-volants du ciel vinssent tenir au creux de son oreille, dans la conque éblouie du savoir, de subtils colloques, faire entendre des chants si étonnants qu’ils étaient comme la mise en musique du langage du Simorgh, cet oiseau sacré de la mythologie perse, cette manière d’insaisissable ne se laissant approcher qu’à la dimension de son mystérieux langage.

Alors, en elle, dans les fleuves de son corps, les lacs de lymphe, le bouillonnement du sang bleu, c’était comme un immense hourvari qui la chamboulait de l’intérieur, une lame de fond se levant afin que, de la beauté du monde, au moins une étincelle fût connue, un scintillement, un poudroiement gagnant jusqu’au dôme du diaphragme et c’était tout juste si la Petite Cantilène ne prenait essor jusqu’aux coussins duveteux des nuages qui parcouraient l’espace d’une dimension à l’autre de l’horizon avec une douce bienveillance. C’était cela qu’elle cherchait, uniquement cela, arriver à l’extrémité de son être, en connaître tous les paysages, les cimes colorées, les vallées ombreuses, les hauts plateaux parcourus de l’haleine impétueuse des dieux de l’air, ces vents aux noms merveilleux, ces zéphyrs, ces alizés chauds, ces bises froides telles les cristaux de glace, ces grains blancs semés par la violence des orages, ces nordets, ces noroîts poussés contre les perditions hauturières, ces suroîts d’où naît le temps exact et la lumière infinie des choses.

Ecouter les oiseaux, c’était cela, s’écouter soi-même, ouvrir l’amphore de son esprit, déplier les ailes de son âme et s’exiler de soi en même temps que, paradoxalement, en être le centre de rayonnement, la conscience parvenue à surprendre le lieu de son propre flamboiement. Ecouter l’incroyable vol stationnaire du colibri, cette minuscule écaille dans le fourmillement du monde, c’était se disposer à cerner, à même la forteresse de son corps, cette impénétrable citadelle, le moindre mouvement, la plus petite signification en forme de colimaçon, de spirale, dont toujours il y avait quelque chose à faire, à espérer, à amener à fructification. Faire naître un mot inconnu, bâtir la cathédrale d’une phrase à l’ample période, donner à la parole les fondations d’un temple à ériger au-dessus du marais de l’inconnaissance de manière à féconder cet inaperçu qui est le seul moteur de notre avancée sur Terre.

Ecouter les oiseaux pour cette Jeune Espérance continûment en voyage d’elle-même, c’était prêter attention au « Seigneur des paroles divines », à cet incroyable Ibis, ce Thot de la mythologie égyptienne dont le plumage identique à la toison du babouin hamadryas était censée capter la lumière de la Lune, entraînant ses cycles, apparaissant comme « le seigneur du temps ». Se mettant, par la pensée, dans la tunique de plumes de l’oiseau mythique, écoutant son divin langage, Babélienne devenait l’espace d’un instant - une éternité en réalité -, cette étonnante présence douée de pouvoirs infinis. Connaître les eaux de source, en apprécier la pureté, devenir cet initié capable de percer tous les langages, y compris ceux cryptés des fascinants hiéroglyphes grâce auxquels connaître une réalité habituellement inaccessible au commun des mortels, posséder la langue d’Atoum et se rendre l’égal des dieux, régir l’ensemble des formules magiques du Livre de Thot, ce lieu que rien n’égale, si ce n’est la contrée sacrée de l’Olympe.

 

Ecouter le dialogue des oiseaux, parler à leur oreille,

une seule et même décision.

 

Oui, car Babélienne occupait les deux versants de la langue dans un identique bonheur. En être l’émettrice et le recueil. Être la source et l’estuaire. Parler aux oiseaux dans leur belle langue qui s’actualise comme tous les dialectes universels qui traversent la planète et la révèlent comme cette conque de résonnance qu’elle est, genre de tambour mélanésien qui, percé en son centre d’une fente parlante, répercute sous la courbure des forêts, sur la crête des vagues, dans les huttes des hommes la belle mélodie de leur être-au-monde. Oui, la langue des oiseaux. Oui la langue de la Terre. Oui la langue des Existants. Il n’y a pas de différence de nature, seulement une distinction de l’organe phonateur qui en est le lieu d’essor. Mais comment donc demeurer sourds à cette belle symphonie ontologique nous disant, partout, en tous temps, la perdurance de la vie, sa façon de s’éployer avec la puissance à être des forces justes, celles qui essaiment le sens à connaître partout où il y a de la présence.

Alors, nous parlons aux oreilles des oiseaux, cette cavité si subtilement dissimulée qu’elle est d’autant plus précieuse, symbole d’une vérité à connaître, à diffuser afin qu’elle ne s’éteigne. Oreille invisible, tout comme l’est l’âme indécelable, ce principe, cet ondoiement originel, cette essence dont la braise rouge du tilak indien gravée sur le front des femmes et des hommes vient témoigner de cette rivière signifiante qui nous parcourt de ses vives fluences. Il faut se laisser emporter par les flots de la langue, ils sont nos plus précieux alliés chargés d’endiguer toutes les apories, d’éloigner le spectre de la finitude, de battre en brèche la dague infiniment suspendue du nihilisme.

 

Dire le chant infini des oiseaux.

 

Dire le chant infini des oiseaux selon la multiple variété de sa manifestation. En effet l’oiseau glapit, trompette, grisolle, tire-lire, turlutte, croûle, piaule, butit, l’oiseau carcaille, courcaille, margotte, cancane, canquette, nasille, chuinte, hioque, hole, hue, hulule, l’oiseau craquette, glottore, roucoule, chante, coqueline, coquerique, dodeldire, l’oiseau coraille, croaille, croasse, graille. Et la liste exhaustive n’en finirait nullement de recouvrir de signes noirs et pressés, tels d’incroyables trajets d’insectes, la plaine blanche du silence, incisant en son sein les stigmates de l’être qui sont comme sa belle et peut-être unique profession de foi. Que reste-il de l’homme quand son corps s’est absenté, si ce ne sont ses paroles, les graphes de ses écrits ? Que reste-t-il sinon une voix suspendue dans la mémoire des proches, des amis, goutte laiteuse faisant sa gemme sur la lisière d’une salvatrice mémoire ? Car jamais l’on n’oublie une voix qui, par simple souci d’homophonie, indique aussi la trace d’une voie où inscrire le destin en son unicité, en sa fragilité. Souvenir une voix c’est comme restituer au monde celui qui en proféra les singulières nervures du temps de son sillage. Toujours il demeure une empreinte du passage d’une conscience, le contenu du regard des Existants s’affiliât-il à un affairement mondain. Ceci n’est qu’une apparence qui dissimule en son sein la dimension d’une rencontre, laquelle, indicible, s’occulte dans l’ineffable, dans le non-dit, nullement dans une absence à jamais de ce qui fut, de Celui qui fut et persiste à courir à bas bruit sous la ligne d’horizon.

 

Ce ciel d’oiseaux…

 

Ce ciel d’oiseaux, cette pluie d’ailes noires, ces faucilles suspendues qui fauchent l’air de leur vol glacé comme l’obsidienne, nous pourrions en supputer le signe de charbon et de deuil, en craindre l’effraction en direction de cette Innocence en bonnet blanc, de cette si Irréelle Présence que nous la croirions sécrétée par la seule filière de notre imaginaire. Ou bien pire, par la matière dense de notre effroi, de notre angoisse d’affronter les douloureux symboles dont ces oiseaux paraissent porter les signes rédhibitoires à seulement observer leur nuage dense, leur vol invasif, leur pointillisme tel une menace suspendue au-dessus de notre architecture de chair et de peau. Fragile nacelle que le premier vent pourrait emporter, dont le moindre coup de bec planté au centre de la dure-mère réduirait à néant la prétention à vivre. Et, ici, qui ne penserait à l’effrayante galaxie hitchcockienne, à cette dimension purement paralysante que constitue toute romance mortifère, tout film fantastique esquissé au noir fusain, à ces sombres représentations dont la finalité est moins l’horreur que la prise de conscience de la constante déréliction dont l’existence est prodigue envers l’espèce humaine. Tragique d’une condition qui, au moins depuis la Chute, se révèle à la manière d’une épine maléfique plantée au cœur de notre lucidité et pose, de part en part, les pièges indépassables qu’elle nous tend comme notre propre essence aux contours étroits et aux finalités en forme de dague.

Cette Figure si gracieuse et innocente de Babélienne, pourrions-nous en faire, au motif de notre seule crainte, cette Mélanie du film, dans les rues de San-Francisco, percevant soudain toute cette constellation menaçante d’oiseaux, se faisant attaquer par une mouette, pensant, sans doute, sa dernière heure est venue ? Mais nous sentons bien que cette métamorphose au risque d’une estimation grossière, violence faite à l’image, se révèle bien vite être une mésinterprétation, une perte de l’œuvre dans ce qu’elle n’est pas, à savoir une allégorie qui viendrait nous dire une vérité homologue à celle se dégageant du long métrage. Comme un juste retour des choses, les hommes mis à leur tour en cage après qu’ils ont été, de tous temps, les metteurs en cage des oiseaux, bien évidemment, mais aussi, plus gravement souvent, de toute forme de liberté. Ici, la photographie, si elle s’impose un thème représentatif dépouillé, sérieux, assumant une certaine verticalité, pour autant sa rhétorique ne tombe nullement dans les habituels « excès » (ô combien sublimés) du Maître du cinéma américain.

 

Nubile en attente des noces.

 

Ici, ce qui est patent, c’est la présence de quelque chose comme une vague tristesse, peut-être l’annonce d’une mélancolie, à moins que la thèse en soit simplement la mise en forme esthétique d’une heureuse dialectique inscrivant sa manifestation dans la naturelle opposition de l’immobilité de Babélienne par rapport à la supposée agitation des oiseaux, dans le contraste du noir et du blanc, dans le silence des lèvres closes alors que nous supputons le nuage de volatiles parcouru du cri de la migration, peut-être d’un appel dans le ciel vide comme si, toujours, un signe était à trouver qui s’arrachait sur le fond qui l’a vu naître, cet illisible éther, séjour habituel des dieux, qui dit son mystère tout en invitant à sa lecture. Au dessous de cette agitation noire, la rassurante figure hiératique de Nubile, sans doute est-ce son statut le plus probable ?, se dispose aux noces toujours présentes du Ciel et de la Terre ! Avec elle nous ferons notre miel de cette vision rassurante comme si de cette apparition dépendait notre destin en son irrépressible avancée. Peut-être en dépend-il, réellement ?

 

 

 

 

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