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4 juillet 2017 2 04 /07 /juillet /2017 15:57
Loin, la lumière du sens.

 

               « Le sens de l'existence ».

                  Œuvre : Dongni Hou.

 

 

 

 

   Acte I : Décrire la scène.

 

   Cette peinture est à proprement parler fascinante. Ce qui veut dire que tant que nous nous appliquerons à la regarder, nous demeurerons en son pouvoir et notre liberté sera cet illisible point se perdant dans les rets étroits d’une possible aliénation. Tel l’amant plongé dans la complexité passionnelle de l’aimée qui le requiert en son sein en exigeant son dénuement, l’abandon de soi, l’entière disponibilité au sacrifice dont tout amour absolu porte l’empreinte, fer incandescent creusant en l’un et l’autre les stigmates de l’impossibilité d’être. Sauf dans le relatif et l’approchant qui ne sont toujours que des hypostases de la plénitude des sentiments. Donc une perte. Donc une altération.

  

   Entités métaphysiques.

 

  Le haut de l’image est une nuée de cendres volcaniques et l’on pourrait sans peine imaginer le sommet de quelque Etna fantastique noyé dans son effusion céleste sans fin. Le bas de l’image est floconneux, pareil à des cumulus qui envahiraient le massif de chair pour mieux le dissimuler à la vue des Voyeurs. Comme si cette existence en devenir se situait à l’intersection de deux mystères, au centre géométrique d’un secret dont l’être seul en son essentialité aurait le moyen de déchiffrer les confondants arcanes. Car l’être, nervure de l’exister, ne paraît jamais qu’à l’aune de son retrait, raison pour laquelle nous sommes, par nature, des entités métaphysiques en quête de leurs propres certitudes.

  

   Le visage de la beauté.

 

  De cette étonnante confusion, de ce magma primitif émerge avec force le visage de la beauté. Oui, de la beauté car ici ce n’est nullement d’une agréable et esthétique physionomie dont il s’agit mais de la mise en exergue de cette totalité de sens qui surgit à même la présence, efface tout au monde sauf le sentiment de son être-avec-nous. Nous oserions presque formuler : d’être-nous en écho, en miroir, de constituer notre ego, d’instituer notre reflet, de lui donner assise alors qu’elle édifie le sien à la mesure d’une authentique donation des choses dans l’orbe du réel.

  

   La pourpre atténuée des joues.

 

   Nous ne pouvons échapper au jais ardent du casque des cheveux, à la lumière nacrée du front derrière lequel s’animent les pensées, à la douce inflexion presque inapparente des sourcils, à la profondeur des yeux - ces billes brunes où rejaillissent les éclipses de clarté -, à la pourpre atténuée des joues - cette ardeur tout en retenue qui colore la vie de son onction presque illisible -, aux lèvres pareilles à la discrétion de la rose-thé, à l’ovale du menton qui reprend tout dans son arc léger alors que le cou est cette impalpable fuite qui semble rejoindre  une supposée origine.

 

   Acte II : convoquer Turner.

Loin, la lumière du sens.

       Tempête de neige en mer, 1842.

                  William Turner.

                Source Wikipédia.

 

 

   Dans un premier geste du regard il ne faut donc nullement partir de l’œuvre ici présente pour en percer l’intime signification. Ce qui semble le plus convenir à son étrange rhétorique nous pourrons le retrouver dans une toile de Turner : « Tempête de neige en mer » dont le traitement pictural, le type de représentation - cette « abstraction lyrique » -, semblent coïncider avec le projet formel de l’Artiste et plus encore avec le sens qu’elle révèle dans la profondeur. C’est en termes de symboles qu’il faut s’immiscer dans la densité des deux œuvres.

  

   L’éclair de l’être.

 

   La thèse à poser est la suivante : la neige au centre de la composition de Turner est l’éclair de l’être, tout comme le visage d’Existante qui en reflète l’impulsion, l’essor à nul autre pareil, l’inépuisable corne d’abondance. Et les yeux surtout, fanal de l’âme, sa pointe avancée, son effervescence.  L’illisible vaisseau fantôme dont on n’aperçoit qu’indistinctement les formes ne serait-il pas l’analogie de l’exister en ses essais de profération, ce frêle esquif que ballotent les eaux sur une mer dont on ne perçoit guère que les funestes intentions, peut-être les desseins tragiques qu’elle fomente en son sein ? Quant aux balafres bistre, grises et bleues des nuages, aux flots agités, n’appellent-ils pas en direction de ce sombre néant que le tableau de Dongni Hou évoque  dans le ciel et la terre de la représentation, cette écume qui tutoie les abysses du sens et se donne comme ce cryptogramme, suite indéchiffrable de signes que nous envoie le destin avec sa marge de doute, ses douves d’hésitation.

 

   Acte III : sens et existence.

 

   D’abord urgence à habiller ces deux termes de leur signification commune. Voici ce que le dictionnaire propose comme leur approche la plus habituelle :

    Sens : « Faculté de bien juger, de comprendre les choses et d'apprécier les situations avec discernement ».   

   Exister : « Surgir du néant ou avoir une cause (par exemple Dieu) ».

Nous accentuerons et synthétiserons les deux formules en une seule : « Faculté de comprendre les choses surgies du néant ». C’est ici ce qu’il y a d’essentiel à retenir. Nous ferons bien évidemment l’économie du dogme qui pose Dieu comme existant, souhaitant conserver à notre méditation un indispensable caractère d’objectivité.

   Mais alors comment s’emparer de ces choses et les soustraire au Rien, à savoir leur donner lieu et temps dans la belle configuration d’une existence humaine ? Sans doute Existante elle-même ne saurait s’y soustraire qu’à annuler toute négativité, donc s’inscrire dans cette positivité, dans cette liberté que revendique toute entreprise cheminant dans les vastes allées du réel.

  

   Exister selon les cinq sens.

 

   Exister selon les cinq sens qui sont les fenêtres que toute monade ouvre sur le monde afin de ne pas demeurer dans l’inconnaissance de l’altérité par quoi notre être se révèle à lui-même tout en faisant acte de présence parmi la multiplicité des étants.

   VOIR - Toute vision projetée au-devant de soi doit nécessairement rencontrer un événement paysager, objectal, humain de façon à ce que ces données du monde jouent en miroir et que le faisceau de l’intellect puisse, en retour, en prendre acte comme l’une des possibilités de figuration de ce qui emplit l’horizon de la manifestation.

   ENTENDRE - Toute perception auditive exige quelque part, en un endroit de la Terre, un bruit, un murmure, un chuintement, une parole surtout dont l’écho rejaillira sur l’organe émetteur qui en attendra l’ample déploiement. A défaut de ceci la voix disparaîtra dans le mystère du jour, le langage s’abolira et alors, comment devenir homme, femme et dresser face à l’inconnu ce mot, cette phrase, ce texte  qui déterminent notre essence, nous accomplissent bien au-delà de nous-mêmes ?

   SENTIR - Cet acte si éphémère, presque invisible, de quelle manière le mieux affirmer qu’en assurant au sujet qui en a été la source, par un effet de réciprocité, la riche palette des fragrances que le monde aura assemblées pour que la sensation se métamorphose en cette myriade d’impressions infinies, fils qui trament, ourdissent la richesse anthropologique sans réel équivalent ?

   GOÛTER - Ce sens si sensible, intelligent, habitué aux plus éminentes subtilités, ne rencontrerait-il aucune saveur du monde qui lui parlerait le discours du plaisir et le cours des choses  ne serait qu’une longue procession fade privée des épices qui font cet inimitable sel de la vie, son incomparable délicatesse.

   TOUCHER - Tout touche en nous et pas seulement nos mains, l’extrémité de nos doigts. Notre peau aussi éprouve les milliers de picotements du sensible, le glacis d’une fraîcheur, le piment d’une rencontre, le soyeux d’un épiderme, le velouté d’un sourire rencontré sur des lèvres amies. Tout toucher exige l’accusé de réception de cela même qui a été effleuré. N’avoir nul échange supposerait une dévastation de l’âme car la solitude n’est qu’oniriquement envisageable, non dans ses effets pratiques qui seraient mortifères.

  

   Les sens nous éloignent du néant.

 

   Voir, entendre, sentir, goûter, toucher ne peuvent qu’être coalescents à ce qui leur témoigne de l’amitié, agit en retour, porte confirmation d’une relation, se dresse comme épiphanie face à une autre épiphanie. Être contre être. Ou, plutôt, affinités électives jouant en osmose, perceptions-sentiments s’imbriquant dans la logique unitaire d’une dyade, fusion de la dualité dans l’unique. C’est ceci s’abstraire du néant, trouver une parole, un geste, un regard qui témoignent de notre être à l’aune de celui, celle qui ont fait entendre leur voix, ont apposé leur main sur une attente, visé avec justesse ce qui, en nous, demande son dû et offre son obole à qui veut bien la prendre.

  

   Vibrer à l’unisson de l’être.

 

   « Le sens de l’existence » est ce beau titre, aussi simple qu’émouvant qui signe cette œuvre tout en douceur, en finesse, en humilité. Mais aussi et surtout en humanité. Cette peinture vibre à l’unisson de l’être et se détache du néant qui le menace - ces cendres volcaniques, ces cumulus menaçants -, en affirmant la nécessité de son esthétique. Le visage porte en lui comme les traces patentes de sa mission cinq fois réitérée, ces irremplaçables sens par la grâce desquels le sens se révèle à nous en tant que la plus haute compréhension que nous puissions avoir du destin humain. Au-delà des sens et du sens souffle l’haleine acide et délétère du néant. Cette œuvre nous en éloigne à la force de sa simplicité. Sans doute n’y a-t-il pas de plus belle vérité ! Certes toujours loin de nous la lumière du sens, toujours proches de nous les sens qui y donnent accès. Il suffit d’ouvrir les yeux, d’éployer les paumes de ses mains, de prêter sa peau au grésillement du monde.

 

 

 

 

  

 

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