Sous l’éclat des cèdres m’avais-tu dit.
Je t’avais dit
Les cèdres n’ont nul éclat
Seulement une sombre dentelure
Et sous leurs larges palmes
Une ombre souveraine
Que nul ne peut franchir
Sauf au danger
De sa vie
Tu me disais
Mon humeur fantasque
Mes brunes exagérations
Mon inclination à une éternelle rêverie
Ma perte dans des eaux imaginaires
Mon air éthéré en témoignait
Ma fuite entre les pages des livres
Les poèmes que je composais
Sans rimes
Ni assonances
Sans début
Ni fin
Une divagation parmi les taillis de l’heure
Une continuelle errance dont je tissais mes jours
Afin de ne les voir passer
Les effleurer comme l’aile de l’oiseau le miroir du lac
Sous l’éclat des cèdres m’avais-tu dit.
Pourquoi parler des cèdres
Ils sont si loin
Et devant nous
Seule la plaque liquide de l’océan
Pareille au vaste ennui qui assaille et
Le plus souvent
Reconduit tout
Au Néant
Et la rumeur de la Terre s’efface
Et il ne demeure que ce vide immense
Où s’abrite toute désolation
Les cèdres
Oui les cèdres
Aux vastes branches dolentes
Elles battaient l’air
De leur farouche irrésolution
Elles inclinaient vers le sol
Leur égouttement vert-de-gris
Leur symphonie de carton usé
Leur émiettement dans le soir qui venait
Oui les cèdres qui entraient dans nos vies
Et devenaient les vivantes métaphores
De nos esseulements
Nos esseulements
Combien cette formule était étrange
Qui redoublait nos respectives solitudes
D’un pluriel
D’une multiplicité
D’un faisceau de formes
Qu’une solitude jamais ne prend en sa garde
Sauf à renoncer
A l’Unique qu’elle est
La solitude en son essence
Une seule ligne continue
Qui se dissout
Loin là-bas
Dans la brume
Des approximations
Sous l’éclat des cèdres m’avais-tu dit.
Mais pourquoi donc fallait-il
Que tu me rappelles
Cette lointaine présence
Ce fin brouillard se dissolvant
Dans le tissé de la mémoire
La silhouette ombrageuse de ces arbres
Notre rencontre un soir d’automne
Dans la luminescence du jour
Les teintes étaient
De feu éteint
De terre usée
De mare glissant
Sous un tapis de lichen
Une flamme orangée au loin
Faisait sa souple rumeur
Et les humains étaient au logis
Autour d’un feu de bois
Il faisait frais déjà
La lumière baissait
Il ferait nuit bientôt
Bientôt s’éteindraient les lampes
Bientôt se cloraient les lourds volets
Sur l’infini silence
Inconnu à lui-même
Scellé sur
Plus rien
N’aurait alors d’importance
Que la dérive des âmes
Au plein de leur pliure
Plus rien ne ferait sens
Que l’absence de sens
Précisément
Ce nul langage flottant au-dessus des hommes
Cette poésie éteinte qui ne laisserait plus voir
Que
Ses césures
Ses hémistiches
Ses rythmes figés
Ses cadences mortes
Telles les feuilles
Jonchant le sol
Telles
Des dentelles
Des nervures
Des résilles
Dans le dormant du jour
Sous l’éclat des cèdres m’avais-tu dit.
Ce fut le lieu
Non point
D’une aventure
Le mot en était trop galvaudé
Le contenu altéré
Une rencontre
A tout dire
Dénuée d’intentions autres
Que celle de se sentir exister
Ici
En ce point minuscule de la Terre
Où naissait le chant discret des étoiles
Nul baiser fougueux cependant
Nulle étreinte qui nous eussent
Précipités
Tous deux
Dans de bien étranges compromissions
Mais tout amour n’est-il jamais
Que cela
Tissu de compromissions
Entrecroisement de mensonges
M’avais-tu dit
Dans cette étonnante langue
Qui habitait
Tantôt le velouté de ta voix
Tantôt ce frisson rauque
Qui montait de ta gorge
Identique à l’ourlet
De la volupté
Sous l’éclat des cèdres m’avais-tu dit.
Ce fut le lieu simplement
D’une parole
La seule qui pouvait nous réunir
Ce silence qui bourdonnait à l’entour de nos corps
Car nous n’avions aucun désir
Le mouvement de nos yeux
Le retrait de nos lèvres
Le marbre de nos volontés
Nous tenaient à distance
L’un
De
L’autre
Dans cette si belle harmonie
D’une contemplation
Sans objet
Car nous étions
Dans cet après-crépuscule
Des Sujets ayant renoncé
A quelque possession que ce soit
De soi
De l’autre
Du monde
Oui nous avions franchi la limite
Des obscurs désirs
Nous flottions immensément
Au-delà de toute exigence
De tout essai de saisir
Quoi que ce fût
Aussi bien notre propre mesure
Que celle des étranges présences
Qui peuplaient la nuit
Sous l’éclat des cèdres m’avais-tu dit.
Oui la nuit des cèdres
En ses palmes demeurait
Ceci que nous n’avions su dire
Qui
En réalité
Ne possédait de nom
Cet en-deçà de l’être
Cet au-delà de l’être
Incis
Entre les deux
Nous assistions à notre événement
Comme cette nébulosité
Qui fuyait
En-deçà
Au-delà
Dispensait sa venue
Dans cet irréparable de toute chose
Porté sur les fonts illisibles
Oui illisibles
Toute source
S’épuise
Oui s’épuise
Dans l’intervalle même
De sa donation
S’épuise
OUI