Œuvre : Barbara Kroll
***
C’était seulement
le pli d’une ligne
En savais-tu le prix
L’obole à verser
Au versant de l’Autre
Nullement une dette
Un signe de reconnaissance
Un geste d’abandon
*
Le jour était curieux
Teinté d’opale
Les bords de la mer
Invisibles
La brume dense
Ton visage éloigné
De la mesure du jour
Le ciel si haut
On l’aurait cru absent
La terre si basse
Que nos pieds foulaient
La poussière blonde
Elle s’enfuyait au loin
Là-bas où nous n’étions pas
Où nous aurions rêvé d’être
Dans le luxe immémorial
De notre chair
Dans le feu
De notre conscience
*
Etions-nous au moins
Auprès d’une chose connue
Un livre familier
La couleur d’une encre
Le mauve de tes yeux
La perte de mon regard
Pour le large horizon
Et le temps qu’était-il
Sinon cette fuligineuse perte
Ce vertige des corps
Cette lutte à jamais
Ce vide
Cette brèche
Qui sans doute
Jamais ne se refermeraient
*
Et l’espace où était-il
Non le vaste cosmos
La distance de toi à moi
La braise d’un sentiment
Peut-être juste une cendre
Dans le jour qui mourrait
Bientôt
*
Une mouette soudain
A volé si bas
Son ventre effleurait l’eau
Le Destin m’as-tu dit
Et ta voix a tremblé
Une voile perdue
Faisait son blanc sémaphore
Ce triangle cette pointe
Etaient-ce le danger
En nous
Entre nous
Hors de nous
Comment aurions-nous pu
Le savoir
Nous qui existions à peine
*
Bientôt la lagune a refermé
Son dais de cendre
Les campaniles se sont inclinés
Pour la nuit
Le bruit des yoles
Glissait infiniment
L’écho des cœurs
Était à son comble
Des étoiles disaient le firmament
En touches
À peine visibles
*
Remonte le col de ton manteau
Ai-je dit
Le froid est là qui bientôt
Sonnera l’heure du retour
Quel retour as-tu repris
Il n’y a de retour qu’à soi
Ta voix planait à l’encan
D’une encre lourde
Ta si belle voix voilée
Où se devinait la rumeur
De tes heures
Tu étais si mystérieuse
Inconnue de Passage
Et mes doigts trop usés
De tristesse
Pour pouvoir te retenir
*
Bientôt sur la lagune
Glacée de Lune
Tu ne fus plus
Qu’une vague parole
Enlacée de rien
Je demeurai sur la grève
Interdit
T’avais-je rêvée
Belle Ophélie
Toi qui flottais
Sur l’eau des nuées
Toi qui scindais ma tête
En deux
Une partie emplie de silence
Une autre versée au doute
*
Le jour est pâle
À peine levé au-dessus
De la houle des toits
Ma croisée est ouverte
Sur l’immense
Où rien ne se dit
Que le vaste chemin du monde
Il faut avancer
Oui avancer
Demain peut-être
Te fera renaître
Ceci est l’étincelle inscrite
Au plein de mon être
Je ne vis qu’à l’entretenir
Dis-moi ton nom
Fût-il de songe
Je veux être homme debout
Plus loin que ces eaux grises
Plus loin que moi
Puisque le désert m’habite
Où rien n’est présent
Que les vagues de sable
À l’infini
Seulement le pli d’une ligne
Ce qui demeure
*