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1 août 2020 6 01 /08 /août /2020 12:32

   Prologue - Cette histoire remonte à mon enfance, il y a bien longtemps déjà. J’avais alors dix ans et étais en classe de Cours Moyen 2° année. Mon instituteur, Charles Carrier, était un maître aussi consciencieux qu’aimé dans toute la commune de Beaulieu. Il était conforme aux idées de son époque : beaucoup de rigueur dans son travail, un esprit laïque chevillé au corps, un profond respect de l’autre, une foi inébranlable en sa mission éducative. Aller à l’école, bien loin d’être une contrainte, constituait l’un des plus vifs plaisirs de mon enfance. J’avais découvert, grâce à mon Maître, la joie d’apprendre et celle, ô combien subtile, d’entrer dans ce merveilleux monde de la littérature. Nous avions un manuel, le ‘Souché’, intitulé ‘‘La lecture littéraire et le Français’’ dont je dévorais littéralement les pages, passant de Zola à Victor Hugo, de Maupassant à Rousseau. Å l’heure où j’écris cet article, ce compagnon de jeunesse est près de moi avec sa couverture mauve un brin défraîchie, avec ses illustrations en noir et blanc, ses pages jaunies à la typographie parfois incertaine. M’en séparer serait pour moi une perte irréparable. Pour cette raison je lui ai attribué une place insigne parmi les piles de livres de ma bibliothèque.

 

   Mardi 12 Octobre 1954 - Matin

 

   Après trois longs mois de vacances, nous voici de nouveau sur les bancs de l’école. Les vendanges viennent tout juste de se terminer, les terres sont labourées de frais, les premiers coups de fusil signalent la présence des chasseurs occupés à traquer le gibier. Les matinées sont fraîches déjà et il n’est pas rare que l’aube ne se lève parfois à la limite de la gelée blanche. Il faut se couvrir et les manteaux sont de sortie annonçant un hiver qui promet d’être rude. Les ‘grands’ de la classe de Fin d’Etudes apprennent aujourd’hui une poésie de Lamartine, tirée de ‘‘Milly ou la terre natale’’. Je suis attentif à ce qui se passe dans la rangée de pupitres à côté et j’écoute avec attention les explications de Monsieur Carrier sur la célèbre phrase ‘‘Objets inanimés, avez-vous donc une âme’’.

    Je crois bien me souvenir des commentaires badins de mes camarades de classe, lors de la récréation qui suit. Pour eux, seuls les hommes et les animaux ont des âmes, tout le reste n’est que fantaisie et poudre aux yeux. Ce que je dois m’avouer, à ce moment-là, c’est que je suis troublé profondément par cette question de savoir si les choses vivent d’une manière autonome, si elles possèdent un genre de conscience, si elles peuvent réfléchir, ressentir, enfin si on peut définir le statut des objets en dehors de leur pure matérialité, de leur apparente inertie ? Ce que je crois, en réalité, c’est que le monde inanimé vit sa propre vie, à notre insu. Un arbre éprouve-t-il des sentiments ? Un ruisseau qui coule vers l’aval, a-t-il conscience de la durée ? Un artichaut dont on savoure les feuilles, ressent-il de la douleur ? C’est là une de mes préoccupations de ce temps voué aux découvertes de tous ordres. Il s’agit d’apporter une réponse à cette troublants question. Un problème non résolu est toujours source de soucis et de nuits blanches, autant les éviter !

   

    Fin d’après-midi

 

   La classe vient tout juste de se terminer et chacun s’égaille dans le village, heureux de retrouver la liberté offerte par la rue tranquille de Beaulieu, par ses champs immédiatement accessibles. Ici la nature est généreuse qui offre tout ce qu’elle a, sans arrière-pensée. Charles Carrier m’a demandé de rester un moment après l’heure de la sortie afin de me confier les clés de l’école et de me préciser ses dernières directives. Il me demande d’arriver le lendemain aussi tôt que possible. C’est moi qui suis de ‘service’. Ma tâche consiste à ouvrir les volets, à ôter les cendres du poêle, à y mettre du petit bois, à préparer un feu pour radoucir les premières heures de notre présence en classe. J’apprécie le fait d’être de ‘service’. J’aime ces minces responsabilités. J’aime cette solitude entre les quatre murs de l’école. J’aime ce moment suspendu qui ne semble pas constitué de temps, seulement une manière de flottement infini avant que le monde ne s’éveille, que la rumeur n’enfle et n’envahisse les maisons et les champs.

 

   Soir-Nuit

 

   Etant de ‘service’, j’indique à mes parents que, demain, j’aurai à me lever tôt pour m’acquitter de la tâche qui m’a été confiée par le Maître. Je gagne donc mon lit de bonne heure, ai du mal à trouver le sommeil. Ces ‘‘objets inanimés’’ plus que de m’interroger, me tracassent. Il me faut tirer l’affaire au clair, faute de quoi les soucis vont inutilement faire mon siège. Il est à peine plus de minuit passé lorsque je décide de me lever. J’évite de faire le moindre bruit. Je passe devant la chambre de mes parents. J’entends le souffle alterné de leur respiration. Je sais qu’ils dorment. Je sais aussi que le premier sommeil est de plomb et que je ne risque rien à m’absenter. En moins d’un quart d’heure j’aurai vu ce que je souhaite voir. Vêtu d’un chaud blouson et d’un pantalon long, me voici dans la rue. Quelques centaines de mètres à faire et je serai à l’endroit où le mystère doit être éclairci. Bien sûr, la rue du village est vide.

   Je pousse le portail de la cour qui grince sur ses gongs en pivotant. J’ouvre le volet et la porte qui donne accès à la salle de classe. Côté rue, les fenêtres sont dépourvues de volet, elles sont rendues opaques au blanc d’Espagne, à mi-hauteur. Un réverbère situé à l’angle de l’école laisse couler dans la pièce une clarté laiteuse qui a peine à dissoudre les ombres. Un genre de clair-obscur qui fait penser à une nuit de pleine lune. Puisque je suis là, aiguillonné par ma curiosité, autant que j’accomplisse d’abord ma mission. Une fois le poêle garni, il ne restera plus, demain de bonne heure, qu’à craquer une allumette, je m’assieds à la place la plus éloignée de l’estrade et du tableau. Un instant je regarde fixement le mobilier, les globes au plafond, la grille noire qui entoure le poêle. Rien ne se passe qui pourrait m’alerter.

   Å gauche du tableau une carte ‘Vidal-Lablache’ avec les reliefs des montagnes, les vastes étendues des plaines, le réseau bleu des fleuves. Å droite, une gravure de grande dimension représentant une scène des ‘‘Misérables’’. On y aperçoit la tête hirsute de Gavroche qui s’inscrit dans l’ouverture pratiquée dans l’ossature de bois et de plâtre de l’éléphant qui a été installé par la volonté de Napoléon Ier sur la place de la Bastille. Je dois avouer que je suis fasciné par cette histoire si bien écrite par Victor Hugo, par ses multiples rebondissements. Cent fois j’en ai lu les aventures dans le ‘Souché’, cent fois j’ai rêvé à leur suite. Cent fois j’ai découvert, à chaque nouvelle lecture, un monde différent plein d’attraits et de mystère.

 

   ‘‘Objets inanimés’’

 

   Je conforte mon assise sur le banc de bois. J’examine la salle de classe avec toute l’acuité dont mes jeunes yeux ont le secret. Je suis bien, là, en dehors du monde, en dehors de toute inquiétude. J’aime par-dessus tout la fin de la nuit, les premières lueurs bleues de l’aube. Je ne sais si je me suis endormi mais il me semble que beaucoup de temps a passé depuis que je me suis occupé du poêle, y ai disposé le fagot auquel, tout à l’heure, je mettrai le feu et tous les yeux seront tournés vers les sursauts de la flamme, les crépitements des étincelles. Ce sera l’heure des retrouvailles, l’heure du deuil de la solitude. C’est curieux cette manière de double joie paradoxale qui dit le bonheur de la compagnie, le bonheur aussi de la solitude, leur subite confluence dans le cours d’un mince ruisseau. Je crois que, déjà, je vis l’existence sur le mode de la division, de la césure en même temps que sur celui de la rencontre. Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, toujours les choses s’annoncent dans le gris de la médiation.

   « Oh, Mômignard, qu’attends-tu pour me rejoindre ? »

   Puis un long silence qui a pour effet de glacer mon sang. Oui, à n’en pas douter, quelqu’un a parlé. Il ne s’agit nullement d’une voix familière mais de quelque chose d’étrange, pareil à un paysage inouï dont on ne peut dire le nom ni lui attribuer quelque emplacement.

   « Es-tu sourd, Marmot, je ne veux pas m’égosiller et il faut que tu m’entendes ! »

   Je lève insensiblement la tête. La carte ‘Vidal-Lablache’ est toujours au même endroit avec ses montagnes et ses fleuves qui s’étalent paresseusement. Mon regard glisse sur la forêt du tableau vert que ponctuent quelques traits blancs, quelques jambages, pleins et déliés mi effacés, témoins d’une récente écriture dont la brosse de feutre a supprimé la plupart des signes. Ma vue s’est maintenant portée sur la gravure des ‘‘Misérables’’. Oui, je ne rêve pas, c’est bien l’éléphant de la Place de la Bastille que je vois distinctement avec ses flancs de plâtre que traversent en maints endroits les quadrillages de fer rouillé qui lui servent d’armature. Au milieu d’une crevasse d’ombre, qui est l’ouverture pour entrer dans le ventre du pachyderme, un visage hilare, des cheveux en broussaille, un air narquois en même temps qu’accueillant, je pourrais dire resplendissant.

   « Å la bonne heure, Pierre, je croyais que tu ne voulais pas me voir, que ma présence te dérangeait, à moins que ça soit la carcasse de mon éléphant qui te pose un problème ? »

   Je m’entends répondre avec le naturel qui sied aux situations ordinaires, banales :

   « Mais, Gavroche, comment pourrais-je t’en vouloir, toi qui occupes mes pensées, avec qui je m’endors le plus souvent ? Il faudrait que je sois bien ingrat pour ne pas t’accorder la moindre attention ! »

   « Je me doutais bien », reprend Gavroche, avec le ton enjoué de celui qui sait que la partie est bien engagée et qu’il ne tardera pas à être le vainqueur du jeu qui s’annonce.

   Maintenant une corde se déploie depuis le trou obscur, parvient au sol avec un bruit sec. Adoptant une vue panoramique, je m’aperçois que l’éléphant de Gavroche a colonisé l’entièreté de la classe. Sa tête tutoie le plafond et se détache sur fond de solives enfumées. Ses pattes sont largement étalées, si bien que l’espace devant le pupitre du Maître est totalement occupé. Je me demande bien où Monsieur Carrier pourra trouver place, coincé qu’il sera entre le tableau et les flancs rebondis de cet animal qui n’a d’éléphant que le nom, tant sa facture est grossière, entamée par les ans. Et je dois dire que l’être que je suis à l’accoutumée, discipliné, aimant rien tant que l’ordre et l’harmonie, eh bien mon être ne se trouble point et ressent même en son sein une étrange griserie.

   « Viens donc me rejoindre, m’invite Gavroche d’une voix tout enjouée. Plus on est de fous, plus on rigole ! »

   J’approuve sans réserve cette spontanéité, cette attitude nauqoise dont ce bon Monsieur Carrier nous trace régulièrement le portrait dans ses ‘Leçons de Morale’, désignant ce genre de comportement espiègle de ‘grossier’ et de ‘rustre’. Je crois que, parfois, notre Maître exagère un peu afin que la leçon inculquée dans nos jeunes têtes y demeure un peu plus longtemps que ne dure la ‘Leçon de Morale’.

   Comme je dispose de bonnes aptitudes pour le grimper de corde, me voici en quelques secondes si près du visage de Gavroche que j’en distingue le moindre détail. Å ma surprise, sa figure, qui au premier abord peut paraître un brin hostile, semble des plus enclines à une prompte amitié. Nous sommes assis tous les deux sur le bord de l’orifice de plâtre, pareils à des spéléologues sortant d’un boyau étroit sous terre et se retrouvant en plein jour. Depuis le sommet de l’éléphant, les choses, en bas, me paraissent minuscules. Les tables des élèves sont de petits rectangles clairs. Le poêle est un jouet d’enfant. La rue, au-dessus du voile au blanc d’Espagne, ressemble au monde en réduction de Lilliput. Si des gens y passaient, ils ne pourraient qu’être des nains.

   « Viens, Pierre, que je te présente les deux Moutards que j’ai recueillis. Ils n’avaient rien à manger et tremblaient de froid. Qu’aurais-tu fait à ma place ? »

   Convaincu de la justesse de ma réponse, Gavroche continue sans même prendre le temps de connaître ma pensée.

   « Tu vois, ces Momignards, je ne les connais même pas. Je ne connais ni leurs prénoms ni leur âge. Je ne sais même pas s’ils ont des parents. Mais c’est égal, est-ce qu’on peut laisser ainsi dans le froid de la rue des Marmots grelotter sous les coups de la bise ? Il faut bien avoir un peu de cœur parfois. Ah, certes, c’est pas chez les Bourgeois qu’on peut trouver des bras ouverts, pas plus que chez les Grands de ce monde ! Ils ne pensent qu’à eux et pourvu que leur panse soit pleine, ils estiment que tout va bien. On est vite d’accord aves soi, ne crois-tu pas ? »

   Cependant Gavroche m’avait fait avancer dans le ventre sombre et encombré de sa demeure de bois et de plâtre. Il tenait un rat-de-cave à la main, qui fumait plus qu’il n’éclairait.

   « Méfie-toi des trous, me conseille Gavroche, tu pourrais retomber dans le monde d’en bas et ses tracasseries. N’es-tu pas bien ici avec notre Père Victor, avec Hugo notre bienfaiteur, lui l’Ecrivain des pauvres et des sans-grades ? Oui, bien sûr, ici, il y a les Thénardier et leur sombre bêtise, le sinistre policier Javert qui traque Jean Valjean, il y a surtout la misère partout répandue, comme il y a le peuple des rats dans les égouts. Mais, Pierre, tu le sais, ici on est dans une histoire ‘morale’ comme dirait votre bon Monsieur Carrier. C’est une histoire pour faire réfléchir et donner aux gens un peu plus d’espoir, peut-être un peu plus de bonté. Ça s’apprend tout ça. Il faut juste de la bonne volonté ! »

   Tout au bout de notre périple dans les ténèbres, il y a comme une lucarne qui s’ouvre sur le jour. C’est là la chambre secrète ou Gavroche trouve refuge lors des longues nuits d’hiver. Alors me revient brusquement en mémoire un court passage des ‘‘Misérables’’, lu de nombreuses fois dans le ‘Souché’ :

   ‘’ Le lit de Gavroche était complet : c'est-à-dire qu’il y avait un matelas, une couverture et une alcôve avec rideaux.

   Le matelas était une natte de paille, la couverture, un vaste pagne de grosse laine grise fort chaude et presque neuve. Voici ce que c’était que l’alcôve : le lit de Garoche était sous un grillage de fil de laiton comme dans une cage ; l’ensemble ressemblait à une tente d’Esquimau ; c’est ce grillage qui tenait lieu de rideaux. ‘’

   Me voici donc en pleine féérie. Est-ce qu’hier encore j’aurais pu imaginer une seule seconde que je me retrouverais, aujourd’hui, en compagnie de Gavroche et de ses deux hôtes, dans le ventre obscur de cet éléphant de cirque ? Oh combien les choses sont étonnantes. Parfois elles dépassent même l’imagination !

   « Plutôt que de rêver, Monsieur, tu ferais mieux de rejoindre le lit et de tâcher de dormir un peu en notre compagnie, je te trouve bien fatigué, bien ailleurs », ajoute Gavroche à mon intention, sur un ton un brin sentencieux.

   Que feriez-vous à ma place ? Tourneboulé comme je le suis par cette aventure sans pareille il ne me reste qu’à gagner le profond de l’alcôve, à me blottir tout contre mes nouveaux amis. Ce Gavroche est un copain épatant, ses petits réfugiés sont si touchants, si gentils.

   Encore quelques phrases viennent à moi depuis le lointain des ‘‘Misérables’’ :

   ‘’Les deux enfants se serrèrent l’un contre l’autre. Gavroche acheva de les arranger sur la natte et leur monta la couverture jusqu’aux oreilles, puis répéta pour la troisième fois : ‘pioncez !’ et il souffla le lumignon.’’

   Je m’amuse un instant des paroles délurées de Gavroche. Oh, combien j’aurais aimé que ce bon Victor Hugo parle de moi, signale ma présence ! Mais il ne pouvait le faire puisque je suis né bien après que sa vie a été accomplie.

   A peine cette idée effleure-t-elle ma tête embrumée et déjà je m’endors dans les dernières fumées du rat-de-cave.

 

   Mercredi 13 octobre - 7 heures du matin

 

   « Pierre, Pierre, lève-toi, je crois que tu as manqué l’heure et, en plus tu es de service ! Que va penser Monsieur Carrier ? Allons presse-toi ! »

   Maman est entrée dans ma chambre, un peu inquiète de me savoir en retard. J’ai du mal à me réveiller et mes idées sont floues, pareilles aux nappes de brouillard de l’automne qui commence. Je m’entends prononcer cette phrase incompréhensible pour Maman :

   « Mais où est passé Gavroche ? Et l’éléphant, tout de même, il ne peut pas avoir disparu ! »

   « Pierre, je te l’ai souvent dit, arrête de lire tes histoires le soir au coucher. Tu en rêves la nuit et au matin tu en as encore de bons restes ! »

   J’avale un rapide petit-déjeuner. Je suis dans la rue. Je suis devant la porte de l’école. Je suis dans la salle de classe, le cœur tremblant mais empli de joie à l’idée de retrouver mes nouveaux amis. La porte tourne en grinçant. Au sol, sur le parquet, quatre empreintes de poussière blanche. Quatre empreintes d’énormes pattes. Je dois m’en remettre à la réalité, l’éléphant a dû rejoindre la Place de la Bastille et avec lui s’envolent tous mes rêves d’enfance. Deux couvertures traînent au sol. Je les reconnais. Ce sont celles que Gavroche a récupérées au Jardin des Plantes. Surgissent à nouveau quelques passages du Souché :

   ‘’Gavroche fixa un œil attendri sur la couverture. ‘C’est du Jardin des Plantes, dit-il. J’ai pris ça aux singes.’

   Et montrant à l’aîné la natte sur laquelle il était couché, natte fort épaisse et admirablement travaillée, il ajouta :

   ‘Ça c’était à la girafe.’

   Après une pause, il poursuivit : ‘Les bêtes avaient tout ça. Je le leur ai pris. Ça ne les a pas fâchées. Je leur ai dit :’C’est pour l’éléphant’ ‘’

  

   7 heures 45

 

    Les premiers élèves ne vont pas tarder à arriver. Je me dépêche de faire disparaître les deux couvertures dans le cagibi à côté de l’école, il sert de fourre-tout. Je ne veux pas qu’il y ait la moindre trace du passage des personnages de Victor Hugo pour la simple raison que mes camarades me traiteraient de fou ou bien de grand rêveur, pour eux c’est du pareil au même.    Alors que je craque une allumette pour démarrer le feu dans le poêle, la porte d’entrée s’ouvre. C’est Touguy qui arrive le premier. Il me salue rapidement et va faire ce qui lui a demandé Charles Carrier.

   Sur le tableau, à l’aide d’une craie, il écrit :

 

Rédaction :

Dites ce que vous pensez de la phrase de Lamartine :  

‘Objets inanimés avez-vous donc une âme ?’

Donnez des exemples pour préciser votre pensée.

  

   « Vous avez de la chance, en Fin d’Etudes, d’avoir un sujet pareil ! »

   « Tu penses, répond Touguy un brin contrarié. Tu y crois, toi, à ces histoires de fous, que les objets ont une âme ? Comme si, tout à coup, Gavroche en personne pouvait descendre de la gravure là-bas, à côté du tableau, et venir jouer aux billes avec nous dans la cour ! »

   « Oui, les objets ont une âme, je réplique, d’ailleurs pas plus tard que la nuit dernière j’ai dormi avec Gavroche et ses deux petits protégés ! »

   Je ne sais pourquoi mais, soudain, j’ai osé l’impossible. Peut-être par simple provocation.

   « Bien sûr rétorque Touguy avec de l’ironie dans la voix. C’est même ce bon Victor Hugo qui vous a bercés, je pense ? »

   « Comment as-tu deviné ? dis-je. »

   Les premiers enfants arrivent dans la cour. Monsieur Carrier entre dans la salle de classe, nous salue. « Å la bonne heure, il fait bon. Merci Touguy d’avoir écrit le sujet de la rédaction. Je compte sur vous, les grands de Fin d’Etudes, pour faire vivre les objets et vos textes aussi par la même occasion ! Ça changera de l’ordinaire ! »

   Au travers des vitres le soleil pose sur le parquet ses premières flaques de clarté. Le brouillard se dissipe peu à peu. Le feu crépite dans le gros Godin gris. Les plumes Sergent-Major des grands dessinent leurs premières arabesques sur les pages blanches. « Objets inanimés … ». Sans doute, depuis les feuilles anciennes du ‘Souché’, Gavroche nous observe-t-il en silence. C’est si mystérieux les choses, c’est si troublant ! Ne trouvez-vous pas ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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