Photographie : Blanc-Seing
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Sommes-nous plus que ce lien
Qu’on dirait voué
Aux sombres abysses
Là sont les poissons
Aux yeux aveugles
Qui nous toisent depuis
Leur regard de méduse
Du plein de l’eau
Ils nous disent
Notre éternelle chute
Dans ces fonds
Qui ne sont que
Nos consciences torturées
Par le désaveu de vivre
Longs sont les jours de corde
Auxquels nous tendons
Le vide de nos cous
Ils enlacent nos existences
Avec l’insistance d’un présent
Qui ne connaît plus le lieu
De son heure
Ils nous pénètrent
Avec la force
D’un pieu chauffé
À blanc
Ils traversent
Notre dure-mère
Y gravent les stigmates
D’une incolore douleur
Alors nos mains
Battent le vide
Alors nos corps
Sont aux abois
Et les forêts alentour brûlent
Telle notre âme calcinée
Alors notre destin a l’épaisseur
D’une usure ancienne
D’une pièce de monnaie
Sans avers ni revers
Cette étroite carnèle
Ne faisant retour
Qu’à la vacuité
De son être
A quoi servirait-il
De méditer plus longtemps
Sur un sens à donner
A notre marche
Vers demain
Puisque demain
N’existe pas
Tout se défait
À être à peine touché
L’amante dont nous faisions
Le but de nos hasardeuses
Recherches
Voici qu’elle glisse
Telle la noire anguille
Dans sa nasse de fer
Quelques écailles seulement
En marquent le passage
Quelques ondes en indiquent
Le temps de perdition
Sommes-nous plus que ce lien
Qu’on dirait voué
A n’être que piège
Faux-semblant
Trompe-l’œil
Dont notre esprit
Ne saisirait jamais
Que les immatériels lacets
Ce tremblement de l’instant
Toujours déjà évanoui
Avant même le geste
De la capture
Ô trop déchiffrable nœud
Du destin poinçonné
Au chiffre du pathétique
Telle l’antique tragédie
Où Phèdre jouée des dieux
N’allume sa passion
Qu’à incendier son sang
D’un coupable amour
Qui l’aliènera
La reportant à l’impossible
La Mort est au bout
Qui attend son dû
Sommes-nous plus que ce lien
Qu’on dirait voué
A apparaître
Comme temps commettant
Ses basses œuvres
Serions-nous le lien lui-même
Maitre de son périple
Ou bien son jouet
Cloué au centre de la scène
Ce délire immémorial
Par lequel la tribu humaine
Trouverait l’espace
De sa propre agonie
Toute réponse serait de trop
Nous savons le berceau
De l’énigme
Depuis notre orageuse naissance
Tout attachement
Se délie constamment
Du fondement dont il a surgi
Que vienne le Jugement Dernier
Que vienne le trébuchet
Dans lequel nos actes
Seront pesés
A nous absenter
Nous sommes disposés
Tout comme le jour décline
Pour laisser place à l’ombre
Salvatrice de nos plaies
Toujours elles se referment
Le gisant de pierre est là
Qui attend le luxe
De nos corps
Ô lien dicible
De l’événement singulier
Paraître sur fond de néant
Le seul accueil
Qui nous soit réel
Il est don ultime
Don
Ultime
Existe-t-il
Une parole
Après ceci
Une
Seule
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