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14 juin 2018 4 14 /06 /juin /2018 07:51
Ils étaient là…

                    Œuvre : Barbara Kroll

 

 

***

 

 

Ils étaient là

Au large d’eux-mêmes

 

Ils étaient là et ne savaient

Le lieu de leur être

On les aurait crus arrivés

Au monde

Mais ils étaient encore

Bien en-deçà

Dans cette zone d’indistinction

Sans acte

Sans parole

Ils auraient voulu dresser

Leurs frêles esquisses

Contre la plaque du ciel

Dire des prières

Jeter en l’air des imprécations

Qui auraient étayé

Leur souci de vivre

Ils auraient voulu sculpter l’ombre

Y dessiner les branches d’un devenir

Mais l’ombre était dense

La nuit immense

Le futur un magma indescriptible

Leurs bras de simples ramures

Que leurs corps annexaient

A la façon d’inutiles territoires

 

*

 

Alors comment avancer

Sur ce sol hasardeux

On aurait dit une glace

Noire

Primitive

Sauvage

Enfermant des os de mammouths

De blanches défenses

Qui un jour surgiraient

Du sol nourricier

Pour délier les hommes

De leur volonté de vaincre

Leur hargne de dominer

 

*

 

Un très long temps

Il faudrait à l’humain

Pour sortir du marigot

Où sa condition le tenait

Empêtré

On ne sort si facilement

De millénaires d’abandon

De siècles de mutité

D’années de cécité

Car on tient encore

De la glaise collante

 De l’humus dense

De la racine qui toujours

Encombre votre ventre

A la façon d’un glaive

Dont on mourra

 

*

Terrible mémoire du corps

Qui jamais ne s’absente

La force est trop présente

Qui travaille le tréfonds

De la tumultueuse chair

Y trace les vergetures

D’un désir opalescent

 

*

 

Ils étaient là

Au large d’eux-mêmes

 

Ne sachant que faire

D’une vie qu’ils

N’avaient voulue

On avait décidé pour eux

Dans une nuit de violence

Et d’amour

De ce que serait leur sort

Une marche à l’aveugle

Sur les sentiers de la guerre

L’homme était né

Pour ceci

Guerroyer festoyer fossoyer

Partout étaient les stigmates

De l’errance mondaine

Partout les démences vulvaires

Les épilepsies phalliques

Partout la rage d’exister

Et les membres battaient le vent

Et les foules battaient le pavé

Harassées de désir

Suppliciées de plaisir

 

*

 

Oui car il y avait ivresse

De vivre contre vents et marées

Exister ou risquer de le faire

Tirer ici une bouffée de jouissance

Exhumer là une plainte tragique

C’était pareil

De toute façon les dés étaient jetés

On mourrait à petit feu

Avec ou sans Dieu

Avec ou sans Maître

Avec ou sans Soi

On ne s’appartenait même pas

 

*

 

Ils étaient là

Au large d’eux-mêmes

 

Larves dans leurs écrins de carton

On ne voyait ni leurs yeux

Ni leurs bouches

Leurs jambes étaient gourdes

Leurs cuisses torses

Leurs hanches bancales

Ici était l’eau gélive

Dont ils sortaient

Là le feu actif

Qu’ils rejoignaient

Cette éclisse de sang

Qui s’annonçait à l’horizon

De leur marche

Ils étaient pèlerins

Privés de culte

Acteurs d’une scène absente

Chemineaux cheminant

Dans leurs propres ornières

 

*

Ils étaient là

Au large d’eux-mêmes

 

Orphelins d’un sens à bâtir

 

Ils étaient là

Au large d’eux-mêmes

 

*

 

 

 

 

 

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