Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 août 2018 4 09 /08 /août /2018 14:01
Surgissement de soi

                   Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

   Ceci que nous voyons à l’horizon de notre être, cela existait-il au moins durant la parenthèse de notre sommeil ? Combien il est étrange de se réveiller, de s’extraire de la gangue sourde du songe, de s’arrimer au réel, d’en connaître la densité, d’en décrypter le message coloré, d’en mesurer la texture. C’est seulement parce que les choses résistent qu’elles se révèlent à nous avec leur coefficient de présence. Mais, pour autant, nous persuadent-elles de leur exister, de la nécessité de leur substance, du commerce dont, à notre égard, elles peuvent poser le fondement ?

   A parler vrai, elles ne s’inscrivent guère que dans le flou d’un passage, nous interpellant le temps d’un regard. « Trois p’tits tours et puis s’en vont ». N’ont-elles de justification qu’à, en retour, faire se lever l’esquisse de notre être ? Serions-nous arrivés au bout de nous-mêmes si les choses s’absentaient du monde, si le monde tirait sa révérence et disparaissait du lieu auquel nous le rencontrons ? Jamais nous ne sommes assurés de cette colline de terre qui monte en plein ciel, de ces deux arbres aux troncs d’ombre qui encadrent la colline et semblent la soutenir dans son exercice de parution, d’arrachement du Rien.

   Tout ce que nous voyons s’extrait-il de soi, comme si une puissance génésique interne en animait la puissance ? Un genre d’irrépressible sève de nature essentielle donnant à l’âme du bois sa forme, à l’écorce la force de son expansion, aux racines leurs assises afin que tout rayonne dans le pur advenir sans qu’il soit besoin du subterfuge d’un lointain et abscons démiurge. En ce moment de l’écriture - ce geste si singulier qu’il est source et clôture -, il nous devient urgent de conférer aux choses leur infini gradient de croissance, leur absolu pouvoir de liberté. Ainsi notre ego - cette invasive marée -, connaît-il son reflux et nous pouvons assister à la naissance de ce qui n’est pas nous en toute sérénité. Notre subjectivité en repos, le monde peut exister selon soi, faire phénomène la nuit, au plein d’une forêt pluviale, loin des hommes, en conservant la juste mesure de sa prétention à figurer à l’abri des yeux humains.

   Alors, « surgissement de soi » serait l’expression adéquate à toute parution dans l’ordre du possible. Liberté de l’arbre, de la feuille, du vent qui la pousse vers son destin de feuille. Certes de corruption mais de corruption assumée en soi, sans qu’il soit besoin d’une décision extérieure pour en confirmer le sens. Feuille immanente à soi, à son unique procès, protégée des assauts d’une transcendance qui, par essence, l’aliène dans son être. Cheminant dans ce paysage primitif, si près d’une esthétique originelle, nous ressentons soudain le besoin de nous détacher de cet horizon qui emplit le cercle de notre conscience. Ainsi, après que nous aurons contemplé la butte d’argile et les cariatides des deux arbres qui en soutiennent la manifestation, nous pourrons regagner l’abri de notre logis, libres de toute attente. Ce faisant nous procèderons à un double affranchissement : de la nature en son singulier phénomène, de notre propre destinée qui pourra s’assujettir à des amers successifs sans pour autant en faire des conditions de possibilité de notre condition existentielle.

   Libres de toutes choses sont les choses envisagées sous l’angle de l’égard qui leur est dû. En théorie, il ne saurait y avoir de hiérarchie qui déterminerait un ordre des vertus à commencer par la nôtre, humaine, dont l’animalière, la végétale ne seraient que de simples hypostases. Tout est appelé à être avec la même urgence, une identique détermination. Alors il faut croire à un esprit des choses, à une sensibilité, à une disposition à embrasser le réel avec enthousiasme. Autrement dit à une participation avec quelque sacralité. Enoncer un principe d’égalité, c’est rendre chaque présence à son être.

   C’est toujours la projection anthropologique qui place au centre du débat la posture des Existants que nous sommes dont toute périphérie n’est que pur accident, vicissitude et détail d’une fable. Au regard de laquelle nous serions poème. Cependant la Nature est le premier poème dont nous ne sommes  que les occasionnels sourciers. Souvent nous puisons à d’antiques fontaines alors que nous nous prétendons découvreurs et inventeurs de tout ce qui est sous le Ciel, sur la Terre. Certes l’Odyssée ne saurait s’inscrire sans nous. Toutefois ni le vent, ni l’amphore, ni les mythologiques Sirènes ne pourraient être soustraites à l’épopée qu’à en ôter le sens. Le sien. Le nôtre. Car toutes choses sont indissolublement liées ! Le surgissement n’est pas uniquement de notre fait, nous n’en sommes pas les uniques prescripteurs. Il demeure mystère. Or ce dernier n’est nullement d’obédience humaine. Il est ce pavillon battant l’air de tous les continents de la présence, sillonnant les mers parcourues de courants inconnus et traversées d’abysses aux yeux soudés de silence. Surgissons déjà de nous. Nous n’avons guère d’autres tremplins pour hisser notre image des archives du Temps, des coursives de l’Espace !

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher