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3 décembre 2018 1 03 /12 /décembre /2018 20:17
« Jeanne au pain sec »

                     « Sortie de prison »

 

                   Œuvre : André Maynet

 

***

 

« Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,

Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,

J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,

Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture

Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,

Repose le salut de la société,

S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :

- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;

Je ne me ferai plus griffer par le minet. »

 

« L’art d’être grand-père »

Victor Hugo

 

**

 

   Pour seul péché, Jeanne n’avait que sa nudité, sa naïveté et, pour tout dire, une franchise à toute épreuve.

 

Vraie, elle l’était bien au-delà d’une commune mesure

Vraie, elle l’était jusqu’à se dépouiller de toute vêture

Vraie, elle vivait sa vie auprès de la nature

  

   Mais c’est ainsi, les Fâcheux, les Thuriféraires et les Dévots ont tôt fait de vouer aux gémonies tous ceux qui, déviants, n’empruntent les mêmes sentiers qu’eux. Jeanne avait l’âme chevillée au corps, l’esprit arrimé à l’ouverture et sa conduite, en toute occasion, montrait la vertu d’une belle équanimité. Jugée par les Vilains, elle n’en poursuivait pas moins son entreprise, cueillir un frais myosotis ou bien un bouton de rose, dans le plus simple appareil qui se pût imaginer. Aux rues bruyantes des villes elle préférait volontiers l’ombrage d’un frais ruisseau, un chemin de campagne, le rebord d’une fontaine où se laissait entendre la chanson de l’eau. Il n’était nullement rare qu’un oiseau ami - geai des jardins ou bien pic-vert -, vînt se poser sur son épaule, pensant, peut-être, qu’elle était une statue destinée à servir de perchoir. Alors, combien de ses cruels Détracteurs se fussent attendris - du moins le supputât-on ! -, de voir un tableau si touchant.

 

L’oiseau en sa confiance

La jeune Vie en son innocence

 

   Mais, pour leur plus grand malheur, ou peut-être simplement leur confort douillet, les Trublions possédaient des yeux que la cataracte voilait, si bien que plutôt que de voir la beauté, ils n’en percevaient que l’envers. Ce faisant, leur libre-arbitre, entaché d’illucidité, les conduisait à ne considérer que leur propre personne, au titre de quoi l’enflure de leur ego n’avait d’égale que l’attitude des orgueilleux et des sots à se croire uniques, inclination dont on sait qu’elle est leur vice le plus commun. Cependant Jeanne n’avait cure de ces jugements qui, en réalité, n’étaient que le signe d’une insuffisance et d’une limitation de leur pensée. Elle se livrait à ses jeux favoris, cueillir une grappe d’air, suivre la course du ruisseau telle la libellule, saisir un rayon de soleil, enduire son corps d’un miel d’automne ou bien d’un vert printanier.

   Tout ceci, elle aurait pu en poursuivre la quête sans être inquiétée plus avant, si un Béotien, un jour, trouvant ses activités proches d’un acte de sorcellerie, ne s’était ingénié à attirer la Malheureuse dans un piège dont les mailles, inévitablement, conduisaient au sombre goulet d’une geôle. A dire vrai, la Belle Enfant ne s’étonna guère d’être ainsi traitée, le comportement de ses Commensaux, malgré sa candeur naturelle, lui était apparu souvent brodé des intentions les plus viles. Donc, des jours et des nuits durant, elle s’accommoda de ses privations, grignotant quelque croûte de pain sec, buvant à petites gorgées une eau saumâtre. Jamais elle ne voyait ses Cerbères, ses maigres provendes lui étaient livrées au travers d’un guichet, lequel se refermait avec un bruit sec dès la livraison effectuée. Seulement, ce que ne savaient nullement ses Oppresseurs, c’est qu’une âme droite, bien inspirée, a tôt fait de changer le plomb en or et, bientôt, ce qui était le plus sordide, les murs sales et étroits, la noirceur ambiante, l’aspect sinistre des lieux, tout  se métamorphosa en un lieu doué des plus beaux raffinements.

   Se moquant de ses Inquisiteurs épisodiques, les prenant pour ce qu’ils étaient, des Censeurs à la morale étroite, Jeanne au plus haut de sa poésie, se hissa sur le rebord d’une cloison en tout point semblable à une blanche falaise, dans la posture abandonnée mais nullement provocatrice d’une Jeune Fille aux mœurs pures, aux désirs apaisés, aux intentions les plus pacifiques.

 

Vis-à-vis de ses Contempteurs

Elle n’éprouvait ni rancune

Ni sentiment de vengeance

C’eût été leur faire trop d’honneur

De leur offrir telle lacune

Pareille à une intempérance

 

   On ne déteste jamais que ceux que l’on a trop aimés, ainsi ne pouvait-elle éprouver à leur égard nulle compassion. Son nouveau cadre de vie, tout à son image, se dévoilait sous la manière d’une teinte uniforme, telle celle que l’on aperçoit au travers des murs de papier huilé des maisons de thé. Sa tête était logée dans l’ovale d’un fichu blanc. On eût dit la figure d’une première communiante, sauf qu’elle ne partageait aucun dogme avec quelque religion ou secte que ce fût. En quelque sorte elle était, elle-même, sa propre source d’inspiration et les autres et le monde ne se donnaient que dans un genre de nébuleuse semblable aux anneaux de poussière et de glace qui entourent les planètes. Jeanne était une parenthèse de l’espace et du temps, un pur phénomène qui dépassait l’entendement, un génie issu de la cornue d’un savant fou. Cependant elle n’avait nullement l’esprit du Malin, pas plus que le sourire séraphique de l’ange. Elle était humaine plus qu’humaine au titre de ses multiples vertus. Elle était humaine moins qu’humaine en raison de son retrait du monde et de ses habituelles affèteries. Hors de la multitude des Curieux et des Vindicatifs, elle n’était occupée que de vivre en harmonie avec le cadre qu’elle avait créé à la seule hauteur de son imaginaire. Car, au rebours de ses Détracteurs, ses facultés étaient grandes qui faisaient du réel le plus ordinaire, l’espace d’une entière félicité.

 

N’avait nul besoin de se sustenter

Un nuage d’air suffisait à assurer sa satiété

N’avait nul besoin d’être regardée

 

   Le sentiment de sa conscience intime la comblait au plus haut point. L’effacement de ses aréoles, la modestie de son sexe, qu’une main chaste dissimulait, disaient son peu d’attrait pour la chose d’Eros. Ses jambes sagement croisées signaient le retrait, la modestie, l’accueil du simple et de l’à peine proféré. Elle était une sorte de Fée du silence et de l’accord, si bien que rien ne troublait l’harmonie dont elle était, tout à la fois, le centre et la périphérie. Cependant, que nul n’aille en déduire que Jeanne tutoyait quelque figure céleste de Sainte ou bien de Vierge annonciatrice des Temps Nouveaux. Elle n’avait nulle vocation de Prophète, nulle intention de faire bouger quoi que ce fût dans l’ordonnancement des choses.

   Ce qu’elle demandait, la faveur qu’elle attendait de l’existence, être selon elle et n’avoir à référer à personne de qui elle était en son fond. Sa nudité, que certains Quinteux tenaient pour pure perversité, n’était que la face de sincérité qu’elle tendait  aux autres sans affectation ou calcul, simplement une naturalité au sens strict, l’émanation de la Nature dont elle était l’exacte donation. Les deux colonnes de style dorique - le plus simple des trois ordres grecs -, qui soutenaient un invisible plafond se donnaient tel le symbole du dépouillement, de même que cette flûte de vin de Champagne s’annonçait tel le breuvage des dieux. Et cette échelle dont elle dominait le dernier barreau, fallait-il faire preuve d’une cécité intellectuelle pour ne pas l’entendre comme un sommet atteint, une hiérarchie accomplie qui ne pouvait déboucher que dans l’orbe du Souverain Bien ou de l’octroi d’une grâce. Ses Censeurs, plutôt que de l’avoir recluse dans un lieu de perdition, avaient créé les conditions mêmes de sa propre assomption. Libre des autres, du monde, elle rayonnait, ici, au centre du calme et du silence, telle la Reine des abeilles au sein de la ruche où coule une merveilleuse clarté. Elle n’entendait ni ne voyait les scènes de la « Comédie Humaine ». Elle méditait longuement sur les stances du temps que les Pressés parcouraient en tous sens sans bien en percevoir la « douceur de soie ». Peut-être, n’y avait-il que ceci à découvrir, là dans le recueil d’une existence : « la douceur de Soi » ! Le reste, plausiblement, n’était-il qu’illusion !

 

 

 

 

 

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