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4 janvier 2019 5 04 /01 /janvier /2019 14:47
Vit-on jamais au présent ?

   « Le passé, est déjà passé.

Le futur, n’est pas encore arrivé »

 

        Œuvre : Dongni Hou

 

***

 

   Peut-on jamais dire un être, préciser son territoire, tracer les contours au gré desquels inscrire sa singularité ? Il y a tellement d’étranges confluences, de confusions et la terre est traversée en tous sens d’itinéraires qui, les uns les autres, s’annulent. Disons, c’est un matin gris pareil à tous les matins du monde. C’est à peine si tu es éveillée, encore attachée à quelque songe qui, nuitamment, t’a requise comme cette ombre que tu devais figurer, mais fuyante, mais immergée dans le marigot des soucis qui, toujours, jettent leurs lianes convulsives à l’entour des choses. En réalité tu ne t’appartenais guère. Mais, chacun le sait pour l’avoir éprouvé, le rêve nous ôte d’une main ce dont il nous fait l’offrande de l’autre. Raison pour laquelle le matin nous trouve hagards, apatrides, privés de la chair dont nous estimions être tissés. Nous ne sommes incarnés qu’à tenter de répondre à la sourde matérialité du monde. D’abord, nous nous éprouvons esprits jetant aux quatre horizons de la pensée, quelques feux afin que notre nuit, éclairée, prenne sens. Ensuite, nous nous sentons âme, c'est-à-dire principe aliéné dans sa geôle transitoire. Nous n’avons que la liberté pour point de mire et c’est à défaut de la posséder que nous errons en nous avec le supplice entaillant les rémiges dont nous aurions voulu qu’elles se déploient, non qu’elles demeurent celées, collées à ce corps qui nous entrave et nous aliène.

   Donc c’est un matin (il est si difficile d’échapper au doux supplice de la métaphysique), mais t’es-tu seulement aperçue, dans le reflet d’un miroir, dans le regard d’un autre qui aurait peuplé ton horizon ? La certitude du regardeur que je suis : tu es seule parmi le vaste monde, grise comme la poitrine du pigeon, la lumière du galet, le ciel lorsque s’invente la neige et que s’installe le long hiver. Ce que tu es, voici : en dette de toi, jamais assurée de qui tu es puisque, même ta parole résonne dans le vide que nul écho ne ramène. Tu entends au loin ton souffle perdu. Tu entends les battements de ton cœur pareils aux faibles sursauts d’une bête blessée. Tu entends comme un clapotis au large de toi, tu essaies de l’envisager à la façon du bruit de tes talons martelant le sol mais la glaise sur laquelle tu penses marcher s’efface à mesure que tu en traces l’évanescente mémoire. Il y a bien, quelque part, la scansion éruptive d’un tamtam et, tu le sais, c’est ton imaginaire qui frappe au coin des choses et revient à toi avec le souffle du vide. Aussi, tu as beau prier tes cheveux de couler doucement sur le dôme de tes épaules, convoquer tes yeux à la fête mondaine, supplier la plaie de ton ombilic afin qu’elle s’ouvre, demander à ton sexe de proférer le langage de l’amour, rien ne répond qu’un dialogue sans sujets, qu’une scène de théâtre sans acteur, qu’une estrade où se donne à entendre l’inaudible chant des étoiles.

   Voici, tu t’es retournée. Mais que guettes-tu donc qui t’aurait échappé ? La trace d’un soupirant ? La parole amie et l’onction d’un réconfort ? Le paysage sublime qui pourrait enchanter ton âme romantique ? Mais cesse donc de produire ces enfantillages qui ne mènent à rien, si ce n’est sur le bord de ta propre perdition. Je vois bien, à ton air inquiet, que quelque chose t’effraie. Que quelque chose te poursuit avec quoi tu es en délicatesse. C’est ton sentiment d’exister qui, en fait, poudroie dans l’éternel silence des choses non dites, lesquelles transitent à bas bruit dans tes yeux bordés de cécité, dans tes oreilles qu’obstruent des bouchons de cire. Oui, tu es dans l’esseulement de toi, le seul qui soit jamais réel. L’esseulement des autres ne te concerne pas. Il n’est qu’une buée, qu’un vague archipel où battent les eaux lourdes de l’indistinct, de l’impalpable. Et puis, les autres, ces fuites à jamais, tu crois les placer en ta garde et ils sont déjà loin qui rient de ton dépit. Ils n’attendent qu’eux-mêmes et ce souci les interpelle si fort que, des alentours sur lesquels tu vis, ils ne perçoivent même pas le faible tremblement que tu émets. C’est pareil à la chute d’une amande dans la forêt pluviale, personne n’est là pour en attester la modeste présence. Tu es inaperçue et cette terre dont tu pensais naïvement être le centre, voici qu’elle te réduit au statut d’étrange objet lunaire perdu parmi les girations des sphères célestes.

   Tu vois bien que tu ne réussis même pas à émerger du fond sur lequel tu reposes. Gris sur gris, y aurait-il plus affligeante métaphore pour dire le non surgissement du néant, la marche sur place du mime, laquelle, sans doute, est la figure la plus aboutie de la dimension aporétique dont, tous, nous ne sommes que les tremblantes effigies. Dans la cellule monastique de ta tête, j’entends se cogner, tels des osselets d’ivoire, des phrases qui ne signifient rien : « Le passé, est déjà passé ;  le futur, n’est pas encore arrivé». Outre que ce ne sont que des truismes, des sortes de jeux d’enfants dans une cour vide battue par le vent, que t’apportent donc ces remuements de matière grise hormis la certitude que l’instant présent, qui jamais ne se détache ni de sa généalogie, ni de sa descendance, n’est que miroir aux alouettes, « poudre de perlimpinpin » pour filer la métaphore scolaire et doucement enfantine. Toi, à l’instar de tes semblables, vous vous rattachiez, comme le bateau à son môle, à cette folle certitude que le temps existait qui portait témoignage de votre passage entre deux infinis. Mais, vois-tu, au final, c’est l’infini qui se présente comme le seul vainqueur. Ne feins pas de croire à toutes les simagrées que t’envoient les phénomènes, ils ne sont là qu’à te réduire en Ophélie, à te dissoudre dans le marécage des questions inopportunes. Le temps qui, soi-disant, tisse ton être, en écrit l’alphabet, en dresse la possibilité d’exister, n’est-il autre chose qu’une fable, une légende, un mythe inventés par un sombre démiurge ayant forgé à ton intention les outils mêmes par lesquels procéder à ton immédiate disparition ? Ramène-moi donc du temps. Concret, palpable, incarné et je souscrirai immédiatement à ta fougueuse hypothèse de vivre. Oui, je souscrirai !

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