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4 décembre 2020 5 04 /12 /décembre /2020 13:07
Ceci que nous détruisons

                  

Ceci que nous détruisons, nous hommes de peu de conscience, jamais nous ne le reconstruirons. Les murs de Jéricho se sont écroulés, la Tour de Babel n’est plus qu’un vague édifice d’argile plaintive, Ninive a disparu que nul moderne empire assyrien ne viendra édifier à nouveau. Les choses sont immensément corruptibles et, pour cette raison, nous devrions les considérer avec le plus grand respect. Ceci serait à notre honneur et nous n’en tirerions que de grandes et renouvelées satisfactions. Le monde est fragile, pareil à une boule de cristal qui se briserait sous l’assaut d’ondes sonores. Toutes ces assertions sont autant d’évidences dont nul n’ignore la portée. Même un tout jeune enfant en comprendrait la signification interne. Cependant, nous les membres du peuple adulte, continuons notre cheminement au risque de nous perdre et de perdre, en un seul et même geste, cette terre qui nous accueille et nous nourrit, nous émerveille souvent, nous réconforte toujours.

   Pourrions-nous nous  imaginer, un seul instant, poussant notre destin devant nous, nous affranchissant de la colline à l’horizon, du pic de la montagne perçant le bleu, des vagues océanes qui, souvent, sont le lieu de nos rêves les plus féconds ? Pourrions-nous ? Bien évidemment, non. Pour la simple raison que nous ne sommes que des formes s’enlevant sur un fond et ce fond est cette planète qui nous a créés de toutes pièces. Aussi lui sommes-nous redevables d’un minimum de respect. A cet égard nous sommes en dette, mais beaucoup l’oublient qui, de l’univers, ne veulent apercevoir que leur propre silhouette. Narcisse éclipsant la terre dont il est le fils. Le fils ingrat, bien entendu. ! Mais Narcisse le sait-il au moins ? Ou bien feint-il d’oublier sa propre provenance ? Ou bien s’ingénie-t-il à s’aliéner lui-même au gré d’une cécité qui semble l’arranger, au moins provisoirement ? Se doute-t-il que les comptes seront soldés plus tard ? Et que, précisément, il sera trop tard pour faire machine arrière, réinventer le monde, le doter d’une virginité dont il n’a même plus le savoir.

   Ce qui, sans doute, est le fait le plus confondant de la condition humaine est cette propension des individus à ne tenir compte que de soi, à se placer dans la lumière (ce n’est nullement celle de la raison, il va sans dire !), à se donner en spectacle comme s’il s’agissait de la Divine Comédie dont ils seraient les uniques et merveilleux protagonistes, figurant cette Terre fixe au centre de l’Univers avec la ronde des neuf cieux les portant comme des visages d’exception dont tout autre ne serait que le pâle reflet. Certes, constater ceci n’est nullement résoudre le problème. Peut-être conviendrait-il d’en informer les jeunes générations à un âge où la plasticité psychologique et intellectuelle permettraient une perception adéquate du réel et une possibilité d’interaction intelligente avec l’environnement ?

   Faire prendre conscience d’une question, fût-elle essentielle, ne semble pouvoir s’effectuer que de deux manières opposées : soit en décrire les côtés négatifs, soit en décliner les aspects positifs et les situer en tant que manques, privations, possibilités de joie auxquelles l’homme renoncerait au prétexte d’une satisfaction immédiate. Car le proche, le proximal, l’à-portée-de-la-main sont toujours préférés aux brumes diaphanes des lointains. Comme si les humains, affectés de myopie, ne s’en remettaient qu’à du constatable imminent, à du préhensible, à du donné-pour-sûr, toute autre hypothèse non perceptible étant assimilée à un songe ou une fantasmagorie. Certes, être homme, dans la perspective existentialiste, c’est se constituer en tant que projet, à savoir développer une éthique et se donner pour motif permanent celui de la responsabilité. Devant les autres, bien entendu. Devant soi, ceci constituant la première pierre de l’édifice. Dans cette optique, il convient de renoncer à l’historique formule émise par les Français lors de la bataille de Fontenoy «  Messieurs les Anglais, tirez les premiers ». Parfois convient-il d’armer son mousqueton et de viser, le premier, la cible des valeurs. Ne pas attendre que quelqu’un, se substituant à vous, vous décharge d’une tâche dont, toujours, vous remettez l’exécution à plus tard.

   Mais voyons cette positivité dont l’homme paraît vouloir faire l’économie au regard de son comportement pressé. Il y aurait mille exemples à convoquer. Contentons-nous de nous reporter à la beauté, ce transcendantal qui est pure vérité que, cependant, l’on omet souvent de considérer. Peut-être la croyons-nous tellement coalescente à notre essence que nous n’aurions même plus besoin d’y faire référence. Elle irait de soi, en quelque sorte. La beauté, regardons-là faire ses belles irisations dans un paysage.

Ceci que nous détruisons

Soudan - Sahara oriental

Source : France-Culture

 

   Ce paysage, choisissons-le comme la nature en son exception. Dunes du Soudan qui sont une immense mer de sable aux étendues illimitées. Le ciel est d’or et de platine portant en lui la confluence de la rumeur solaire et du brouillard de particules en suspension. Le ciel, déjà, est pure magie. Seulement, sous ces horizons, il présente cette nébulosité où tous les imaginaires humains pourraient trouver à se loger. Au loin, les collines de sable orangé se perdent dans un étrange moutonnement. Quelles aventures s’y dessineraient dont nous n’apercevrions même pas l’once d’une réalité ? Plus proches, des ridules infinies, de sombres nervures qui parcourent la plaine en la dotant de la signification de l’air, sans doute des assauts d’humeur des haboobs, ces vents tourbillonnants qui sculptent ce qui reste de la poussière de roche originelle. Quelques coulées d’ombre se répandent sur les versants opposés à la lumière solaire, ils jouent avec les parties plus claires, ils dessinent les motifs d’une étonnante esthétique. Etrange pouvoir de fascination de ces reliefs qui, jadis, ont appelé explorateurs et découvreurs de nouveaux horizons, religieux en quête de spiritualité. Nul ne saurait être insensible à la perfection de ces espaces ourlés de silence qui sont les lieux de la rencontre de l’homme avec lui-même. Plus de distance. Plus de possible fuite. Tout est là, étendu devant les yeux, qui nous invite à la plus sobre des méditations. C’est toujours ce sentiment de plénitude qui nous atteint face aux paysages géologiques, aux majestueuses montagnes, aux larges plateaux qui courent librement sous la caresse infinie du ciel.

   Mais, à cette admiration, doit faire suite une réflexion. La beauté nous ne pouvons la faire nôtre sans reste, sans que nous nous interrogions à son sujet. Le problème qui affecte les vastes étendues sahariennes consiste en ceci que leur éclat est second, qu’il résulte d’une autre grandeur qui les a précédées. C’est à l’histoire d’un temps long que nous sommes convoqués, immémorial, préhistorique en un mot. Oui, aujourd’hui, combien il est difficile, pour nous hommes pressés cybernétiques, d’imaginer cette vaste étendue désertique riante tel un vert paradis, une oasis avec sa fraîcheur et ses mares d’herbe verte. Car, en cette époque si lointaine qu’elle paraît n’avoir jamais existé, en ce lieu aujourd’hui vide de présence, vivaient le peuple des éléphants et des girafes, celui des antilopes et des phacochères. Quant à l’environnement, il était constitué de lacs et de rivières, de forêts développant leurs épaisses frondaisons le long de vifs cours d’eau. Ce qu’il en reste aujourd’hui, quelques ossements, des céramiques, des objets de parure, de magnifiques œuvres d’art rupestre, des perles et des silex taillés devant lesquels nous sommes tels des enfants ravis. Prodige du génie humain lorsqu’il se projette dans d’inouïes inventions.

Ceci que nous détruisons

Pointes de flèches du Néolithique - Tilemsi

Source : Musée National de la Préhistoire

 

 

   Nous parlions de « beauté seconde » à propos du désert, ici nous devons parler de « beauté première » pour la simple raison qu’elle détermine celle qui la suit, obligation pour cette dernière de se remémorer le lieu de son origine. C’est un peu comme si les dunes de sable n’étaient que des réverbérations, à des millénaires de distance, des forêts, lacs et rivière qui tissaient la belle harmonie d’un monde vierge de toute trace de dégradation. Entre ces deux extrêmes, un facteur explicatif, celui du réchauffement climatique dont, en notre temps présent, nous parlons sans même bien en saisir tous les enjeux. Entre les deux, la grande marche cyclique du climat. Entre les deux, le  vertigineux emballement du progrès et ses inévitables conséquences. Actuellement, nous ne faisons qu’en payer les premiers excès, le pire sera pour plus tard, cependant dans un proche avenir car l’idée même du temps et sa marche ont subi une étrange condensation de leur être. Le temps court a remplacé le long qui était la véritable mesure humaine. Celui que l’on vit quotidiennement  est celui des machines et de la déshumanisation. La vitesse n’a rien de bon lorsqu’elle affecte les comportements des existants. Des vertus seulement pour quelques uns qui peuvent en embrasser la forme, des vices pour les plus nombreux qui n’en peuvent soutenir le rythme. C’est ainsi, en toute société, certains servent de variable d’ajustement et ceci, bien évidemment, ne peut que se nommer injustice. Nous ne sommes nullement égaux devant le réel, aussi faut-il s’ingénier à en combler les lacunes. Mais dans ce domaine la tâche paraît immense et nous en éprouvons la dimension proprement vertigineuse.

   Ici, sur cette terre martyrisée, vient d’avoir lieu « La marche du siècle ». Des centaines de milliers de jeunes consciences se sont levées pour témoigner de la grave crise du climat, attirer l’attention des gouvernants sur l’urgence d’une action à entreprendre car, bientôt, il sera trop tard. Ce « trop tard », voici des décennies que des scientifiques tirent la sonnette d’alarme dont à peu près personne ne semble entendre le son identique à celui du tocsin.

   « On a besoin d’un changement radical de société. Huit Français sur dix demandent qu’on taxe beaucoup plus lourdement les entreprises les plus polluantes. On est de plus en plus nombreux à être prêts », assurait le réalisateur et écrivain Cyril Dion lors de la marche de samedi. (Source : Le Monde).

   Oui, « besoin d’un changement radical de société ». Les coutures craquent, les équilibres sociaux deviennent fragiles, à la limite de la rupture. Ceci indique le drame d’une mondialisation à rythme forcé qui n’a cure des conséquences et poursuit son œuvre sans même se retourner. Le problème est extrêmement préoccupant et, sans doute, aucune civilisation, jusqu’ici, n’avait été victime d’un tel emballement. Les machines sont de plus en plus puissantes, les capacités de calcul exponentielles et c’est un monde atteint d’une forme de paranoïa qui se développe dont, cependant, la croissance pourrait bien être stoppée en plein élan. Les mutations sont trop rapides qui mettent en opposition la faculté naturelle d’adaptation de l’homme, selon un rythme lent, et la rapidité d’évolution des bouleversements sociaux, culturels, économiques qui agitent notre société infiniment consumériste. Si le siècle des Lumières était celui des lettres, le nôtre est celui du chiffre. Or la quantité n’a jamais bâti de grands empires mais constitué le fondement d’immenses désastres. Seule la qualité, l’attention à la nature exacte des choses, peuvent être source d’un progrès positif. Toute visée strictement établie sur la gestion des stocks et l’accroissement de profits toujours plus élevés conduit à une impasse. C’est ceci qui affecte les civilisations dont le caractère est d’être mortelles.

   Oui, « La marche du siècle » se pose comme une nécessité devant l’Histoire, mais ceci ne suffit nullement à assurer son succès. Il lui faut dépasser la valeur symbolique dont notre société est friande, instituant, tour à tour, une journée pour le braille ; l’éducation ; la mémoire des victimes de l'Holocauste ; la tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines ; des légumineuses ; des femmes de science ; de la radio ; de la justice sociale ; de la langue maternelle, et la liste serait longue, s’accroissant chaque année qui passe d’une dette vis-à-vis d’une nouvelle cause. Si le sujet n’était si grave, ceci prêterait à sourire, manière d’inventaire à la Prévert qui n’aurait d’utilité que précaire, si vite oubliée qu’elle ne laisserait nulle trace dans la mémoire. Est-ce pour se donner bonne conscience que l’humanité recourt à ces reconnaissances successives ? Les esprits sont-ils touchés en leur fond ? Ou bien tout ceci se fond-il dans l’air du temps ?

   « Huit Français sur dix demandent qu’on … », oui, la tribu des  « yaqu’à-faut-qu’on » est immense, mais ces Français s’interrogent-ils sur leur propre contribution ? Attendent-ils que les autres se mettent en marche ? («  Messieurs les Anglais, tirez les premiers »). C’est bien là le problème de toute revendication de masse, c’est d’abord de considérer cette masse comme devant agir,  avant que de se remettre soi-même en question. Certes les gouvernants ont une responsabilité, les dirigeants de grandes entreprises également. Mais nous, les citoyens ordinaires que faisons-nous pour tâcher de sauver le climat ? Consentons-nous à moins consommer ? A moins voyager ? A utiliser les transports en commun ? A recycler nos déchets ? A renoncer à notre consommation de viande afin que le monde ait enfin suffisamment de nourriture ? Mais la liste serait aussi longue que fastidieuse et chacun sait, au fond de lui, quelles sont les attitudes bonnes pour la planète. Nul besoin d’un guide ou d’un coach, ces entités superfétatoires et vampiriques qui prétendent penser à notre place. C’est d’abord de soi, de sa propre décision intérieure, que vient la réponse au problème du climat. Ceci s’appelle éthique et il convient de se remettre personnellement en question avant même de désigner quelque bouc émissaire.

   Mais, bien évidemment le problème est mondial, ce qui augmente considérablement sa difficulté de proposer des solutions adéquates. Comment lutter contre les grands propriétaires fonciers ? Contre la corruption ? L’usage de la drogue ? L’utilisation des pesticides ? Les déforestations à grande échelle ? La pollution des mers ? L’urbanisation à outrance ? L’envahissement du ciel par les avions de plus en plus nombreux ? Réduire l’usage des énergies fossiles ? Poser toutes ces questions complexes, en un sens, est prononcer leur évidente irrésolution. En réalité, au fond des consciences, chacun est amarré à ses propres biens, à son confort, ses habitudes, la possession de ses avoirs. Caractère d’une individualité qui, couplée aux ravages d’un ego pluri-dimensionné, détermine des comportements qui ne prennent en compte que l’aire étroite du soi. D’un soi tyrannique qui, du monde, ne voit rien d’autre que les propres satisfactions qu’il peut en tirer, assouvissement d’un éternel désir qui, jamais, ne parvient à étancher sa soif. Adultes, ou croyant l’être, nous nous comportons tels des enfants gâtés à qui tout est dû, jusque et y compris ces parcelles du monde que, chaque jour, nous phagocytons sans même percevoir combien notre conduite est mortifère.

   Statistiquement, les plus grands pollueurs sont les fameuses CSP+, autrement dit les catégories socio-professionnelles les plus favorisées qui possèdent résidences principales et secondaires avec piscine, roulent dans d’imposants 4X4, voyagent en avion, pratiquent le ski, consomment à tout va. Les autres, les plus démunis, polluent aussi, c’est une évidence, mais ils polluent plus « modestement » pour la simple raison qu’ils n’en ont guère les moyens et que leurs véhicules anciens dispersent les particules dans l’atmosphère. Afin de les brider, certaines villes d’obédience pourtant sociale, leur interdisent l’accès lors des pics de pollution afin que l’air devienne respirable. Alors que peut donc le pot de terre contre le pot de fer ? Que peut le pauvre contre sa pauvreté, si ce n’est l’assumer en évitant les coups ?

 

Ceci que nous détruisons

Un dessin humoristique, publié sur le blog de Gaïa, colibri

lanceuse d'alerte, et relayé par Demain l'homme. 

  

   Alors devant tout ce grand bazar, de géniaux économistes ont inventé le concept de « décroissance ». Sans doute, dans le fond, ont-ils raison. Mais qu’en est-il de la réalité ? Vous en connaissez, vous, des braves gens qui consentent à retourner à la case départ, à se serrer la ceinture, à substituer à leurs provendes habituelles les repas frugaux les assurant d’une bonne santé, en même temps qu’ils participeraient au bonheur de l’humanité ? Certes des écologistes, des vrais, autrement dit ceux qui fonctionnent selon une éthique, il en existe, certes des vertueux qui roulent à vélo, des généreux qui cèdent leur place pour la laisser à d’autres, certes des charitables qui ne se servent qu’après s’être assurés que leurs semblables y trouveront leur compte. Mais, à l’évidence le vice est bien plus répandu que la vertu et l’homme étant l’homme, c’est la condition humaine qu’il faudrait changer en sa totalité. « Qui est prêt à changer ? Mais à réellement changer ? ». Cette seule et unique question contient tous les possibles après lesquels l’humanité court depuis qu’elle est humanité. C’est comme la superbe rose. Il faudrait revenir au bouton originel et s’assurer de son déploiement exact afin qu’elle ne se fourvoie dans une prolifération anarchique qui lui serait fatale ! IL FAUDRAIT !

 

Ceci que nous détruisons

Source : A l’Encre de vos Mots

 

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