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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 17:48
Petit Prince et la Beauté

" Ici, tout s'arrête et tout recommence "

 

« Grande marée, la semaine dernière

flux et reflux

la mer a disparu

flux et reflux

c'est l'étal, le vent s'est tu

flux et reflux

ici, tout s'arrête et tout recommence... »

 

Photographie : Alain Beauvois

 

***

 

 

   Comme chacun le sait, Petit Prince vivait sur une étrange planète nommée « l'astéroïde B 612 », laquelle planète n’était guère plus grande qu’une modeste maison.

   Comme chacun le sait, Petit Prince passait ses journées à ramoner la cheminée des volcans et à faire la guerre aux baobabs qui menaçaient de tout envahir.

   Comme chacun le sait, Petit Prince décida un jour de quitter sa planète et d’aller vers les étoiles en quête d’amis. Il découvrit la Terre, le serpent qui ne s’exprime que par énigmes, une fleur « à trois pétales ».

   Mais ce que nul ne sait, c’est le lieu de sa présence et la tâche qui lui était affectée afin que, Terrien devenu, rien ne lui parût plus naturel que le paysage qui l’accueillait comme l’un des siens.

   « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». Voici la première parole que le nouveau venu entendit sur ce sol si étrange que nul, encore, ne semblait en avoir éprouvé la multiple dimension. Chacun pensera, sans doute à bon droit, qu’un étranger venu de si loin ne connaît rien à la beauté, pas plus qu’il n’est familier des choses de l’art ou bien des aventures du bon goût. Eh bien, que les chicaneurs retiennent leur langue aussi bien que leur pensée, quand on est Petit Prince, venu de si loin, on possède un savoir qui dépasse de plusieurs coudées le peuple des novices et l’on ne rêve que de choses simples mais belles.

    « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». La voix venait de loin, mystérieuse, un peu tremblante car la Beauté est si impressionnante que, toujours, elle oblige ceux qui la veulent voir à ciller des yeux, sa lumière est si brillante.

   Dans son sac de voyage Petit Prince avait pris soin d’emmener quelques pierres de chez lui, deux ou trois brins d’écorce de baobabs mais aussi des pinceaux et de la couleur car il aimait peindre ce qu’il voyait de manière à en conserver le souvenir. Après avoir entendu l’étonnante demande de nouveau réitérée, Petit Prince fit accomplir à ses yeux un cercle parfait dans lequel ne s’inscrivirent qu’un genre de plaine basse et une eau qui filait à l’horizon. Ceci, pour ne pas le contrarier, ne le satisfaisait qu’à demi et c’est alors qu’il se mit en devoir de dresser la beauté telle qu’il l’envisageait, c'est-à-dire le bien le plus précieux qui se pût concevoir.

   Le ciel, tout d’abord, il le représenta tel un voile léger, dans des teintes de bleu qui allaient du denim à l’électrique, dans une manière de vibration que seules peuvent avoir les choses irréelles. Juste au-dessous il posa une touche de glacis, un jaune rosé proche du safran (cela évoquait la cheminée des volcans lorsqu’elle s’éteignait), puis, prenant un brin de recul, se décida pour faire de la ligne d’horizon ce ton plus soutenu qui disait le sérieux des préoccupations de la Terre. Il aimait par-dessus tout cette bande nette, ce genre d’application muette de la couleur qui évoquait le silence de ces lieux déserts.

   Puis, trempant sa brosse dans l’eau du ciel qu’il venait de peindre, la chargeant de pigments marron à la belle couleur d’argile cuite au feu, il traça des aires foncées que traversaient des nuances plus claires, plus lumineuses (elles ressemblaient à l’atmosphère qui tournait autour de son astéroïde), c’étaient des genres de minces lacs ou bien d’étendues de lagune où la clarté de l’espace imprimait son chemin lumineux (il se dit que la Terre était aussi belle que les troncs de ses baobabs), puis, au bas de son tableau, il appliqua une couche épaisse de terre de Sienne qu’animaient des empâtements plus légers et termina enfin par une plaine bleue qui imitait celle, immensément étendue, du ciel (il pensa à ses observations de l’éther au-dessus de B 612 à l’aide de la longue vue qui, jamais, ne le quittait).

   Satisfait de son œuvre, sans pour autant en tirer quelque vanité, il se plaisait à découvrir ce coin de mer qui jouait avec les bancs de sable et de gravier. Chez lui, c’était si étroit que ne pouvaient nullement se loger un océan avec ses côtes, ses marées, les allées et venues des belles vagues aux crêtes frangées d’écume. Aussi rêvait-il depuis longtemps à ce que, en cet instant précis, il découvrait avec bonheur, cette étendue sans fin de l’aire maritime, les bancs de sable qui bougeaient continuellement, pareils à des squales joyeux qui auraient trouvé le jeu idéal les assurant de leur félicité.

   « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». Cette phrase revenait avec l’insistance d’une ritournelle et il ne savait toujours pas qui la prononçait ainsi sur un ton qui, loin d’être autoritaire, se donnait avec calme, ourlé d’une persuasion qui le rendait plaisant. On aurait dit la grâce d’une comptine pour enfants qu’auraient entonnée, tour à tour, le ciel, l’eau, la terre et le battement incessant des vagues. Petit Prince s’assit tout au bord de l’eau. De minces ondes léchaient la plante de ses pieds et il frissonnait de plaisir. Oui, là-bas, chez lui, c’était plus sec, plus minéral, mais ceci ne le dérangeait nullement car il aimait toutes sortes de pierres et de métaux. C’était vraiment une expérience nouvelle qu’il faisait ici et il en sentait l’insigne faveur jusque dans les plis de sa chair. Puis, gagné par une douce somnolence, il s’endormit alors que l’eau commençait à gagner la terre ferme. Il se réveilla soudain et se mit à gambader joyeusement parmi les éclaboussures et les jaillissements primesautiers des gouttelettes. C’étai bien d’être là avec le luxe du silence et l’immensité de l’espace tout autour !

  « S’il te plaît, dessine-moi la Beauté ». Il entendait cette petite antienne qui voltigeait autour de sa tête tel un essaim d’abeilles. Ce qu’il ne pouvait savoir, c’est qu’il s’agissait de la voix de sa conscience. Toujours la beauté nous concerne mais nous n’en ressentons, le plus souvent, qu’un vague mouvement interne. Cependant elle habite tout homme comme la lumière habite le ciel, tout comme Petit Prince habite la forêt de nos têtes depuis la nuit des temps. Beauté est immortelle. Beauté est éternité. Petit Prince en est l’un des dispensateurs. Remercions-le d’avoir fait un si long voyage !

 

 

 

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