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20 mai 2019 1 20 /05 /mai /2019 14:00
D’où venais-tu, toi l’Eternelle ?

                     Œuvre : André Maynet

 

***

 

 

   On m’avait dit la beauté de ce lieu, les montagnes violettes à l’horizon, ces étranges collines tachées de rouge que de larges canyons traversaient. On m’avait dit ces villages de pierre, leurs maisons serrées en grappes, les passages sous de sombres voûtes ou de mystérieux indigènes glissaient au pli même de leur secret. On m’avait dit le bleu vernissé du lac, ses golfes de roches claires, la cité fantôme qui bordait ses rives, c’était le refuge des chauves-souris, leurs ailes de carton bruissaient à contre-jour du ciel. On m’avait dit le jaune éclatant des massifs de genêts, milliers de minuscules soleils qui regardaient le monde depuis l’abri de leurs tiges vertes. On m’avait dit le souffle froid du vent Mistral, celui saccadé du vent Tramontane, puis celui encore du vent Marin, ses doigts poisseux qui s’enlaçaient au buisson des cheveux, on ne pouvait le fuir qu’à être dans le plus minuscule de soi, dans l’intime vastitude de son être.

 

On m’avait dit tout ceci,

mais on ne m’avait nullement entretenu de Toi,

Toi qui fuyais au long de l’exister

avec le simple grésillement de l’insecte

cloué dans son bloc de résine.

  

   Le jour, ce matin, est une simple nébulosité, un genre de voile qui flotte au large du temps et semble ne devoir jamais retomber. C’est tout juste si l’on parvient à la conscience de soi. Vois-tu, Toi, Toi qui te soustrais à mes yeux cernés de désir, sais-tu au moins combien la vision de ton corps fluet pourrait me rasséréner, constituer un môle auquel je pourrais fixer mon errance éternelle ? Je sais, la pensée des autres demeure toujours une énigme et, du reste, comment la mienne pourrait-elle te rejoindre, l’effet de réel que tu me destines est si ténu dans la faille qui s’ouvre et palpite - je veux bien entendu parler de mon âme, cette « chose » volatile qui toujours fuit et pourtant est le lieu même de notre destinée -, je dois dire, je suis si désemparé de ne pouvoir dresser ton portrait que dans la façon d’une estompe et c’est du gris qui demeure, de la cendre qui fait, dans la brume, son trajet hésitant.

   Le jour, ce matin, est une simple hypothèse et mon cheminement une suite de pas hasardeux qui me portent ici et là, encore ailleurs et plus loin, si bien qu’il m’est bien difficile de coïncider avec mon être. Connais-tu, Toi aussi, ce sentiment de flottaison entre deux eaux, entre deux airs et la terre n’est alors qu’une vague poussière qui file sous le corps et ne retient rien de ce qui passe sauf cette infinie tristesse qui, jamais, ne paraît avoir de fin, si ce n’est l’illisible présence des choses muettes ? Je regarde ces hautes bâtisses que le vent traverse, ces murs de pierres brunes, ces linteaux de fenêtre suspendus dans le vide, ces portes qui battent sous la poussée du vent, ces mares anciennes à la teinte d’infini et je t’imagine telle que tu es, un genre de feu-follet qui palpite tout en haut de sa nasse de chair. Mais laisse-moi te dire les contours de ta présence, laisse-moi t’évoquer, selon les traits de blancheur qui t’habitent, selon les harmoniques de silence dont tu es le sublime écho.

   Le linge plié sur le haut de ta tête est pareil au nuage printanier, il cherche sa destination sans encore pouvoir la trouver, seulement l’indice d’une voie puis le carrefour des songes et les falaises de cristal qui s’y dressent au hasard des vertiges. Et ton visage, oui, ton visage, cette figure de proue qui scrute l’horizon, en déplie longuement les strates, donne au monde sa raison d’exister. Oui, ton regard s’en absenterait que tout s’écroulerait et il ne resterait que les vestiges d’un château de cartes. Et tes épaules, cet à peine balbutiement, cette fragile sustentation qui te fait planer au-dessus du vide, et ta poitrine si menue, en encorbellement, on dirait une vigie inquiète d’être, et la presque évidence de tes bras, et cette jambe impudiquement levée - mais peut-être est-ce moi qui m’abuse ? -, et cette mince toile qui enserre l’amande de ton sexe - cet ineffable bonheur qui semble n’avoir nulle limite -, et cette autre jambe qui tutoie le sol avec une indiscernable discrétion, à peine un effleurement, tu aurais pu avoir la consistance d’une chrysalide demeurant dans  le cercle de sa propre métamorphose.

  

On m’avait dit tout ceci,

mais on ne m’avait nullement entretenu de Toi,

alors que me restait-il à faire

sinon à te créer, là,

au plein de l’air nimbé de rosée

et à attendre l’instant de ton éclosion ?

 

  Car, tu le sais, ton existence eût-elle la consistance d’un frimas, nous sommes SEUL dans le bruyant et multiple univers, c’est la raison pour laquelle il nous faut halluciner une myriade de présences et feindre de croire qu’elles sont là, à portée de main, tout comme un Amour est à portée de bouche, à caresse de lèvres, mais jamais ne prend corps, sauf dans une brève étreinte qui connaît sa nuit avant même que le jour ne s’éteigne. Oui, malgré les apparences, c’est un immense bonheur qui s’empare de nous à nous percevoir comme des êtres affectés d’une incertaine temporalité. La seconde qui précède s’est déjà effacée alors que se dessine le futur et que le présent, que nous pensions solide tel un roc, n’est plus, déjà, qu’une chute silencieuse dans l’isthme d’un sablier. Oui, je comprends combien ce romantisme désuet doit paraître étrange aux hommes pris de vitesse que notre époque fait s’agiter sur tous les coins du globe. Mais, pour autant, ils ne sont guère plus avancés puisque, pour eux, comme pour nous, une heure est toujours une heure qui s’efface à mesure qu’elle déplie son être.

   Peux-tu au moins savoir, Toi l’Eternelle - les entités du rêve ne sont-elles, toujours, un infini ressourcement ? -, savoir ce qui m’habite, là sur les rives de ce lac où battent les eaux noires du doute, combien, pour moi, tu es incarnée, aussi réelle que l’oiseau dans la feuillure de vent, que les grains de mica pourpre de cette colline ici présente, aussi précieuse que le galet poli par le temps qui glace la paume éblouie de mes mains ? Car, sais-tu, c’est notre conscience et uniquement elle qui bâtit le monde, lui donne ses couleurs, trace le contour de ses mouvements, édifie cette belle cimaise vers laquelle nous dressons notre stature d’hommes afin que, une fois seulement, nous puissions dire « Je SUIS », « Tu ES », « Nous SOMMES », et alors nous pouvons voir le lever du Soleil, en éprouver la lumière au centre même de nos corps, voir aussi le lever de la Lune et nous préparer à la belle fête nocturne. En tout cas, Toi l’Eternelle, ne prononce aucun mot qui risquerait d’être définitif, qui pourrait dresser les rives d’une possible histoire, de tracer les confins d’un événement.

   Le seul événement qui se puisse jamais concevoir, l’être en tant qu’être. Tout prolongement au-delà ne serait que pur bavardage, affairement mondain ou métaphysique de bateleur. Nous avons déjà perdu trop de temps à d’inutiles justifications, à bâtir des raisonnements fondés sur des riens, à chercher des significations dans de simples hasards qui nous effleuraient dont nous ne questionnions la factualité qu’à ne nous égarer au sein de leur singulier tumulte. Chacun, Toi en ton sublime empyrée - Tu es bien une Déesse, n’est-ce pas ? , moi en ma mortelle condition, ne traçons-nous pas les seuls chemins qu’il nous soit possible d’emprunter, celui d’un SENS à donner aux choses, fussent-elles tissées d’illusion ?

   On m’avait dit la beauté de ce lieu. Tu en occupais le centre. Oui, le centre !

  

 

 

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