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Quel destin de nulle présence ?
Je ne doute guère
que ma question
ne cessera de te poser
quelque énigme.
Le destin est bien
ce qui est présent.
Cet arbre à la croisée
des chemins,
ce sourire sur le quai
d’une gare,
ce geste de la main
de l’ami
qui s’éloigne.
Nul destin n’est au passé.
Il y a trop de brumes,
trop d’incertitudes.
Nul destin ne se donnerait
au futur.
Comment pourrions-nous
dessiner l’avenir,
ses desseins sont
si mystérieux ?
Si j’essaie de te nommer,
voici ce qui surgit
et s’impose à moi
telle la seule nécessité
qui se puisse imaginer.
Destin de nulle présence.
Oui, quand bien même
ma formulation
te paraîtrait étrange,
cependant elle n’est
nullement gratuite.
J’aurais pu dire
ton absence
et broder, tout autour,
quelque savante fable
que des fantaisies auraient égayée
tout en tâchant de la rendre
concevable.
Tu es étrangement
ce destin qui,
pour être au présent,
ne s’annonce que sous le signe
de la fuite,
sous la figure du vide.
Te dire combien
cette expérience est déroutante
m’entraînerait en de longues
et inopportunes justifications.
De toi, je fis la connaissance
en ces années de ma jeunesse
qui vibraient tel le cristal.
Tu n’étais pas moins vive
que moi
et je te reconnaissais
parmi la multitude
à ton singulier vibrato,
mon âme en ressentait
les harmoniques
jusqu’au creux
le plus troublant
de ma chair.
Notre rencontre
- oserais-je dire
notre « fusion » -
trouva le lieu de son site
lors de la fête du solstice d’été,
toi la Nordique qui exultais
à sentir ton sang bouillonner
dans tes veines,
faire son sourd bourdonnement.
Moi qui m’impatientais
de connaître enfin
ces « Filles du feu »,
dont je supputais alors,
qu’elles devaient être
nervaliennes en diable,
perchées sur le seuil
de ces « portes de corne
et d’ivoire »
qui donnent accès
aux plus pures fantaisies,
parfois aux divagations
de tous ordres,
si ce n’est à la folie
en son plus vibrant étendard.
A peine nous connaissions-nous
que nous nous sommes unis
à l’ombre des feux
de la Saint-Jean,
tout contre les danses
et les chants qu’ici,
que vous appeliez
de ce beau nom
de « Midsommar »,
ce « milieu de l’été »
dont nous étions,
en quelque sorte,
les célébrants
d’un culte de la chair
qui nous portait
hors de nous
dans de somptueuses noces qui,
nous le savions,
du plus clair de notre intime vision,
jamais ne se reproduiraient.
De toi, nulle image,
nulle photographie
qui auraient pu témoigner
de cet instant
de fugitif bonheur.
Je t’avais dit,
il m’en souvient,
mon peu d’attrait pour les icônes,
sauf celles de l’imaginaire
qui meublaient les coursives
de mon esprit.
Mais à quoi sert-il donc
de s’abreuver d’illustrations
qui ne font que figer les souvenirs,
leur ôter toute mesure
de spontanéité,
tout degré de liberté ?
Combien il est plus gratifiant
de confier aux eaux noires
et blanches du songe
le devoir de reconstituer
les stations de notre chemin
- fût-il, parfois, de croix -,
des fulgurances s’y trouvent
inscrites en creux
dont notre conscience
fera le site
de merveilleuses ambroisies.
Beaucoup croient
étancher leur soif
de l’aimée -
elle n’est jamais
que soif de soi-même -,
à considérer,
des heures durant,
ce visage qui se dissout
dans les brumes sépia du passé.
Jamais, tu le sais bien,
rien ne vient des jours anciens
à notre secours
et les « Petites Madeleines »,
hors la littérature,
sont si rares
que quelque boîte avaricieuse
pourrait aisément
leur suffire d’écrin.
Vois-tu, c’est pure félicité,
pour moi le romantique
de la première heure,
que de revivre
par la pensée
ces heures de feu
qui créèrent le cercle
de notre rencontre.
Parfois, autour
de la Saint-Jean,
ici, dans mon pays
de pierres blanches
et de haies hirsutes,
du haut de ma fenêtre
devant laquelle s’ouvre
un large et bel horizon
peut-être au seul motif
de la grâce d’un temps
reproductible- en rêve,
tu l’auras compris -,
je te vois faisant
ta belle mélopée charnelle
tout contre ces feux
qui brasillent dans le lointain.
Or, sais-tu la sourde immanence
de ta présence à mes côtés ?
Si je le voulais,
je pourrais te toucher
au seuil de la pénombre,
dessiner de mes doigts
les contours de ton désir.
Mais, toujours, je me retiens
sur le bord d’un possible événement.
Trop avancer dans les choses
serait renier leur essence même
et tout souvenir ne peut
que se lever de soi,
nullement être décrété
par un acte de volonté
qui ne serait jamais
qu’une violence faite au réel,
non l’immédiate disposition
de ce qui est
en sa plus belle floraison.
Demeure près de moi,
dans l’aura
que dessine mon corps
sur la toile du jour.
Seulement ainsi
tu seras atteignable.
Seulement ainsi
je serai atteint.
Notre entente est double.
Notre entente est
pure réverbération
de nos présences,
par-delà les lieux,
par-delà les temps.
Ô, persiste donc
en ton être car,
faute d’en pouvoir saisir
la texture de soie,
c’est ma raison
qui vacillerait
comme le font les feux
de la Saint-Jean
en ta belle contrée de Dalécarlie,
ce beau comté semé de lacs
et de forêts,
d’elfes légers qui,
sans doute,
te ressemblent.
Demeure,
le jour l’exige qui n’est
que l’ombre
de ma conscience.
Demeure !