« Ireland »
Photographie : Gilles Molinier
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Arbre ne demandait rien
Vivait sa vie
Etait comme il était
***
Ici dans la clairière était
Toute la lumière
Du Monde
Lumière sans début ni fin
Lumière simplement ourdie
De choses originaires
Clarté qui ravissait quiconque la regardait
Mais jamais on ne pouvait trop longtemps
S’y abandonner
La laisser devant ses yeux
Comme on l’aurait fait d’un simple objet
***
Lumière était le visible en sa plus riche parure
Lumière était souci de se donner dans la pureté de soi
Lumière était cela même qui ruisselait étincelait émerveillait
Mais on n’en pouvait connaître l’ineffable secret
L’irruption à même la présence
La plurielle symphonie
L’inaperçu événement
La silencieuse
Profusion
Arbre était là debout
Dans le flux de clarté
Arbre était dans l’immédiat gain du jour
Arbre se sustentait à la source première
***
Nul ne savait qui de l’Arbre ou du Ciel
Faisait don de cette inépuisable féerie
Le feu blanc ici sur l’Arbre
Etait-ce flocon du nuage
La tache d’écume là
Etait-ce souffle du vent
La couronne grise encore là
L’intime pulsation d’une royauté
Emanée du plein des êtres
De leur irrévocable levée
Dans l’unique instant
Le cœur vibrant
La surprise
Ouvrant
Sa sublime
Corolle
***
Nul ne savait qui toujours espérait
La Clairière en ses yeux dissimulés
Cernés d’ombres et de noires moirures
Pourtant dans la mesure de l’habitude
Ne manquait de s’étonner
Du Prodige
Voir seulement voir
Tenait du miracle
Comment n’en pas sentir
Dans le ténébreux massif du corps
L’ondoiement
Les reptations animalières
Les efflorescences subtiles
La Joie
Cette pépite aux mille bruissements dans la forêt ouverte
De l’âme
Cette exception de vivre parmi le peuple primitif
De la sensation
Cette trouée céleste par laquelle se dit
L’élégant
L’aérien
Le vierge
***
Arbre ne demandait rien
Vivait sa vie
Etait comme il était
Sur cette terre d’Irlande vouée
Aux pierres
Aux lignes de cairns
Aux calvaires de granit noir
Aux vents
Aux lacs d’eaux claires
A la course échevelée des chevaux
Aux taches de rousseur parsemant la plaine des visages
Aux mélodies mélancoliques de l’accordéon
A la lueur fauve de l’alcool dans la caverne des pubs
Sur cette Lande si belle
Si étrange
Si envoûtante
Comment Arbre aurait-il pu échapper à la magie
N’en être pas l’évident recueil lui dont l’éternité
Etait le signe le plus apparent qui se donnait
Sève
Baume
Lymphe
Matriciels
Céleste parmi la fourmilière des Hommes
Nu debout dans le temps qui gire
Et ne sait plus le début ni la fin de sa course
***
Arbre qui portes en toi l’infinie affluence
De tes frères
Du cyprès aux fières chandelles
Du majestueux séquoia
Aux longues ramures
De l’olivier à la noueuse destinée
Des lames d’argent des palmiers
Comment pourrait-on se distraire
De TOI
Ne pas te destiner le gui druidique
Ne pas t’envisager sous la forme
D’Yggdrasil-le-Magnifique
L’Arbre du Monde
Le « destrier du Redoutable »
Dieu Odin
Sur qui reposent
Les Neuf Royaumes
Celui des Brumes et des Nibelungen
Qui vivent dans la montagne
Dans les mines qui sont
Leur inépuisable richesse
***
Toi dont les branches sont le toit
Du Monde
Elles s’élèvent à la courbe
Des Cieux
Toi aux blanches et fougueuses racines
Qui défient le feu des Enfers
Toi qui abrites l’aigle à l’œil pléthorique
L’écureuil messager
Les lianes des serpents enlaçant ton tronc
Toi aux voisines que sont les Nornes
Ces tisseuses du Destin
Elles qui
Près de la fontaine
Interrogent
Le Passé
Le Présent
L’Avenir
Elles qui font frémir sur ta large feuillaison
La pluie en mince brume
Qui touche la Terre
Cette rosée dont s’abreuvent les abeilles
Qui bientôt deviendra l’hydromel
Ce breuvage destiné aux dieux
Cet inimitable nectar
Peut-on espérer plus glorieuse carrière
Plus exemplaire fortune
***
Là en cette énigmatique terre d’Irlande
Tu es cette immense Sagesse
Cette révérence faite
Au Ciel
Et à
La Terre
L’abri pour les Hommes
Sous tes larges feuillages
Infinité d’yeux qui boivent le Soleil
Qui sont les miroirs de la Lune et des Etoiles
Nous les Hommes de modeste aventure
Nous dissimulons dans les ombres de la clairière
Sommes si inapparents
Dans l’air qui croît
Et le jour qui décline
Si indigents
Arbre ne demandait rien
Vivait sa vie
Etait comme il était