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2 août 2020 7 02 /08 /août /2020 07:39
Fête de la lumière

                               " Alter ego "

                               Les Hemmes

                              Près de Calais

                                        *

                  Photographie : Alain Beauvois.

 

***

 

   C’est ceci qu’il faut faire : se lever un matin de bonne heure lors d’une courte journée d’hiver, aller à la plage, ne rien déranger du paysage, se laisser aller à soi avec la plus belle confiance qui soit. Accueillir la nature en son sein comme un rivage le fait de l’eau qui bat, si près, dans un immatériel silence. La solitude est grande qui accroît les perceptions. On est attentif à tout ce qui pourrait advenir, une bulle qui éclate dans la vase, un cri au loin, peut-être d’un oiseau sur le bord de s’éveiller, une faible rumeur dont on ne pourrait nullement savoir l’origine, naturelle ou bien humaine. Parfois les choses sont si confuses qui parlent le même langage ! Et son propre langage intérieur, quel est-il en cette heure qui n’en est une, manière d’indistinct flottement qui pourrait passer de l’instant à l’éternité sans que rien nous en pût alerter. C’est ceci, l’heure exquise, un genre de lac émergeant de la brume, une hésitation à paraître, un vent de nul bruit, une feuillaison chutant dans la clameur assourdie de l’automne.

   Voici, tu es arrivé à la lisière des choses, tout au bord du monde où brille, dans le noir, l’étrange et rassurant cosmos. Il est le lieu de l’ordre, l’espace d’une sublime harmonie, tu  sens en toi ses notes  réglées, ton âme se balance au rythme lent de ses harmoniques et il s’en faudrait de peu que tu ne perçoives l’envoûtante musique des sphères, celle qui, t’exilant de toi, ne t’y ramène qu’à te faire éprouver un sentiment de plénitude dont tu pensais qu’il ne pouvait atteindre que les amants au faîte de leur passion, les poètes versifiant sous les étoiles, l’artiste logé au creux de son chef-d’œuvre. Oui, vois-tu, tout arrive, même l’étrange, le merveilleux, l’inaccompli lorsqu’on se dispose à en recevoir les ondes subtiles, à en ressentir le fastueux rayonnement. Rien n’est impossible au cœur vaillant qui affronte la rigueur hivernale, brave la  toujours possible tempête, se risque sur les rives encore soudées de la nuit. Certes, tu me diras, ce n’est rien, c’est le désir qui rougeoie, c’est la joie de la découverte, c’est l’aventure simple à la pointe du jour. C’est une ivresse qui se loge au plein du corps et fait ses volutes, lance ses arborescences plus loin que soi, toujours plus loin car il y a jouissance à trouver, aujourd’hui, ce qu’hier nous refusa, ce que demain nous offrira dans la plus haute des prodigalités.

   Nous sommes des enfants aux mains vides qui, toujours, rêvons de devenir des enfants aux mains de lumière. Alors nous les tendons, nos mains, en avant de nous afin d’y recueillir l’éclat d’un cristal, la clarté d’une gemme, la rutilance d’un or. Parfois ceci arrive qui crée le lit d’un ravissement. Alors nous demeurons en nous le plus longtemps possible, bien serré dans l’essaim dru de notre chair, à l’abri derrière le linge de notre peau et c’est une manière d’infini qui nous visite dont on voudrait qu’il durât toujours, qu’il nous ouvrît ces portes invisibles du domaine sans pareil de l’imaginaire. Car si nous sommes des êtres incarnés, des êtres du réel, nous sommes tout autant de mystérieuses entités dont nous ne connaissons les frontières, dont nous sous estimons les puissances cachées. Peut-être, en nous, la force de l’arbre séculaire, le fleuve de lave incandescent, le bleu des glaciers s’enfonçant dans la nuit polaire.

   Voici, tu es arrivé à toi et ce qui te faisait face est comme un fragment de ton corps disséminé dans le proche espace. Tes yeux s’abreuvent infiniment à ce beau spectacle du monde. C’est pareil à une scène de théâtre qui s’ouvrirait aux trois coups frappés par le brigadier. Un, deux, trois … Rideau ! Les acteurs sont présents qui jouent pour toi cette pièce inusitée que, sans doute, tu attendais à l’orée de tes nuits sans sommeil. Tu es là dans ton fauteuil de moleskine et tu vois la haute mesure du ciel, son éclairage. De quel cintre provient-il dont tu ne perçois nul mécanisme ? Ne serait-ce simplement toi qui as halluciné le réel, l’a convoqué à la pièce du jour ? A son jeu qui, parfois est comédie, farce de bouffon, parfois empreint de la tristesse des tragédies antiques ? Et ces nuages à la teinte de cendre, là-haut, ne seraient-ils  de funestes desseins se dressant au crépuscule de quelque sombre destin ? Et cet oeil blafard, paupière mi-close, de quelle divinité serait-il le regard ? Et, vois-tu,  ce triangle noir qui partage ciel et terre, ne serait-il l’épée de Rodrigue provoquant Le Comte, symbole d’un honneur à sauver ?

   Mais, sais-tu, nos communs imaginaires nous ont emportés bien loin de ce ciel, de cette eau, de ces langues de sable qui sont les chemins d’une poésie. A la tristesse toujours vacante, il faut substituer le large empan de la beauté, le seul à même de nous émouvoir, de nous porter ailleurs que là où nous sommes, vers des clairières qui chantent et ouvrent le site de tous les possibles. Certes, le noir, le sombre, constituent  le lexique au gré duquel ce paysage se donne à voir dans son entièreté. Mais quelle lumière s’annonce là ! Quelle promesse de vie ! Le temps est encore pure présence de soi qui semble n’avoir nul commencement. Pourtant nous le sentons ramassé en lui-même, pareil au fauve prêt à bondir. Bientôt l’heure s’animera, bientôt les secondes feront leur clair tintement. Tout vibre d’une attente longtemps contenue. Ce qui sera avant longtemps : l’horizon tracera son trait brillant pareil au sillage d’une comète, le soleil resplendira de millions de gouttes essaimant partout la joie de paraître, les nuages saupoudrés de lumière reconnaîtront leur alter ego posé à la face de l’eau, détouré d’une ligne qui dira leur être unique, le sable s’allumera de milliers de paillettes de mica qui éblouiront les oiseaux de passage.

   Oui, tout est toujours disponible aux défricheurs de forêts,  aux chercheurs d’or, aux alchimistes de l’image qui métamorphosent le quotidien en cette fête de la lumière que tous nous attendons, afin qu’abreuvés d’un sens intérieur, nous pussions advenir au monde autrement qu’à l’aune d’un simple égarement. Identique au phare qui fait tourner sa nappe de clarté dans les ombres qui s’annoncent, nous avons besoin de ces points lumineux des images, elles nous disent en noir et blanc - cette élégance -, l’espoir du jour qui scintille et appelle. Nous le voulons en nous. Infiniment !

   

 

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