Photographie : Blanc-Seing
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Sais-tu combien les rêves, parfois,
sont de sombres réduits
As-tu déjà éprouvé ceci,
une pluie battante
à l’horizon de l’être
et nulle âme
qui fasse sa lumière,
nul esprit dont la braise
aurait levé, en Toi,
quelque mince espoir.
Partout un noir de bitume
et les étoiles éteintes
par milliers sur la tenture du ciel.
Que faire alors de son corps ?
Un flottant drapeau de prière
luttant contre le vent ?
Une outre vide où ne recevoir
que silence ?
Une pente déclive offerte
aux soucis du monde ?
Il est bien malaisé
de vivre en ce cas
et les mots se dissolvent
qui ne disent plus rien.
On est pareil à ces cerfs-volants
qui, dans la nuit,
cingleraient vers l’inconnu,
leur longue queue,
simple gouvernail fou.
As-tu déjà éprouvé ceci,
la perte de Toi
en un aven sans fond
dont il est impossible
de remonter,
et, tout en bas,
le cratère des eaux glaciales
qui exhalent leur souffle
de cristal ?
Mais que je te dise
mon dernier rêve.
J’étais assis derrière
une table de nuages,
des courbes de vent glissaient
le long de mes pieds nus.
Tantôt je me sustentais
d’une blanche écume,
tantôt d’une aile
qu’un ange négligeant
avait abandonnée
au souffle du Noroît.
C’était, je te l’accorde,
une bien modeste Cène
et nul Apôtre pour lever le verre
en signe de joie ou de piété.
Quant à Dieu, nulle trace ailleurs
que dans les enluminures
d’une songeuse Bible
dont je feuilletais les pages,
vides et blanches,
chute de grésil
dans l’écho infini
du vide.
Ecoute bien ceci :
je m’étais saisi
d’un calice d’argent
dans lequel j’avais versé
une magique ambroisie.
Un mélange de félicité,
une touche d’espoir,
un zeste de mélancolie.
À l’instant même
où j’allais offrir cette libation
à mes lèvres blessées,
voici que paraissent
MILLE PRÉSENCES
qui ne disaient leur nom
mais effleuraient
la soie de ma peau
d’une douceur de rose.
Ma vision n’était nullement emplie
de ce mystère et c’était simplement
un ballet de formes diaphanes
qui allaient et venaient
dans de souples fragrances
de miel et d’ambre,
un carrousel continu de frôlements,
une ronde virginale et primesautière.
Était-ce mon esprit halluciné
qui voyait en ces INVISIBLES PRÉSENCES,
ces Belles dont j’avais toujours rêvé,
que les magazines m’offraient
dans leurs pages aussi glacées
qu’insaisissables ?
Sais-tu, je crois bien que
si ces Formes avaient été tangibles,
de chair et de sang,
j’aurais vendu mon âme au Diable,
à Méphistophélès en personne
afin qu’une fois, au moins,
le goût du Paradis inondât ma gorge,
saisi des mille délices
qui hantent mes nuits sans somme.
N’étais-je qu’un grand enfant
au seuil de quelque Caverne d’Ali Baba ?
N'étais-je le jouet
de ces vapeurs orientales
qui longent les coursives
des « Mille et Une Nuits »
et, toujours, nous laissent
dans le désarroi d’en jamais connaître
la souple et merveilleuse texture,
d’en éprouver le baume,
d’en goûter l’ivresse.
Ce qui était advenu, je crois,
en ces allées imaginaires
parmi les grappes des désirs
et les ramures
des plaisirs inassouvis :
une perte de Soi à Soi,
que parfois l’on nomme « délire »,
ou bien « égarement »,
si ce n’est « Folie ».
Mais non celle d’Erasme
qui agite ses grelots
et se vêt de couleurs multicolores,
mais la Folie du manque,
laquelle est nue,
pareille à ces hauteurs
du Mont Chauve
où soufflent les vents mauvais
comme ceux que chante Verlaine
dans sa complainte d’Automne,
simple feuille morte
parmi le peuple
des bourrasques.
Sais-tu combien il est affligeant
d’aller naviguer au loin,
de risquer les hauts fonds,
les colères océaniques
alors que tout près de Soi
veille une douce flamme,
crépite une étincelle
qui est le véritable orient
de notre âme ?
Maintenant,
ailleurs que dans mon songe,
plutôt dans un rêve éveillé
inondé de conscience,
levant mon regard au-dessus
de l’inquiétude des hommes,
j’aperçois, tout en haut du ciel
l’étoile de tes yeux.
On dirait, dans la nuit profonde,
de minuscules pétales,
peut-être de myosotis,
de véroniques
ou de gentianes,
venus du plus loin du temps,
du plus loin de l’espace,
manière d’inépuisable poésie,
de comptine pour enfants,
de fugue à la lisière des choses.
Alors comment dire le bonheur
lorsqu’il devient une telle évidence,
tels le rocher sur le rivage,
l’arbre dans la forêt,
l’oasis dans le désert,
comment dire ce qui, toujours,
bourdonne
autour de Soi,
au-dedans de Soi,
tisse sa résille
de fils de la Vierge
dans l’aube qui point ?
Le regard en est
comme embrasé,
va au loin,
fait ses meutes de ricochets,
revient là où, toujours,
doit se loger sa pointe,
dans le pli immémorial
de la conscience.
Oui, c’est là que tu es,
parmi la jungle
de mes soudains emportements,
au crible intime de mes soucis,
dans l’arabesque de mes voluptés,
au foyer de ma pensée.
Au ciel l’étoile de tes yeux,
j’en suis la douce irisation
au matin levant,
j’en estime le luxe
au zénith,
j’en redoute la perte
au nadir.
Au ciel, l’étoile de tes yeux.
Jamais ne verrai plus loin
qu’EUX.