et les saisons ont passé.
Le Printemps était
cette touche virginale,
cette douce empreinte,
cette à-peine venue
dans le champ de l’heure.
Tous les jours
nous allions à la fontaine
puiser une eau nouvelle.
Elle nous affermissait
dans la conscience
que nous avions
de nous-mêmes.
Elle ouvrait à notre jeunesse
le chemin sur lequel avancer.
Radieux !
L’Été arrivait sans crier gare.
Tout s’épanouissait à l’excès.
Tout s’élevait de soi
dans une manière de gloire.
Les filles étaient court vêtues.
La lumière bondissait
sur les écailles brillantes
des feuilles.
Les glycines chutaient
dans des cascades parme.
On riait aux terrasses.
L’Amour bourdonnait
telle une ruche ardente.
Admirable !
L’Automne glissait
parmi les jours
dans ses belles teintes
de rouille et d’argile.
Les vignes flamboyaient
dans leurs vêtures pourpre.
Les guêpes faisaient
leurs trajets incessants
au milieu des pampres
et des vrilles.
On chantait autour des tables
dans le mauve du crépuscule.
On buvait le vin nouveau
dans de grands éclats de rire.
Bucolique !
L’Hiver s’annonçait froid.
Les premiers frimas
poudraient les visages.
On coupait du bois en forêt,
on faisait du feu
des petites branches.
Lors des longues nuits,
autour de l’âtre rougeoyant,
on mangeait des châtaignes,
on buvait du vin nouveau.
On remontait le col
de sa pelisse.
La bise était acide
qui venait du Nord.
Rigueur !
et les ans ont passé.
Enfants,
nous demeurions
dans notre domaine originel.
Une maison aux volets rouges.
Un marronnier dans le jardin.
Des marrons avec lesquels
nous jouions.
La voiture du Père,
son long capot noir,
le bruit de son moteur pareil
à la chute d’un torrent.
Le visage de la Mère, souriant,
sous ses boucles châtain.
L’amorce des jours,
une promesse.
Une félicité à l’horizon.
Un ciel sans nuages.
Adolescents,
nous agrandissions
le cercle.
Myriade de copains,
vol erratique d’étourneaux.
Premières passions.
Des livres, des échanges,
des filles.
Une ambroisie au coin
de chaque rue.
Un espoir au bout
de chaque sentier.
Premiers enivrements
qui en supposent d’autres,
en appellent d’autres.
Adultes,
tout faisait sens
jusqu’à la démesure.
Le soleil brûlait au zénith.
Les cerfs-volants planaient
haut dans le ciel.
Les enfants riaient.
La table était joyeuse,
les discours prolixes,
les réussites allaient de soi
qui consonaient avec bonheur.
Âgés,
inclinés à la dette
de la mémoire.
Qui devient partielle,
parfois capricieuse.
Le Passé, loin là-bas,
faisant sa tremblante auréole,
un chatoiement qui semble
se suffire à lui-même.
La maison comme
port d’attache.
Le soleil est au nadir,
couché sur l’horizon,
flaque vermeil qui allume
ses derniers feux.
Une bûche dans la cheminée.
Un trouble dans les yeux.
Les souvenirs qui planent
tel un vol de phalènes.
Il faut baisser la lampe,
la lumière est trop vive.
et la vie est passée
Où est-il l’encrier de l’école
dans lequel nous trempions
nos plumes Sergent-Major ?
Où sont les boucles,
les pleins et les déliés
que nous tracions
sur nos feuilles blanches ?
Où sont les feuilles du tilleul,
elles faisaient dans la cour
leurs traînées vives de papillons ?
Où les premiers émois amoureux,
les promenades et les mains
qui se scellaient,
dans la fenaison du jour ?
Où les marronniers,
nous nous amusions
de la chute de leurs fruits
sur le sol de pierre blanche ?
Où le lavoir animé
de conversations
et l’eau claire qui chutait
depuis le mystérieux trou
dans la roche claire ?
Où les longues aventures
dans les bosquets de chênes,
nous y élevions nos cabanes,
un refuge où nous retrouver
et dire le lieu de notre être ?
Où tout ceci qui a eu lieu,
que le temps a repris
dans les intervalles serrés
de ses heures
de ses secondes ?
Où ?
Mais qui donc
pourrait nous répondre ?
Un malin génie,
une bonne fée,
un être mystérieux
venu du fond des âges ?
Cependant nous avons vécu
et les saisons ont passé.
Cependant nous avons vécu
et les ans ont passé.
Cependant nous avons vécu
et la vie est passée.
*