Longtemps j’ai attendu
qu’un miracle survienne.
Tu sais à la manière
de la magie
de la petite enfance.
On se hisse
sur la pointe des pieds,
on fixe sans ciller
l’objet convoité
et déjà on en sent
le trouble délicieux
aux paumes de la main.
J’ai regardé, oui, regardé
de toute la force de mes yeux.
Je croyais qu’apparaîtrait
l’une de ces villes de cristal
des Mille et Une Nuits
avec ses coupoles bleues
comme à Samarkand.
Seul le bleu était là
et le ciel était vide.
Longtemps j’ai attendu
qu’un désir s’allume,
que rougeoie une braise
dans quelque nuit féconde.
Tu sais ce rubis rouge
qui brûle au sein des églises
pour nous rappeler
la passion du Christ.
J’en ai fixé la lente pulsation
mais ma passion n’a trouvé
que la lueur éteinte
des cryptes,
la blancheur ossuaire
des cierges,
des fumées d’encens,
des dalles sous mes pieds
où glissait la clarté.
Seul j’étais
et nulle prière
n’aurait pu
me sauver de moi.
Longtemps j’ai attendu
qu’une espérance se lève.
Tu sais, à la façon
de ces légères montgolfières
qui parcourent la plaine d’air
dans le genre d’un papillon coloré.
Oui, j’étais à bord, simplement,
comme un Jules Vernes curieux de tout,
le paysage était une étendue vide
que ne tutoyait nul oiseau.
Dans la libre venue
de cette aube naissante,
j’étais perdu aux autres
perdu à moi-même.
Où aurais-je pu jeter l’ancre ?
Le vide m’aveuglait
de sa rumeur insolente.
Longtemps j’ai attendu
qu’une rencontre
se dessine,
qu’une esquisse
se détache du monde,
portant avec elle une argile
dont une Ève eût pu naître
comme la troublante Vénus
sort des eaux
dans le tableau de Botticelli.
Mais de Vénus, je n’apercevais
ni le fleuve roux de sa chevelure,
ni le coquillage qui la portait
sur la plaine émeraude de l’eau
Rien
Les villes étaient loin,
leurs bruits une sombre mélopée
qui mourait au hasard des rues.
Rien
Les hommes étaient vaincus,
leurs corps calcinés,
allongés dans des citadelles
désertes.
Rien
Les femmes étaient
d’illisibles images,
des mots se levant à peine
d’une imaginaire fable.
Rien
L’amour était
une fulguration
de comète,
un sillage oublié,
une nuée chutant
dans la nuit.
Je ne pouvais demeurer longtemps
sur l’arête de cette mesa aride
qu’au risque de ne plus être.
Il me fallait sortir
de la dague étroite
de mon corps,
donner des ailes
à mon esprit,
convoquer mon âme
à de plus amples libations.
Alors j’ai eu une vision.
Venait-elle de ma propre conscience ?
S’était-elle créée de toutes pièces ?
Peu m’importait son origine.
L’essentiel était qu’elle fût
et pût persévérer dans son être.
Voici, Fille des Songes
telle que je t’ai aperçue
dans le couloir livide de ma tête.
Je m’adresse à toi en ces termes
et peu me chaut
que tu sois une chimère.
Peut-être est-elle supérieure
à la réalité ?
Je te vois de dos,
comme si, anonyme,
tu voulais te réfugier
au sein de ta personne
et y demeurer,
dissimulée,
inatteignable.
Tu es coiffée
d’un haut chignon
couleur de nuit
qui porte encore en lui
l’empreinte du takamakura,
ce reposoir qui donne
à ta nuque
ce port altier,
cette si fine élégance.
Une épingle kanzashi,
sans doute en ivoire,
traverse le doux maquis
de tes cheveux.
Un kimono de soie
orné de formes chamois,
dont je ne sais si elles sont
oiseaux ou bien feuilles,
descend lentement
sur le galbe de ton épaule.
Ton visage poudré
de riz blanc
se dessine dans l’ovale
d’un miroir.
Mais que réfléchit
donc sa surface ?
La trace d’un possible miracle ?
La flamme assourdie
d’un désir caché ?
La bannière
d’une espérance ?
L’attente
d’une rencontre
dont la nuit te fera l’offrande
dans une okiya
aux murs de papier huilé ?
Parlant de toi,
évoquant ton image
de parchemin ancien,
je m’aperçois,
maintenant que le jour se lève,
que je n’ai fait que feuilleter
ce livre d’estampes
d’Utamaro Kitagawa,
m’arrêtant sur
‘Femme se poudrant le cou’,
cette si belle illustration
de la touche japonaise
de l'ukiyo-e,
ce monde flottant
qui se nourrit d’illusions
et faseye longuement
avant qu’un miracle ne survienne.
Vois-tu, tout est toujours
signe du temps
qui, jamais,
ne s’arrête.
Demeure,
je demeurerai !