Voyez-vous, de vous avoir croisée
en ce matin de brume
et je demeurais en moi,
au plus profond de mon être,
sans possibilité aucune de m’en exiler.
Il est parfois des rencontres
dont jamais l’on ne revient.
C’est comme de se retrouver,
sans intervalle aucun,
au fin fond d’une geôle,
dans la touffeur d’une forêt primaire,
dans l’écart de soi le plus grand
qui se puisse concevoir.
Soudain l’on n’a plus rien
à quoi donner forme,
attribuer un sens.
Mais pourquoi cette perdition
à la seule vue de votre présence ?
Êtes-vous une inaccessible déesse,
une mystérieuse habitante de l’Olympe,
une Aphrodite intouchable
puisque née de l’écume,
y demeurant en cette touche
si légère ?
Ou bien une Athéna
à la longue sagesse
retirée en ses intimes méditations ?
Ou bien encore Hestia,
maîtresse d’un foyer
à vous seule destiné ?
Ne croyez-vous pas que
poser des questions à votre sujet
est déjà vous perdre définitivement ?
Car interroger est se déporter de soi,
entrer dans le corridor mystérieux
de la Métaphysique.
Combien il serait plus sage
de planter sa propre racine
dans une glaise fondatrice
de quelque espoir !
Rencontrer le sol que vous êtes
et attendre de cette langueur
une possible germination
Ô, nous hommes de faible destinée
qui espérons toujours les bras d’une Mère,
l’étreinte d’une Amante,
que ne tâchons-nous d’éprouver
une plus essentielle liberté,
de vivre en nous, hors de nous,
sans que quelque souci
ne vienne effleurer notre âme,
en noircir la virginale ivoire ?
Nous voudrions être grands,
tutoyer la chevelure d’ange des nuages et,
la plupart du temps,
nous nous élevons à peine
du concert faiblement rubescent
de notre sang.
Nous faisons du surplace,
nos pensées se meuvent
dans l’indistinct,
nos mains ne brassent
que des nuées de silence.
Mais, au moins, rassurez-moi,
faites lever en moi le grésil
du lumineux espoir,
semez la graine qui me dira qui je suis,
où je vais, guidé par votre seule beauté,
appelé par votre unique voix,
celle qui susurre aux hommes
le chemin à emprunter,
qui s’appelle ‘Confiance’,
qui se nomme ‘Amour’.
Que se dresse dans l’air
immensément tendu
la clameur d’une joie !
Que de déploie à l’horizon
la bannière étoilée du désir !
Que vos mains consentent
à étreindre mon visage,
que vos ongles incrustent en moi
les stigmates du Mal,
je n’en ressortirai que plus téméraire,
plus enclin à écrire votre gloire
dans l’écorce des arbres,
sur le glaive nu et blanc des racines,
à même le derme
des Curieux et des Médisants.
Ne me laissez pas dans le silence
car il fore en moi les trous
par lesquels un Déluge
pourrait me visiter,
me réduire à la peau de chagrin,
me conduire au Néant dont,
un jour lointain dont je n’ai plus souvenance,
je me suis extrait à la seule force
de mon courage de naître.
Oui, naître est un courage puisque, dès lors,
il nous faut affronter notre propre mort,
compter les jours qui nous séparent de l’abîme.
En nous ils font leur maléfique sabbat,
en nous ils incisent la difficulté d’être
et de demeurer au sein de la lumière
qui érode notre âme,
en déclenche la sournoise ignition.
Ô, vous que j’ai nommée ‘L’Instant Bleu’,
d’abord pour dire le temps furtif,
ensuite pour dire l’immensité de l’Océan,
la course inaltérable du Ciel,
la vastitude en sa fuite essentielle.
Ô vous, ‘Instant’,
que ne me donnez-vous l’Eternité ?
Ô vous ‘Bleu’,
que ne me donnez-vous l’illimité,
le toujours libre, le fuyant au-delà de soi
pour d’étranges et innommées contrées ?
Oui, le toujours libre est sans nom.
En aurait-il, il ne serait
qu’une chose parmi d’autres,
une apparence celée
dans les aberrations du monde,
une simple silhouette promise
à son long et fastidieux délitement.
Car, ‘Instant’, vous le savez bien,
tout se perd de soi et rejoint les limbes
avant même que le jour n’ait été connu,
que la lumière n’ait brillé
sur le front des Innocents,
n’ait illuminé le revers blanc
de la sclérotique.
Non, ‘Instant Bleu’,
ne m’accusez pas de fatalisme,
ne me faites nullement le procès
d’être un penseur tragique.
Du reste ce n’est nullement moi qui pense,
seulement le monde en moi avec ses ruses,
ses étranges incantations,
ses polkas endiablées, ses mazurkas,
un pas avec la Vie, un pas avec la Mort.
Ceci se nomme ‘pas de deux’ :
un pied dans le réel incarné, vibrant, érectile,
un pied dans la soue, dans l’ornière
et le piège se referme
qui reconduit l’homme
à sa propre origine. Donc à sa perte
puisque les deux termes sont équivalents.
Mais ne seriez-vous muette,
incapable de vous dire autrement
qu’à vous laisser regarder,
à vous laisser surprendre,
à vous laisser aimer autrement
qu’à l’aune de la distance ?
Peut-être n’avez-vous nul miroir
où refléter le prisme changeant de votre être ?
Je me résous à être votre Psyché,
autrement dit votre conscience,
laquelle vibre de mille feux
dans les limbes de votre esprit.
Vous êtes vêtue d’un justaucorps noir,
image d’un deuil dont, à peine,
vous semblez émerger.
Ne seriez-vous, à vrai dire,
en perte de vous-même ?
Vos cheveux, une pluie bleue continue,
un infini sanglot qui cerne votre visage de cire
ou bien qui fait signe
vers un masque maya de jade,
vous savez, cette figure énigmatique
aux pupilles de jais étrangement orientés
à la fois vers l’intérieur, à la fois vers l’extérieur
dans une manière d’au-delà aux obscurs contours.
Oui, vous êtes à la charnière de deux mondes,
écartelée en quelque sorte.
Un monde vous requiert
auquel vous répondez par une absence,
un autre vous convoque
dont vous voulez ignorer l’esquisse,
elle pourtant si proche,
vous en sentez parfois la bise froide
tout contre l’étrave de votre visage.
Un être de ‘l’entre-deux’, en somme.
Une fragile statue d’argile
que la première pluie pourrait dissoudre
avant même qu’elle ne se soit connue,
ait pu tracer sur le parchemin de l’exister
la possible esquisse qui la livre au monde
dans le pli de son dénuement.
Et vos yeux, ces deux griffures
qui lacèrent l’univers des formes,
qu’ont-ils d’autre à découvrir
que votre propre territoire ?
Ne me dites pas qu’ils sont
en quête d’altérité,
l’Autre n’existe
que dans le massif altéré
de votre tête
et nulle part ailleurs.
Mais par quel étrange cogito
voudriez-vous le faire apparaître ?
Son cogito parlant ?
Mais qui vous prouve
que c’est bien lui qui parle ?
Ne lui prêteriez-vous votre propre parole ?
Son cogito aimant ?
Ne lui destineriez-vous votre amour
à son corps défendant ?
Savez-vous, ‘Instant Bleu’,
vous n’êtes pour moi,
peut-être, qu’une Illusion,
qu’un oiseau de passage
bu par le ciel qui le reprend en son sein.
Ou bien dois-je vous appeler
‘Insistance bleue’
pour vous doter d’un futur,
vous offrir une possible ouverture ?
Ce que nous sommes tous,
des ‘Insistances’
dont jamais nous ne connaîtrons
les fondements.
Les connaîtrions-nous
que nous nous ingénierions
à en biffer la trame des certitudes.
Nous sommes ainsi faits
que nous voulons toujours
tutoyer les cimes
alors que l’abîme les longe
de son ‘Indécence bleue’.
Malgré ceci nous avançons.
Notre être ne se réduit-il
qu’au nombre de nos pas ?
Une bien curieuse arithmétique
qui nous définirait
jusqu’en ses assises les plus floues.
Là-bas, quelque chose vibre
au cœur du monde.
Serait-ce notre âme
qui nous hèlerait
du fond de son
inextinguible désarroi