Toi que je ne connais pas
Visage de brume
Et d’impalpables secrets
Tu viens à moi
Sur des risées de vent
L’air façonne ton corps
D’étrange manière
Il ne sait plus le lieu
De sa venue
Que sont les ans
Qui suivent les ans
Que sont les jours
Que perdent les jours
Un passé s’écroule
Qu’immole un présent
Un futur arrive
Que fuit un présent
Immatérielle joie
De l’heure qui vibre
Elle fait en toi
Ce délicieux abîme
Qui t’attire et t’effraie
Tout à la fois
Est-il donc si difficile
De vieillir
De confier sa main
Au prochain tremblement
De circonscrire
Le cercle de sa vue
De courber l’échine
Sous la meute des jours
Vois-tu toi Marcheur
De l’Invisible
Nous sommes pétris
De la même pâte
Nous la souhaiterions éternelle
Mais voici que tout brasille au loin
Dans un étrange marigot
Semé de vénéneuses fleurs
Oui je sais c’est tristesse
Que d’évoquer le Rien
De demander au Néant
De nous servir de fondement
Et pourtant
Toi le Lointain
As-tu une fois dans ta vie
Retenu autre chose
Que la feuille d’air
Que le sanglot d’une pluie
Que la perte d’un amour
Que la chute de la seconde
Nous sommes des êtres
D’inconséquentes figures
Nous sommes
Des visages émaciés
Qu’efface l’encre sympathique
Du Temps
Bien des Philosophes
Nous en ont tracé
L’esquisse fuyante
Héraclite l’Obscur disait
Que rien ne demeure
Que tout passe
A la manière du fleuve
Qui s’enfuit vers l’aval
Où l’estuaire l’attend
Puis l’Océan
Aux multiples faveurs
Cerné de léthifères abysses
Faudrait-il rester sur la rive
Regarder ses flots d’écume
Faire halte et les minutes
S’écouleraient hors de nous
Et nous connaîtrions l’Éternité
Et la félicité serait notre foyer
Nos yeux seraient de diamant
Notre esprit de cristal
Notre amour une onde pure
Que nulle rumeur
Ne pourrait altérer
Toi, l’Au-delà de mes yeux
Je ne peux savoir
Le contenu de ta pensée
La mesure exacte
De tes affinités
Le pli selon lequel
Tu orientes ta vie
Cependant ce que je sais
Ta silhouette aux mains vides
Lorsque le jour décroît
Lorsque l’amour s’enfuit
Lorsque la nuit d’ébène
Fait son lac sombre
Autour de toi
Quelques uns
De nos contemporains
De hautes destinées
A l’abri dans leurs palais
Aux hautes croisées
Tout comme toi
Tout comme moi
Ils redoutent qu’un jour
Ne tarisse l’onde
Que leurs yeux
Ne s’ouvrent plus
Que sur un paysage aveugle
Toi qui vis parmi
Les tourments du monde
En cet an neuf
Qui trace ton futur
Pratique chaque jour
Qui passe
Le très fameux
carpe diem
du poète Horace
‘Cueille le jour,
Et ne crois pas
Au lendemain’
Sache seulement
Que le présent
N’est nullement
Un don du ciel
Qu’il t’appartient en propre
Et ne sera jamais
Que ce que tu en auras fait
Chaque heure se gagne
Dans la pleine conscience de soi
Chaque heure se mérite
Ainsi le temps gagnera-t-il sa Vérité
Qui est d’être l’événement armorié
Le plus décisif
De nos existences
Les Flots intimes du Temps
Sont toujours les nôtres
Un fruit à cueillir
Dans des mains
Qui savent et remercient
Le Temps est l’Être
Le plus mystérieux qui soit
L’Être est du Temps
Le plus fascinant qui soit