(Variations sur l’UTOPIE)
Je marche dans la ville et me questionne sur la raison de ce monde étrange. Je me demande si je ne vois tout ceci depuis la chambre embrumée de l’imaginaire ou bien depuis celle, aquatique, océanique, du rêve. Nul doute, Lecteur, Lectrice, que vous soyez intrigués, vous pensant les témoins d’une hallucination venue tout droit de la tête alambiquée du Narrateur. Combien vous avez raison, mais demeurez un instant encore. Toujours les découvertes sourient aux téméraires, aux audacieux, aux chercheurs de trésors.
Il y a eu un brusque remous de vent, un caprice de l’Harmattan qui a soulevé le voile, m’a poussé gentiment en direction de la PORTE DES LETTRES. Mais comment donc ce messager d’Eole peut-il connaître mes goûts ou plutôt ma passion pour les choses de l’écriture ? Comment ? Il y a des mystères que je ne saurais éclaircir depuis l’instant même où je me situe dans la découverte de cet étrange monde.
Des couloirs partent, en de multiples rayons, des galeries éclairées par des torches fichées dans les murs de glaise. J’emprunte l’un de ces boyaux, au hasard. De chaque côté, dans des renfoncements où ne parvient qu’un hésitant clair-obscur, des milliers de livres sont entassés. Reliures de cuir, maroquins fauves nervurés, reliures de toile et certains ouvrages ont des couvertures de métal gravées de signes discrets. Je gravis les degrés d’un escalier taillé à même l’argile. Tout au bout du tunnel, une clarté à la belle teinte automnale. Cette lumière m’appelle pour me dire la mesure de la joie. Il ne saurait y avoir d’autre issue que celle-ci, heureuse, souriante, romantique pour tout dire.
Parvenu sur le bord de l’orifice, je dois mettre mes mains en visière afin de n’être aveuglé. Devant moi se dévoile un charmant paysage, dont je pense qu’il évoque la région savoyarde. Au loin, un doux moutonnement de collines que cerne un horizon bleu pastel. Sur la gauche, à flanc de côteau, une maison blanche avec des volets verts, un toit de tuiles rouges, un enclos tout autour, mais à claire-voie, et des prés à l’herbe grasse, des vergers, de grands arbres qui se balancent dans un vent léger.
Devant la maison, je vois quelqu’un qui semble me faire signe, me demande de le rejoindre. Je descends en sa direction par un agréable sentier qui serpente au milieu des herbes et des touffes de fleurs. Un homme est devant moi, esquissant un demi-sourire. Il est vêtu d’un justaucorps, de culottes courtes ajustées au-dessus des genoux, d’un gilet à passementeries que recouvre une veste ample et longue, de facture modeste, pastorale, pourrais-je dire. Au-dessus d’un jabot blanc, une tête qui paraît à la fois affable et réservée, des rides parcourent le front. Des yeux un brin inquiets, une perruque cendrée. Je me dispose à le questionner sur son identité lorsque, soudain, tout s’éclaire en moi. Comment ne l’avais-je reconnu plus tôt ?