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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 15:32

(Variations sur l’UTOPIE)

 

 

   « Mais, afin de ne demeurer dans l’abstraction, je vais te dire en quoi consiste la tâche du génie dans un dessin que j’ai réalisé à la plume qui a pour nom ‘L’Homme de Vitruve’, mais tu me parais cultivé, tu dois donc en connaître l’existence. Comment, en effet, représenter l’homme dans la diversité des figures qui le traversent et le définissent ? Tâche impossible, diront les hommes du commun. Tâche exaltante dira l’homme de génie. »

   Disant ceci, le Florentin sort d’un dossier le dessin en question et se dispose à m’en expliquer les mystères. Cependant le jour a légèrement décliné, des ombres longues glissent sous les escaliers, s’enroulent en volutes autour des balustres et des rampes.

   « Vitruve veut montrer le corps humain en sa perfection. C’est pourquoi il s’inscrit dans deux formes également parfaites, le cercle et le carré. Cette œuvre est en réalité une allégorie des valeurs de l’Humanisme, de la Renaissance, de la Raison qui place l’Homme au centre de tout. Il est, en quelque sorte, le pivot autour duquel s’ordonne le Monde. Il se donne en tant que Cosmos qui a maîtrisé le Chaos. Donc le trait de génie n’est rien d’autre que cette mise en ordre, cette simplicité éclairante, cette juste mesure qui nous place, nous les hommes, en notre être, à la confluence de la plénitude et d’une possible joie. Connaître ceci ne veut nullement dire que l’on deviendrait éternel, seulement que l’instant que nous vivons au moment de cette ‘révélation’ s’est dilaté, qu’il nous emplit, qu’il nous porte aux confins de l’univers. »

   Sur ces derniers mots qui sonnent à la manière dont un tocsin envahit l’espace, annonçant aux hommes la mesure de leur destin, je comprends que le Maître souhaite mettre un terme à sa démonstration, qu’aiguillonné par la puissance de son génie, il ne va guère tarder à porter la main sur une œuvre en cours. En effet, se saisissant de ‘La Joconde’ (le tableau porte encore l’empreinte d’un travail récent), peignant délicatement du bout d’une brosse souple quelque détail du visage, sans doute seulement perceptible à l’acuité de son esprit, il précise :

   « Je dois encore faire un petit travail d’ordre ‘cosmétique’, tu reconnaîtras, au passage, la racine ‘cosmos’, qui signifie ‘le bel agencement de la parure d’une femme’, travail de mise en ordre du réel si tu veux. Je suis d’avis que je dois encore retoucher ce sfumato, sinon personne ne comprendra rien à cette œuvre. Je ne te raccompagne pas, tu connais le chemin. Si tu veux aller rendre visite aux Antiques, ils ont bien des leçons à nous donner, arrivé à la rotonde ovale, contourne-là, tu apercevras la Porte de l’antiquité , tu seras presque arrivé au terme de ton voyage. »

   Sur ce, Léonard retourne à son œuvre, et moi à mon chemin. Avançant le long du tunnel ténébreux, je médite les paroles du Toscan, les imagine, plaçant d’un côté les convulsions, les failles, les abîmes du Chaos, de l’autre la rigueur, l’ordonnancement, la clarté du Cosmos.  Et, déjà, je crois que je commence à percevoir tout ce que le génie a de singulier, son rôle fondateur parmi les hommes, son pouvoir de catégorisation du réel, d’un côté ce qui est contingent, passager, instable ; de l’autre les réalisations des esprits éclairés, l’Histoire, les Religions, l’Art, la Politique, les Lois. J’arrive à la rotonde. Ici, les nombreux candélabres font des taches de vive lumière au sein desquelles s’intercalent des zones plus sombres, une manière de damier en noir et blanc où pourraient bien figurer, sur les cases noires, les figures du Mal ; sur les cases blanches, celles du Bien. Bientôt la Porte de l’antiquité. Elle est constituée de deux battants de bois clair dans lequel sont enchâssées des vitres. Tout autour, dans une sorte de majesté se développe le bâtiment blanc d’un temple. C’est une architecture néoclassique de style ionique, entièrement en marbre blanc du Pentélique et pierres du Pirée. Sa façade est rythmée par six hautes colonnes. Sont représentés Athéna et Apollon. De part et d’autre de l’escalier qui conduit à l’édifice, deux imposantes statues figurent Platon et Socrate. Me voici donc devant la reproduction exacte de l’Académie d’Athènes et c’est non sans une vive émotion que je pousse la porte à deux battants, intimement persuadé de quitter un Ancien Monde pour un Nouveau sans doute plein de riches enseignements.

 

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