La roselière
Vendres
Photographie : Hervé Baïs
***
On est là, au seuil des choses.
On est là dans l’attente
de ce qui pourrait advenir.
On est en soi, immergé
dans la plus intime pliure
de son être.
On cherche à ne nullement
différer de soi.
On cherche le nul écart,
la juste disposition,
l’exacte mesure.
A peine dans la venue du jour
Sur la feuille lisse de sa peau
un zéphyr s’est levé.
Il est cette note claire,
un appel de la conscience,
un ébruitement
à peine prononcé
du Monde.
On est au carrefour des sens,
dans l’irisation de sa chair,
dans l’éveil natif de son esprit.
On est dans l’avant-parole
que talque un infini silence.
On est simplement cet éther
qui vibre de se connaître
à défaut de n’y jamais parvenir.
Et pourtant nul doute
de ce qui nous est promis :
la dentelle d’un rapide bonheur,
l’éclosion d’une rencontre,
l’épanouissement d’une joie,
cette visée de l’âme
souvent inaccessible,
espérée cependant.
A peine dans la venue du jour
Là où l’on est, est le Lieu
de la pure immobilité.
La touche du jour est virginale,
visitation sur la pointe des pieds.
Une ballerine effleurant le sol
dans une ferveur retenue.
Un glissement sur la fente ténue
de l’horizon.
Tout, ici, est ramené
à sa simplicité originelle.
Chaque présence est pleine,
entière.
Le Ciel est le Ciel.
Le Nuage le Nuage.
La Colline la Colline.
Le Roseau le Roseau.
Chacun à sa place
de singulier événement.
Chacun adoubé à ce qu’il est
en son fond.
Un acte accompli
qui n’en exige nul autre.
La certitude d’être parvenu
dans le site unique
d’une évidente Beauté.
A peine dans la venue du jour
Alors il faudrait se taire, demeurer en soi, dans la geôle heureuse de son corps. Ne rien penser. Ne rien émettre qui altèrerait l’équilibre ici donné de toute éternité. C’est ceci, les choses belles n’ont nul besoin de commentaires, elles sont arrivées à leur plénitude, elles n’ont plus à se déployer, à ouvrir leurs corolles, elles sont l’Ouvert en sa plus belle monstration. Ce Jardin d’Arcadie, on en sent en soi les immédiats bienfaits, on en éprouve la majestueuse profondeur, on en mesure la florale dimension qui est vertige au bord de l’abîme mais l’abîme est donateur de cette complétude à laquelle nous aspirons sans, le plus souvent, savoir la nommer, savoir l’accueillir. Le phénomène de la divine coïncidence est ceci :
être Soi, en Soi,
mais aussi bien en l’Autre,
en un seul et même mouvement
de l’âme.
Être le non-divisé,
l’infiniment disponible,
être le Dilaté jusqu’à la limite infinie
du cosmos.
Être fécondé par ce qui nous entoure
et nous convoque aux épousailles
du Ciel et de la Terre.
A peine dans la venue du jour
Le Ciel est cette rumeur élyséenne,
cette fugue invisible,
cette scansion immatérielle
qui anime notre cœur,
y imprime le rythme de la vie.
De fins nuages avancent
sur l’océan illimité du Ciel.
Les nuages sont l’écriture du Ciel,
son long poème un jour commencé
qui semble n’avoir nulle fin.
L’horizon est une colline noire,
un animal sans nom,
venu là sans raison apparente,
médiateur de l’éther
et de la matière opaque,
dense de la terre.
A peine dans la venue du jour
Nul besoin d’interroger
la raison de sa forme,
elle est nécessaire,
tout comme l’air à notre respiration.
Cet isthme à la rencontre des éléments
avait sa place affectée depuis toujours.
Son être même est son Lieu.
Son destin de relier
l’aérien et le terrestre,
le fluide et le dru,
l’invisible et le visible.
Juste équilibre de ce qui est en soi dénuement et ne s’affirme qu’à l’aune de cette pauvreté essentielle. Cette langue de terre serait-elle richesse, flamboiement et alors tout renoncerait à paraître dans cette résonance biblique qui atteste le commencement, pose la première syllabe du poème de l’Être.
A peine dans la venue du jour
La lumière est belle
qui bourgeonne,
se lève du Ciel et de la Terre,
resplendit dans l’entre-deux,
illumine toute beauté,
déclot l’âme des choses,
libère leur essence,
les porte à leur extrême dévoilement.
Un mystère nous est donné
que nous attendions
depuis l’aube des temps,
une offrande pareille
au vol libre et majestueux
de l’oiseau-lyre,
un nuage de plumes légères
allège son être,
le rend identique
au diaphane séraphin.
A peine dans la venue du jour
Oui cette heure d’immédiate donation est sacrée, oui cette heure nous questionne au plus profond de qui nous sommes, l’instant blanchit, se poudre de cendre, la seconde est subtile, nous en sentons le déploiement de rémiges quelque part dans l’antre ébloui du corps.
Alors notre chair
est chair du Monde.
Alors notre Monde
est chair de la Présence.
Alors la Présence
est ce qui nous alloue notre Lieu
parmi les chemins multiples
de l’exister.
Et ces arbres, ces souples volontés qui s’élancent depuis la nappe onctueuse des roseaux, ne nous disent-ils notre croissance à partir de la glaise fondatrice, notre élan vers cet Idéal qui partout s’affirme comme notre seule chance de nous retrouver parmi le hasard des confluences, les nécessités immanentes de l’heure ? La plaine infinie des plumeaux oscille sous le vent, animée de courants de clarté, habitée d’ombres profondes qui sondent jusqu’à l’inconscient de ceci même qui est soustrait à nos yeux, l’énigme de la vie en sa plurielle effusion. La lumière joue avec les roseaux. Les roseaux sont lumière. Les roseaux sont les miroirs qui reflètent notre conscience. Du Soi disponible aux roseaux présents en leur étonnante effraction, il y a continuité, harmonie et notre parole intérieure se vêt de la parole soyeuse des efflorescences.
A peine dans la venue du jour
Le Soi, face à l’excès
de ce qui se montre,
est le sans-distance,
l’imminence même
au terme de laquelle
quelque chose fait phénomène
dans une manière de révélation
dont le nom même
ne pourrait être proféré
que dans le doute de figurer Ici,
dans ce lieu d’extrême Vérité.
De ce que nous voyons dans le genre d’un éblouissement, rien ne pourrait être soustrait car alors l’équilibre rompu effacerait, dans la même soudaineté, l’aire infinie du paysage et nous-même qui le regardons avec une sorte de crainte mêlée de l’espoir d’une possible éternité. Nous regardons les choses belles et nous demeurons, au sein de qui nous sommes tout le temps qui nous est alloué. Nul autre endroit pour nous accueillir.
A peine dans la venue du jour
L’Unique est là dont nous recevons
la nuptiale empreinte.
Jamais deux êtres ne peuvent être séparés
que l’Amour unit.
Oui, l’AMOUR !