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8 mai 2021 6 08 /05 /mai /2021 09:33
A peine dans la venue du jour

La roselière

Vendres

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

A peine dans la venue du jour

 

On est là, au seuil des choses.

On est là dans l’attente

 de ce qui pourrait advenir.

On est en soi, immergé

dans la plus intime pliure

de son être.

On cherche à ne nullement

différer de soi.

On cherche le nul écart,

 la juste disposition,

l’exacte mesure.

 

A peine dans la venue du jour

 

Sur la feuille lisse de sa peau

un zéphyr s’est levé.

Il est cette note claire,

un appel de la conscience,

un ébruitement

à peine prononcé

du Monde.

On est au carrefour des sens,

dans l’irisation de sa chair,

dans l’éveil natif de son esprit.

On est dans l’avant-parole

que talque un infini silence.

On est simplement cet éther

qui vibre de se connaître

 à défaut de n’y jamais parvenir.

 Et pourtant nul doute

de ce qui nous est promis :

la dentelle d’un rapide bonheur,

l’éclosion d’une rencontre,

l’épanouissement d’une joie,

cette visée de l’âme

souvent inaccessible,

 espérée cependant.

 

A peine dans la venue du jour

 

Là où l’on est, est le Lieu

de la pure immobilité.

La touche du jour est virginale,

visitation sur la pointe des pieds.

Une ballerine effleurant le sol

dans une ferveur retenue.

Un glissement sur la fente ténue

de l’horizon.

Tout, ici, est ramené

à sa simplicité originelle.

Chaque présence est pleine,

entière.

Le Ciel est le Ciel.

Le Nuage le Nuage.

La Colline la Colline.

 Le Roseau le Roseau.

Chacun à sa place

de singulier événement.

Chacun adoubé à ce qu’il est

en son fond.

Un acte accompli

qui n’en exige nul autre.

La certitude d’être parvenu

dans le site unique

d’une évidente Beauté.

A peine dans la venue du jour

 

   Alors il faudrait se taire, demeurer en soi, dans la geôle heureuse de son corps. Ne rien penser. Ne rien émettre qui altèrerait l’équilibre ici donné de toute éternité. C’est ceci, les choses belles n’ont nul besoin de commentaires, elles sont arrivées à leur plénitude, elles n’ont plus à se déployer, à ouvrir leurs corolles, elles sont l’Ouvert en sa plus belle monstration. Ce Jardin d’Arcadie, on en sent en soi les immédiats bienfaits, on en éprouve la majestueuse profondeur, on en mesure la florale dimension qui est vertige au bord de l’abîme mais l’abîme est donateur de cette complétude à laquelle nous aspirons sans, le plus souvent, savoir la nommer, savoir l’accueillir. Le phénomène de la divine coïncidence est ceci :

 

être Soi, en Soi,

mais aussi bien en l’Autre,

en un seul et même mouvement

de l’âme.

Être le non-divisé,

l’infiniment disponible,

être le Dilaté jusqu’à la limite infinie

du cosmos.

Être fécondé par ce qui nous entoure

 et nous convoque aux épousailles

du Ciel et de la Terre.

 

A peine dans la venue du jour

 

Le Ciel est cette rumeur élyséenne,

 cette fugue invisible,

cette scansion immatérielle

qui anime notre cœur,

y imprime le rythme de la vie.

De fins nuages avancent

sur l’océan illimité du Ciel.

Les nuages sont l’écriture du Ciel,

son long poème un jour commencé

qui semble n’avoir nulle fin.

L’horizon est une colline noire,

un animal sans nom,

venu là sans raison apparente,

médiateur de l’éther

et de la matière opaque,

 dense de la terre.

 

  A peine dans la venue du jour

 

Nul besoin d’interroger

la raison de sa forme,

elle est nécessaire,

tout comme l’air à notre respiration.

Cet isthme à la rencontre des éléments

avait sa place affectée depuis toujours.

Son être même est son Lieu.

Son destin de relier

l’aérien et le terrestre,

le fluide et le dru,

l’invisible et le visible.

  

   Juste équilibre de ce qui est en soi dénuement et ne s’affirme qu’à l’aune de cette pauvreté essentielle. Cette langue de terre serait-elle richesse, flamboiement et alors tout renoncerait à paraître dans cette résonance biblique qui atteste le commencement, pose la première syllabe du poème de l’Être.

 

A peine dans la venue du jour

 

La lumière est belle

qui bourgeonne,

se lève du Ciel et de la Terre,

resplendit dans l’entre-deux,

illumine toute beauté,

déclot l’âme des choses,

libère leur essence,

les porte à leur extrême dévoilement.

Un mystère nous est donné

que nous attendions

depuis l’aube des temps,

une offrande pareille

au vol libre et majestueux

de l’oiseau-lyre,

un nuage de plumes légères

 allège son être,

le rend identique

au diaphane séraphin.

 

A peine dans la venue du jour

 

   Oui cette heure d’immédiate donation est sacrée, oui cette heure nous questionne au plus profond de qui nous sommes, l’instant blanchit, se poudre de cendre, la seconde est subtile, nous en sentons le déploiement de rémiges quelque part dans l’antre ébloui du corps.

 

Alors notre chair

est chair du Monde.

Alors notre Monde

 est chair de la Présence.

Alors la Présence

est ce qui nous alloue notre Lieu

parmi les chemins multiples

de l’exister.

 

   Et ces arbres, ces souples volontés qui s’élancent depuis la nappe onctueuse des roseaux, ne nous disent-ils notre croissance à partir de la glaise fondatrice, notre élan vers cet Idéal qui partout s’affirme comme notre seule chance de nous retrouver parmi le hasard des confluences, les nécessités immanentes de l’heure ? La plaine infinie des plumeaux oscille sous le vent, animée de courants de clarté, habitée d’ombres profondes qui sondent jusqu’à l’inconscient de ceci même qui est soustrait à nos yeux, l’énigme de la vie en sa plurielle effusion. La lumière joue avec les roseaux. Les roseaux sont lumière. Les roseaux sont les miroirs qui reflètent notre conscience. Du Soi disponible aux roseaux présents en leur étonnante effraction, il y a continuité, harmonie et notre parole intérieure se vêt de la parole soyeuse des efflorescences.

 

A peine dans la venue du jour

 

Le Soi, face à l’excès

de ce qui se montre,

est le sans-distance,

l’imminence même

au terme de laquelle

quelque chose fait phénomène

dans une manière de révélation

dont le nom même

ne pourrait être proféré

que dans le doute de figurer Ici,

 dans ce lieu d’extrême Vérité.

 

   De ce que nous voyons dans le genre d’un éblouissement, rien ne pourrait être soustrait car alors l’équilibre rompu effacerait, dans la même soudaineté, l’aire infinie du paysage et nous-même qui le regardons avec une sorte de crainte mêlée de l’espoir d’une possible éternité. Nous regardons les choses belles et nous demeurons, au sein de qui nous sommes tout le temps qui nous est alloué. Nul autre endroit pour nous accueillir.

 

A peine dans la venue du jour

 

L’Unique est là dont nous recevons

la nuptiale empreinte.

Jamais deux êtres ne peuvent être séparés

que l’Amour unit.

 

Oui, l’AMOUR !

 

 

 

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