‘Nature Morte’
Photographie : Marcel Dupertuis
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Incipit - Prenant pour point focal cette belle image, belle sur le plan photographique aussi bien qu’artistique, nous voudrions poser la thèse selon laquelle l’épreuve en Noir et Blanc se dirigeant vers une supposée origine, un fondement, s’approche d’une nécessaire vérité alors que son traitement coloré, du fait de la multiplication de ses sèmes, de l’éparpillement des sens qu’elle suppose, ne ferait apparaître qu’une dilution de cette même vérité. La couleur appellerait au premier chef une esthétique, le Noir et Blanc une éthique. Mais il faut maintenant aller plus avant.
SAISONS
Eté - Profusion. Tout vient du cœur ruisselant des choses, tout se lève de l’indistinct et flamboie au plus haut de sa forme. Tout rutile et fait sens à l’acmé de son être. Regardons ‘L’été’ de Pieter Brueghel l'Ancien. L’image, hautement solaire, expansive, ne laisse nullement de place à l’ombre, au recueil, à la méditation. L’activité bat son plein qui n’attribue aux hommes nul interstice pour quelque repos. L’air est infiniment tendu. Les pensées sont lentes à venir. Tout se fait dans l’immédiateté de l’action. Il faut boire à la jarre pléthorique de la vie. Il faut s’emplir d’un épicurisme au premier degré qui ne s’embarrasse de quelque considération fâcheuse. Eté comme arche tendue du désir. Eté comme présence du présent en sa fulgurante instantanéité. Tout doit être plein, les flux existentiels bourgeonnent, les corolles s’ouvrent, la corne d’abondance diffuse dans l’air saturé de joie imminente les pollens et les nectars de la vie prise à bras le corps. Partout la couleur est à la fête, partout elle dissémine les spores de la croissance, de l’expansion, de la diffusion multiple, bariolée, chamarrée, tel l’habit d’Arlequin.
A cette aune, l’âme existe-t-elle, l’esprit trouve-t-il aire favorable à son expansion, la dague des soucis et des inquiétudes lacère-t-elle la toile unie du réel ? L’angoisse, cette ambroisie de la Métaphysique, est-elle à même de déployer sa tragique efflorescence ? Non, ici se montre, sous la plus vive des clartés, la généreuse climatique des divertissements estivaux, ici s’actualise la dimension plurielle des phénomènes, la prolifération naturelle, polyphonique, polychrome, poly-sensorielle de ce qui vient à soi pour dire la luxueuse apparence de ceci qui se montre, que nulle contrariété ne saurait entraver, dont nulle tristesse ne pourrait entamer le capital d’illimitée jouissance. Là, dans la multitude riante, épanouie, là dans la grande spirale d’allégresse, ne saurait s’immiscer la mélancolie des penseurs abscons, des faiseurs de morale, des alchimistes de concepts, des dogmatiques religieux, des ascètes en voie pour l’Absolu. Tout spleen, tout chagrin, toute morosité font tache et obscurcissent le ciel d’ombres jugées funestes, invasives, hors de saison et de propos.
Automne - Ce que l’été avait commencé, l’automne l’accomplit dans la plus somptueuse amplitude. Les couleurs, prises de l’intérieur, s’exhaussent, scintillent. Les érables sont incendiés, les forêts sont chatoyantes, les feuilles expulsent les dernières traces chlorophylliennes, le vert apaisant est banni que remplacent l’éclat du carmin, le rugissement de l’écarlate, l’assaut du vermeil, la vibration de la garance. On est ici, si loin de la photographie placée à l’initiale de cet article, on est à son exact opposé. Elle qui vit dans la modestie de la pénombre, elle qui se vêt de gris soutenu et de noir profond, elle qui se retire au plus intime de son être, voici que la meute automnale, la débauche multicolore, l’arc-en-ciel pléthorique viennent apporter la plus verticale des contradictions.
Il y a évidente polémique, comme si l’excès des tonalités, leur son cuivré, leur haute symphonie voulaient recouvrir et reconduire à néant ce qui, dans une manière de dolent silence, de parole à la limite d’une mutité, se donnait dans le chuchotement existentiel, autre nom pour une naissance sur le bord du réel, sur la margelle attentive du monde. Car il n’y a vraiment que dans le retrait, dans la modestie de l’apparence, dans l’économie du dire que se décèle l’exactitude des choses, autrement dit le dévoilement de leur vérité. Et le moment est venu de placer la notion de vérité selon le mode grec antique du dévoilement, nommé ‘alètheia’. Ce concept se décline selon deux modes : vérité au sens de dévoilement (l’étant en son apparaître occulte toujours l’être qui est sa vérité), le dévoilement occulte la simple apparence pour donner lieu à l’effectivité du réel.
[Incise - Dans ce texte, nous souhaiterions faire se révéler, de manière métaphorique, en des guises successives de décoloration et de dénuement (l’expansion estivale-automnale cédant peu à peu la place à la rigueur hivernale), une succession de stades, genre de genèse régressive qui, d’un réel saturé, surabondant (figure de la simple apparence et de l’erreur) remonterait en direction d’une figure originaire affectée de la plus juste simplicité, (seule synonyme de vérité). Un peu comme si un chemin à rebours des stations historiques traversées par les formes esthétiques devait rétrocéder à partir de leurs manifestations les plus exubérantes (fauvisme par exemple, expressionnisme), pour aboutir à l’expression dépouillée, primitive, archaïque (l’art pariétal) en lequel s’annoncerait, sinon une naïveté, du moins une évidence, une justesse, une sincérité que des strates civilisationnelles et culturelles auraient sédimentées, si bien qu’elles ne seraient plus guère perçues, ici et maintenant, qu’à la manière de spectres lointains que la lumière de la temporalité aurait affadis au point de nous les rendre illisibles.]
Hiver - La nature s’est assagie, est rentrée dans le rang. La sève exubérante a regagné l’âme cachée des arbres, s’est invaginée au profond des racines, dans le secret des tapis de rhizomes. Les couleurs ont été gommées. Ne subsiste plus guère qu’une palette trinitaire Noir/Blanc/Gris. Un mot à peine plus haut qu’un autre. Une syntaxe du dépouillement. Une rhétorique sobre, mesurée, soucieuse de ne dire que l’essentiel, ces présences s’enlevant à peine du sol d’où elles proviennent. Une terre originaire. Une glaise formatrice des premières ébauches, des esquisses primordiales. Une présence silencieuse, à la limite d’un effacement. Comme si les choses du monde, dans leur native effraction, pouvaient, à tout moment, décider de leur être, le propulser en direction de l’étant-visible ou bien le réserver en leur être-invisible. Etonnante disposition alètheiologique, jeu d’un constant voilement/dévoilement qui est la scansion, le rythme immémorial, la pulsation selon lesquelles le se-montrer/se-cacher se donne comme la figure d’Ombre et de Lumière qui, une fois dit
Le Noir et le Blanc
le Rien et le Tout,
la Nuit et le Jour,
l’Opaque et le Diaphane,
la Fin et l’Origine,
le Vide et le Plein,
l’Occultation et l’Emergence
Le Silence et la Parole,
le Mensonge et la Vérité,
le Mal et le Bien
Oui, le Noir et le Blanc, et tout ce qui, symboliquement s’y réfère, dont nous venons de dresser quelques emblèmes contradictoires, dichotomiques. Ce sont les Intuitions Fondamentales dont nous usons afin que l’emplissement de notre conscience puisse disposer de positions cardinales, d’amers qui seront les pierres vives du sens au gré desquelles cheminer sur cette terre. Quelle sera alors notre position humaine par rapport à ces polarités essentielles ? Eh bien celle d’être des médiateurs, autrement dit de nous situer dans cette valeur intermédiaire du Gris, laquelle tient du Noir sa part de doute, du Blanc sa part de certitude. Médiation ou travail de navette ininterrompu de la Matière-Ombreuse à l’Esprit-Lumière, laquelle médiation constitue le tissage ontologique du Dasein, de l’être-là tel qu’il nous est confié par la mesure du Destin. (On prendra soin de noter que les oppositions binaires figurant ci-dessus le sont dans une perspective axiologique attribuant au Noir la valeur Négative, au Blanc, la valeur Positive ou, pour le dire autrement, le Noir en tant que Mal, le Blanc en tant que Bien, le Noir du côté d’une Fausseté, le Blanc du côté d’une Vérité.)
Ces distinctions canoniques, ces dialectiques radicales dont on pourrait penser qu’elles sont des simplifications abusives de la réalité, bien loin d’être de simples postures traditionnelles sont les conditions d’une pensée sans doute schématique mais claire des divers ordres auxquels nous confronte notre chemin d’hommes. Elles ne sont nullement des oppositions binaires se limitant à une approbation ou à un rejet des déterminations d’existence. Elles supposent, afin de prendre sens, un troisième terme, l’Existant-que-nous-sommes en sa plus haute possibilité, à savoir de considérer le Noir au même titre de possibilité que le Blanc, opérant toujours une synthèse des points de vue qui, en tant que juste milieu des choses, débouche toujours sur une vision rationnelle dudit réel. Nous sommes, en première instance, des Sujets à équidistance des Objets que nous rencontrons dans notre quotidienneté. Notre regard oscille toujours, tel le fléau de la balance, entre des mesures adverses, antinomiques, le plus souvent tressées des plus vives apories.
Vivre en pleine conscience est ceci : aiguiser notre lucidité, dégager des différentes formes esthétiques (comportements humains, faits et gestes, postures et conduites, travaux et œuvres, socialités et culture) le ferment nécessaire au dégagement d’une éthique car les formes belles ne sauraient s’exonérer de l’exigence d’une éthique. Il est une tradition de la pensée qui condamne une telle vision dualiste du Monde pour la simple raison qu’on ne saurait situer comme antinomiques l’Esprit et le Corps dont le réel unifie les postures, les ramène à se situer dans un identique creuset. Certes, ce que le réel présente en tant que le même, les catégories linguistiques le posent en tant que différent. Comme si, d’un côté, l’Esprit vivait sa vie autonome et, d’un autre côté, le Corps, identiquement, se situait dans une sorte d’existence parallèle. Bien évidemment cette conception, prise à la lettre, serait tout simplement absurde. Ce qui est à considérer, ceci : le lieu du réel et le lieu symbolique du langage n’occupent pas les mêmes places, ne partent nullement des mêmes perspectives. Afin de décrire le réel, le langage a besoin de cette activité analytique qui pose les différentes esquisses de l’être-d’une- chose selon une successivité temporelle, alors que le flux du réel ne sépare rien, n’isole rien, simple constance de l’être en son devenir. Mais ce que l’activité langagière, de par sa nature, scinde arbitrairement, la faculté intellective le reconstruit dans une synthèse de sens immédiatement compréhensible.
Cette digression était utile de manière à resituer
Ombre/Lumière
Rien/Tout
Occultation/Emergence
dans un unique souci existentiel car rien de ce qui vient à nous n’est totalement Vrai ou totalement Faux, toujours un composé des deux, toujours une Plénitude que vient creuser un Vide.
Dans le développement proposé jusqu’ici, nous n’étions nullement à la périphérie de l’œuvre de Marcel Dupertuis pour la simple raison, qu’en filigrane, elle pose toutes ces questions de l’Ombre et de la Lumière, du Vrai et du Faux, du Silence et de la Parole. Faisant ceci, elle expose l’esthétique dans la clarté d’une éthique. Et ici, ‘éthique’ nous l’entendrons au sens originel, selon la belle inflexion heideggérienne du terme de l’ancien grec ‘éthos’, qui fait signe en direction d’une manière exacte d’habiter la terre, c'est-à-dire de créer la possibilité d’un séjour de l’homme dans la Vérité de l’Être. Ceci est riche de multiples implications qui vont du travail sur soi du Dasein jusqu’à la prise en considération de toute altérité, naturelle, anthropologique au soin desquelles il faut veiller. Il va sans dire que toute œuvre d’art, au motif de sa nature transcendante, doit être le signe de toutes les attentions. Beauté, Vérité = le Même.
Quelques variations phénoménologiques sur ‘Nature Morte’
Cette image est suffisamment admirable pour qu’elle puisse susciter un commentaire qui se voudra aussi exact que possible, lié de près à l’essence même du phénomène, ce surgissement qui ne peut que donner lieu à cet ‘étonnement’ fondateur de la science suprême, la science par excellence, à savoir la Philosophie. Car ici, ‘Le parti pris des choses’ pour s’exprimer en termes pongiens, se situe bien plus dans la sphère philosophique que dans la sphère esthétique, l’une n’excluant nullement l’autre (cette photographie en témoigne), il s’agit simplement de la perception subjective d’une hiérarchie des ‘apparitions’ ou, pour mieux dire, des épiphanies. Le temps est ici venu de parcourir l’image en ses donations essentielles.
Le Noir est profond. Le Noir est inquiétant. Le Noir est le fond primordial sur lequel s’enlève le procès de la manifestation. C’est du Noir que tout vient et de lui seul. Le Noir a valeur de générateur ontologique. Le Noir n’est rien. Le Noir est pur néant. C’est de lui et de lui seul que les choses s’extraient pour parvenir à leur être, rencontrer la lumière, ouvrir la clairière de la présence. Le Noir est la Phusis, cette matrice originelle et fondatrice de la pensée matinale grecque. Le Noir est cette indétermination, cette matière chaotique, ce bouillonnement obscur de l’Être en sa confusion initiale, ce foyer des énergies et des puissances telluriques, cette cornue alchimique traversée de toutes les impatiences des oeuvres en gestation, œuvre au noir, au blanc, au rouge.
Le Noir est ce qui tient en soi toutes les fécondations, toutes les germinations, toutes les effusions, les bourgeonnements, les efflorescences, les déploiements, les possibilités d’effectuation. Le Noir est la haute et totale mesure de l’alètheia. Le Noir est voilement en sa première monstration, mais voilement originaire qui contient en son mystère tous les dévoilements ultérieurs, toutes les paroles transcendantes, mais aussi bien immanentes.
C’est du Noir que, nous humains, provenons, identiquement à tout ce qui vit et prospère sur le globe infini de la Terre. Le Noir en nous c’est ce qui, parfois, obombre notre silhouette humaine et nous incline à la faute, au mensonge, à la négation de la vérité. Mais le Noir, c’est aussi l’antonyme au gré duquel survient, par simple mouvement dialectique, le savoir éclairé qui est condition de toute vérité. Si le Noir nous questionne infiniment, ce n’est guère au motif que, symboliquement, il ferait référence à la mort, au deuil, au tragique, mais c’est bien plus le contenu de ses motifs latents constitutifs de l’être-au-monde de tout ce qui est qui nous pose problème, intriqués que nous sommes à son ordre essentiel, nous les Sans-Distance qui redoutons ce qui nous aime et nous a mis au monde dans un pur geste d’oblativité. Dire oui à la vie, c’est dire oui à l’émergence de soi à partir de ce fond d’où tout surgit, où tout retourne qui peut être nommé Nature avec une majuscule à l’initiale. Connaîtrait-on jamais nom plus beau que cette simplicité essentielle, créatrice de tout ce qui est ?
Divin étonnement que celui-ci, merveille de l’exister en sa plus pure évidence. Qu’il y ait de l’Être et non pas Rien. Ici, l’Être se dit sur le mode du Blanc. Et, accessoirement du Gris, lequel n’est en réalité que sur le genre de l’emprunt, de la liaison, de l’échange avec ses deux tonalités primaires Noir/Blanc. Mais comment donc du Blanc peut-il se lever du Noir ? Quel événement métamorphique en autorise-t-il la survenue ? Est-il une simple décoloration de l’ombre, une atténuation du coefficient nocturne ? N’est-ce pas nous qui le rêvons afin d’exorciser ces nappes de suie et de bitume qui nous conduisent à notre propre néant ? Mais qui donc pourrait apporter une réponse à ce qui, fondamentalement, est insoluble ? Ici la logique est dépassée. Ici la raison échoue à poser des causes et des conséquences, à initier concepts et arguments.
Car le sens, bien loin d’être une détermination du principe de Raison, semble naître de lui-même, seulement guidé par des forces aveugles dont, jamais, nous ne pourrons saisir ni l’alpha, ni l’oméga. Surgissement de soi à partir de ce qui demeure occlus, source donatrice de formes, racine productrice d’une sève retirée en soi, germe contenant le secret de sa propre ouverture. Alors il nous est enjoint de demeurer dans le site des énigme irrésolues, de procéder à quelque formule langagière dont la magie opérante, à défaut de nous donner une réponse claire, poserait un baume sur les maux princeps qui affectent la condition humaine : vouloir savoir et ne le pouvoir jamais jusqu’à épuisement du sens. Ceci se nomme ‘demeurer sur sa faim’ et la satiété jamais atteinte, sans doute constitue-t-elle le moteur de notre incessante recherche.
Le Blanc est ouverture. Le Blanc est rutilance. Le Blanc est parole du poème, mais aussi de la prose en son apparition contingente. Tout en haut de la photographie, le cœur refermé des tulipes, cette instance d’éclosion située dans la médiation du Gris, constitue le point de passage entre le non-dit et le dire, entre le non-être et l’être. C’est en ceci qu’il nous touche au plus profond de qui nous sommes. Allégoriquement, il pose notre naissance comme identique à toutes choses, naissance de la fleur à elle-même, du jour à sa propre présence, naissance de toute immanence à la révélation de la beauté qui en nervure le destin. Ces verres aussi dans la modestie de leur apparence, dans leur à peine murmure nous disent la fragilité de tout être sortant de sa nuit, arrivant au bord du monde à la manière gracieuse des tout jeunes enfants. Ces derniers portent encore en eux un écho du néant dont ils furent extraits (par quel miracle ?), pour témoigner de qui ils sont et seront sur les chemins du nomadisme existentiel.
Tout, ici, se dit en vérité. Tout, ici, se donne en mode éthique. Être exactement dans l’habitation de soi, dans l’habitation du monde, voici ce que nous dit cette image tissée d’essentiel. Tout est à sa place, tout repose en son essence sans qu’aucune effraction ne vienne en troubler le repos, en déranger la quiétude. Les fleurs sont en tant que fleurs. Les verres en tant que verres. Canif, fruit, œuf en tant qu’eux-mêmes dans l’orbe de leur être. Les formes sont les formes, sans aucun débord de leur morphologie ontologique. Le canif ne présente nulle fonction ustensilaire qui le déporterait hors de lui. La poire n’est commise à aucune destination de nourrissage. La coupelle reçoit un fragment de coquille mais sans qu’elle devienne objet à destination particulière, son traitement atteste de sa belle neutralité. Le plateau de bois sur lequel reposent les êtres de l’image agit comme un fondement ou, à tout le moins, comme une discrétion qui s’efface à même sa propre parution. C’est ceci, l’exposition de toute vérité :
que l’essence demeure,
que la forme demeure,
que l’être demeure.
Simplicité, modestie, marge de silence, invariance des tonalités, permanence du Gris qui fait son bruit atténué de navette, ourdissant la toile du sens, ce mouvement, cette lente oscillation du Noir au Blanc, du Blanc au Noir. Y aurait-il une autre vérité que celle-ci ?
Voici, nous avons posé les fondements de cette image selon notre propre subjectivité. Or, cette dernière, dans sa royauté égotiste se montre, le plus souvent, en tant que contraire à la vérité. Du moins s’agit-il de la supposition la plus fréquente à son sujet. Certes. Mais toute vérité est toujours pour nous, en nous, immergée en notre propre être. Comment pourrions-nous jamais correspondre à notre singulière essence si nous consentions à accepter comme vérité celle de ce Quidam qui passe, avec laquelle vérité, peut-être, serions-nous en fondamental désaccord ? Ce Quidam, donc, ne jure que par le monde coloré, sa jouissance plénière, son expansion joyeuse. C’est bien en son intime que tout se passe et s’affiche dans la lumière d’une certitude. Oui, les couleurs sont belles.
« Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude », disait le très avisé Paul Cézanne. On ne pourrait s’inscrire en faux contre cette belle assertion. Tout au plus, pourrions-nous, du plus profond de notre être, dire en guise d’écho inversé : « Quand le noir et blanc sont à leur richesse, la forme est à sa plénitude. » Nulle formule, de la cézanienne ou de la nôtre (peu importe le procès en immodestie, c’est le sens qui prime toute chose !), nulle affirmation ne saurait prendre le pas sur l’autre. Simple question de ressenti intérieur, de sensation lovée au plus secret de qui nous sommes, d’intuition que nous ne cherchons qu’à justifier, le plus souvent, au moyen d’un discours rationnel ou bien métaphorique-allégorique. Au fond, l’essentiel au regard de l’oeuvre, de toute œuvre, c’est bien de réaliser l’accord entre elle, l’œuvre, et nous, de tisser des liens qui ne soient nullement des faire-valoir, des apparences, des compromissions, des allégeances, des soucis de coïncider avec une mode passagère.
Si, nous-mêmes, dans notre faculté de sentir et de juger nous décidons toujours en vérité, alors nous serons vrais nous-mêmes, aussi bien que la peinture, la photographie en qui nous aurons trouvé un souci identique de dire le vrai, rien que le vrai. A défaut de ceci, de cette exigence, nous ne serions que des sophistes usant d’une rutilante rhétorique plutôt que de nous destiner aux exactes réflexions de la dialectique. Toujours avons-nous à coïncider, dans la plus juste des affinités qui soit, avec nous-mêmes, les autres, les choses, le monde. Ainsi se définit un homme de vérité. Pourrions-nous différer de ceci ?