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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 08:59
Tu me disais

back to black…

L’Alzeau…Montagne Noire…Occitanie…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Tu me disais l’approche, déjà, de l’hiver.

Tu me disais la forêt de bouleaux,

la Forêt Blanche.

Je te disais les lueurs basses de l’automne.

Je te disais la forêt de sapins,

la Forêt Noire.

Tu me disais les eaux grises du Lac Roxen.

Tu me disais le froissement de l’eau

sous le Vent du Nord.

Je te disais l’eau claire de l’Alzeau

Je te disais la pliure de l’onde

sous le Vent du Sud.

 

Tous deux nous disions l’automne

en sa plus longue mélancolie.

Tous deux nous disions

la perte de la lumière,

sa fuite bien au-delà des yeux.

 

Tu me disais tes journées

à faire le tour du lac,

cueillant ici une feuille morte,

là une résille de bois flottant

dans l’air de givre.

Je te disais mes heures

à longer le ruisseau,

 me baissant ici

pour saisir une mince brindille,

 là la bogue épineuse d’une châtaigne.

 

Nous disions en écho

la belle rumeur de l’existence,

son genre de feu-follet

sur les rives de la basse saison.

Nous disions toute la beauté

qu’il y avait à vivre,

mais aussi tout le tragique

d’être alors que, des yeux,

se retirait la clarté,

que s’obombrait l’âme

en d’indéfinissables teintes.

 

Mais dis-moi ton pays,

cette dentelle blanche du Septentrion.

Dis-moi le vol des oies grises

au-dessus du souci des hommes.

Dis-moi la hauteur irrévélée du ciel,

sa cimaise semée d’efflorescences vives,

sa route si longue que le regard

ne saurait suivre.

 Le ciel est si haut, si loin.

 

Mais je te dis mon pays,

ses frises aux couleurs de suie.

Je te dis le cri des palombes

 sous la taie légère de l’air,

 bien au-dessus du désir des femmes.

Je te dis le verre du ciel

que trouent les cimes des hauts sapins.

Le ciel est si doux, si léger.

 

Nous disions la toute beauté du monde.

Nous disions les derniers feux

avant que ne s’éteigne

la flamme inquiète de la saison.

Nous disions le monde,

 mais ne disions que nous,

notre cheminement si étrange

parmi la courbure du réel.

Nous disions l’endroit des choses,

leur vérité et, en même temps,

nous disions leur envers,

le tissu hérissé des mensonges.

 

Mais dis-moi encore

les égarements de ton âme,

tes longs cheminements

tout autour de toi,

 tes incessantes recherches,

parfois le feu discret d’une joie

que tu n’attendais pas,

qui te surprenait,

te ravissait aux êtres

et aux événements.

 

Mais je te dis la fuite

de mon esprit

hors de mon corps,

ses errances folles

parmi le lacis des collines,

elles sont si vallonnées,

on dirait la belle Toscane.

Parfois un subtil bonheur éclot

 au beau milieu d’une méditation

et alors plus rien ne me touche

que cette attention au fragile

qui m’habite et,

 souvent, me désespère.

  

   Mais laisse-moi te raconter un peu de ces rivages d’Occitanie que nul ne peut connaître qu’à s’égarer volontairement parmi la discrétion du paysage. Vois-tu, ce matin le ciel a revêtu sa parure hivernale, un genre de brume indéfinissable qui flotte au plus haut. Toussaint vient de passer. Serait-ce le signe, cet air si diaphane, des Disparus, cette empreinte qui déploierait son invisible effigie, nous n’en apercevrions que cette délicate touche, l’aile d’un oiseau sous l’aile du nuage ? Deux ailes, en une, intimement assemblées. Deux vols ne sachant le lieu de leur essor. Voler pour voler et ne rien savoir du monde, ici-bas, cette illusion qui talque les yeux des hommes.

   Tout autour de l’Alzeau, les arbres s’inclinent, se courbent gracieusement, leurs feuilles claires luisent dans la pénombre. Sais-tu combien ceci est précieux, cette douce et infinie présence des choses à soi. C’est parce qu’elles connaissent leur essence que, les regardant, nous pouvons connaître la nôtre ou tâcher d’en être les voyeurs les plus intimes. Au fond, tout au fond d’où vient l’eau, la lumière est si assagie, domptée en quelque sorte, qu’elle est presque noire, un genre d’aile de corbeau posée au-dessus du cours limpide de ce qui a la modestie d’un simple fossé. Les roches qui en parsèment le cours sont sombres elles aussi, pareilles à des plaques de fonte que l’âtre a patiemment, longuement, recouvertes de suie, cette matière si mystérieuse, elle contient encore en elle un feu qui couve et jamais ne semble vouloir s’éteindre.

   L’eau elle aussi mêle son étrange substance à cette teinte presque muette, juste quelques mots chuchotés qui meurent sur le bord des lèvres. C’est comme un secret qui se retiendrait sur le rivage du dire, ne voulant faire effraction que dans quelque pli de silence. A peine éloignée de nous, dans la retenue de soi, une minuscule plage de graviers qu’on dirait de plomb et de schiste, une langue qui avance vers l’inconnu. Sais-tu, comme moi, le singulier de cet instant ? Il est une pliure originelle d’un temps à venir dont nous ne connaissons rien, seulement un possible qui vibre au-dessus de nos fronts soucieux et appelle nos êtres à ne nullement se dérober, à être infiniment présents, comme si le paysage tout entier était un miroir tendu à notre narcissique émoi. Tout, ici, sous l’abri de la Forêt Noire est digne de beauté, depuis la lisière de la feuille détourée de clarté jusqu’à cette vibration inaperçue de l’eau, elle est un sanglot étouffé du paysage, une ode intérieure qui nous gagne et nous dépose en nous au plus loin de nous, une félicité rayonne depuis son centre qui est osmose, qui est affinité.

 

Être soi plus que soi,

être paysage,

voici le grand secret des choses

enfin à nous révélé.

 

Tu me disais l’approche, déjà, de l’hiver.

Je te disais les lueurs basses de l’automne.

 

 

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