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23 novembre 2022 3 23 /11 /novembre /2022 10:15
Seule, une Ligne

Plage de L'Espiguette

Photographie : Hervé Baïs

 

***

« la ligne gravissant la chute,

Ensevelie dans son ombre

Dans le surgissement de l’arête, s’éclaire d’un bond. »

 

Tal Coat - « Vers ce qui fut/est/ma raison profonde/de vivre »

Cité par Henri Maldiney dans « L’Art, l’éclair de l’Être »

 

*

 

Nous avons toujours beaucoup

de choses à démêler parmi

la confusion originelle du Monde.

Trop de flux et de reflux.

Trop de confluences diverses.

Trop d’éparpillements

et notre vue ne sait plus

où s’orienter afin que notre être

s’arrime à quelque chose

de sûr, de stable.

 

Bien sûr, nous ne demandons

ni l’immuable, ni l’éternel.

Le règne des idéalités

est bien trop élevé pour que

nous puissions en saisir

autre chose qu’un flocon,

une poussière grise que le réel

reprend dans la densité

de sa confuse crypte.

Sans doute ne le savons nous pas,

mais notre intime lui le sait,

cette nécessité d’un calme à établir,

d’un repos à trouver,

d’une Ligne à isoler des autres lignes

afin qu’en quelque endroit de la Terre,

le Simple se lève et nous dise

la belle singularité qu’il est,

la lumière qu’il projette en nous,

l’éclat dont il nous fera le don,

 il sera notre guide le plus sûr,

 une manière de ne nullement

nous égarer dans le labyrinthe

sibyllin du divers.

  

   Mais alors, par où commencer, il y a tellement de sentiers tortueux, de chemins semés de cailloux, de longs rubans de bitume qui sillonnent collines et vallées, se perdent dans les corridors sinueux des villes ? Où inciser le réel, à la manière dont on scarifie une écorce, y déposant une greffe dont on espère qu’elle multipliera, fera son éclosion blanche au milieu du tissu des préoccupations des Hommes ? Où se dire en tant que cette Unité visant cette autre Unité :

 

cette Montagne de schiste,

cet Horizon si lointain,

cet Arbre planté dans la terre

dont on n'aperçoit que le faîte

oscillant dans le vent ?

Où ?

 

   Mais, sur-le-champ, il faut cesser de questionner, substituer à nos vaines interrogations une manière de jeu, par exemple celui d’une réduction phénoménologique ramenant le divers à de bien plus exactes considérations.

 

La Montagne, couvertes de prairies,

semée de chênes-lièges,

armoriée de clairières,

ramenons-là à

l’essentiel de sa forme,

cette simple Lisière

qui court entre adret et ubac,

ce mince fil qui l’exprime aussi bien

que ne le faisaient ses bavardages végétaux,

le luxe de ses frondaisons,

les dessins de ses espaces différenciés.

 

L’Horizon, cette aire où se rencontrent

nuages et lames de vent,

cette séparation sur laquelle s’illustrent

les bateaux aux voiles blanches,

où glissent les fumées,

où s’irisent les crêtes des vagues,

demandons-lui de se  rassembler

autour d’une unique nervure

d’un trait net et serein

ils seront le lien autour duquel

nous nous rassemblerons

et trouverons le lieu d’un mot

pareil à la beauté du Poème.

 

L’Arbre qui déploie ses ramures

à l’encontre du ciel,

l’Arbre qui montre toutes les faces

de son écorce rugueuse,

l’Arbre qui devient forêt,

dépouillons-le de ses vêtures

et nous aurons successivement,

un tronc blanchi par le vent,

le peuple emmêlé des racines

devenant une seule racine,

un lacet nu,

une évidence parmi

l’éblouissement du limon.

 

Ainsi aurons-nous ramené

le Multiple à l’Unique

le Confus au Clair

le Prolixe au Silence

 

UNIQUE-CLAIR-SILENCE

Traceront alors la Voie

d’une Unique Essence

en deux Êtres assemblée :

celle du Vaste Monde,

la Nôtre. 

 Jeu infini de Miroirs,

réverbération

du Simple

dans le Simple

Ineffable faveur

 

   Nous avons beaucoup dit et, cependant, nous n’avons encore rien dit. Nous sommes en arrière de notre Parole, dans cette merveilleuse zone en clair-obscur où les choses ne se donnent jamais qu’à être reprises, c’est-à-dire qu’elles flottent dans une indéterminité qui est leur singulière liberté. Et pourtant, c’est notre tâche d’Hommes, il faut porter ce qui vient à nous au Langage, mais sur le mode de la discrétion, du recueil en Soi, seule position d’être qui convienne face à la pure beauté de l’Image. Alors nous disons

 

Seule, une Ligne

Le ciel noir, il vient de si loin,

sa lumière grésille à peine,

sa joie s’immole dans le Gris,

dans le Gris médiateur,

il est la sublime jonction

du Proche et du Lointain,

il est le mode de Passage

de ce-qui-n’était-pas et

de ce-qui-est-devenu,

ce subtil phénomène,

cela même qui « s’éclaire d’un bond »,

et vient nous dire l’illisible motif

de notre Présence sur Terre.

L’horizon est une large bande blanche

que souligne et rehausse une langue d’argile,

pure vibration de l’instant à venir qui, déjà,

est au-delà même de nos imaginaires les plus féconds.

Et la Plage, la vaste étendue de sable uniforme,

ce minuscule Désert, ce territoire

des Méditatifs-Contemplatifs,

cette aire de silence est ceci à quoi

nous étancherons notre soif

de perfection, d’harmonie, de finesse.

C’est le surgissement de l’Illimité,

 c’est la donation sans partage

des choses lissées de générosité.

C’est l’Universel qui vient

à la rencontre du Particulier,

de l’Individuel.

Dès lors l’on ne s’appartient plus,

on est livrés à l’entièreté du Monde,

on est Fragment et Totalité.

On déborde de Soi,

on se mêle au Ciel, à la Terre,

 à l’Eau, au Sable.

On est en Pays de connaissance,

on comprend le Langage de l’Univers,

on vibre au rythme du chant des Étoiles,

on flotte au plus éthéré du divin Cosmos,

on est juchés tout en haut du Mont Olympe.

 

Et cette LIGNE Majuscule,

cette soudaine apparition,

 ce subit étoilement au cœur de l’ombre,

 cette mince nervure « gravissant la chute »,

celle qui eût pu nous affecter en son absence

mais Ligne qui, déjà, à peine entr’aperçue,

est en notre corps, y trace son trajet lumineux,

y devient l’amer selon lequel notre chemin

trouvera le signe de son Destin.

Comme une Ligne de la main.

Ligne de cœur, de Mars, de Vénus,

que sais-je encore,

le monde des Astres est si étendu,

nous voudrions seulement y deviner

un sillage pareil à celui de la Voie Lactée.

Un lait venu du ciel qui serait

notre miel quotidien,

notre espoir le plus visible,

la seule chose dont notre regard

 ne puisse jamais être assuré :

avancer en direction de l’Infini

sans l’atteindre jamais,

sauf Soi dans l’inquiétude d’en connaître

l’unique l’éblouissement,

un éparpillement de constellations

semant à notre front les pétales

d’une fuite à elle-même

 sa propre signification.

  

   En définitive, peu nous importe le réel de la ligne : longue branche de bouleau argenté pris dans les lèvres du sable, corde marine échouée là, surgissement minéral venu d’on ne sait où. La Ligne en tant que Ligne suffit à notre approche avec toute la charge symbolique qui peut s’y attacher, partage du territoire, sentier de notre propre avenir, sens d’une lumière opposée aux zones d’ombre. Cette Ligne est esthétiquement belle. Cette Ligne nous indique que le choix du Minimal, du Simple, s’il est toujours difficile à repérer, à isoler du bavardage de la Nature et de celui des Hommes, que ce choix donc est le seul qui ici, sous ce Ciel noir, sur cette Plage grise prend tout son sens. Cette confrontation de la Ligne avec la vastitude du Monde nous fait inévitablement penser au concept pascalien des « deux infinis » et nous ne saurions mieux clore cet article qu’à citer les merveilleuses conclusions du génie pascalien au terme de sa profonde méditation :

      

   « Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti. »

  

   Oui, à l’évidence, cette Ligne nous place devant ce mystère si bien traduit par l’Auteur des « Pensées », nous situer en tant qu’Hommes au sein de cet Univers qui ne laisse de nous interroger et nous ouvre les voies infinies de la belle Métaphysique. Car, « métaphysiques », oui, nous le sommes indubitablement,

 

dans notre corps,

hors de notre corps.

 

   Le SENS ne s’inscrivant que dans le trajet, la relation du dedans au dehors, dans cette errance infinie qu’est toute existence humaine.

 

 

 

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