Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 avril 2023 4 27 /04 /avril /2023 07:37
En quel lieu étiez-vous ?

   [Entrée en matière – Le Lecteur, la Lectrice ne s’y tromperont pas, le fil rouge qui court tout au long de ce poème, comme dans la plupart d’entre eux, sinon tous, y compris mes Nouvelles en prose, ce fil rouge donc n’est autre que celui de la FUSION. Fusion de Soi en l’Autre, dans les Choses, dans le Monde. Cette tripartition du réel est ce qui vient au-devant de nous dans la plus pure évidence. Seulement, cet aspect trinitaire du réel, à commencer par ce Nous, qui est pure énigme, n'est rien moins qu’une illusion à laquelle, au mieux, nous donnons quelque nom, que nous dotons de quelque forme possible afin que notre silencieuse solitude puisse s’animer de quelque écho, nous incarner en quelque sorte, nous rendre visible à nous-même.

   Il s’agit toujours d’une question de regard. Notre vision est floue par nature car, du divers, du multiple, nous ne saisissons jamais qu’un fragment, une bribe, une nuée vite dispersés dans l’anonymat du ciel et d’un espace qui sont, par essence, infinis. La question, question vitale s’il en est : comment faire face à notre solitude constitutive, lui donner des aliments, la tromper en réalité, lui faire accroire que ces illusions qui poudroient devant nos yeux, ces évanescences qui se dissolvent dans les mailles de l’air, ont de solides bases, des fondements immarcescibles qui nous assurent de notre être comme du leur. C’est bien de ceci dont il s’agit dans la vie banale, ordinaire, inconsistante, déterminer des nervures, lesquelles irriguant le limbe, nous donnent le sentiment d’exister avec une puissance dont seule la Mort pourrait nous ôter le bénéfice. Notre contingence ainsi que celle des événements qui nous rencontrent sont de telle amplitude que nous nous escrimons, jour après jour, à en atténuer les effets, à en biffer la sourde présence. Et il est heureux qu’il en soit ainsi, notre cheminement sur Terre est à ce prix.

   Ce à quoi j’attribue le prédicat de « fusion » peut trouver à s’exprimer de manière analogue dans ce que Romain Rolland a nommé « sentiment océanique », cette ouverture de Soi au Monde, cette immersion dans le Grand Tout, cette osmose avec la Nature, cette intime sensation d’être vague qui bat au rythme du vaste Océan. Or cet état de « grâce » est exceptionnel et ne résulte que d’une attitude méditative-contemplative qui est le fonds commun des Poètes et des Artistes versés, par nature, à appréhender les choses dans leur totalité, leur globalité, faisant des contraires, à commencer par l’opposition Sujet/Objet, une Unité bien plutôt qu’une division. Ici les catégories perdent leurs droits afin qu’une synthèse du réel se manifestant, l’Homme soit auprès de ce qui l’environne comme une pièce interne du puzzle, non comme une partie qui lui serait externe, un genre de satellite girant autour de sa planète. Évoquer ceci incline également à penser le Monde et à l’éprouver selon un mode panthéistique, où tout est lié à tout, sans rupture, sans césure, une alliance où le lien même devient invisible à qui il est. La fusion est encore convoquée d’une manière essentielle dans les rapports de réciprocité des Amants, dans l’attachement du futur Homme au roc biologique de sa Mère, dont la vie intra-utérine est la manifestation avant-courrière des futurs bonheurs, des intimes joies.

   Dans le poème qui suit, Celui-qui-dit-Je devient, au terme d’un processus quasi alchimique, Celle-qui-disait-Tu, le Couple se donnant selon un Nous-fusionnel qui est, tout à la fois, l’accomplissement du poème en son sens le plus profond, l’Amour entre deux Êtres lui étant corrélatif. Écrivant ceci, je ne peux qu’espérer qu’une telle convergence allie, en une même unité, Vous-Lecteurs, Vous-Lectrices. Et l’Écriveur que je suis. Le langage, le sublime Langage est l’opérateur, le convertisseur universel, le médiateur sans égal où ce « Je est un autre » rimbaldien trouve sa plus belle expression, paradigme précieux s’il en est d’une connaissance de Soi-en-l’Autre, de l’Autre-en-Soi. Vous n’aurez nullement été dupes de la charge sémantique dont les-tirets-entre-les-mots sont l’illustration graphique. Ils sont l’élément visuel de la « fusion ». Merci d’avoir lu si vous m’avez accompagné jusqu’ici.]

 

*

 

En quel lieu étiez-vous

Qui n’était nullement le mien ?

 

Je vous apercevais,

mais comme dans un brouillard,

vous savez ces brumes d’automne

dont les écharpes n’en finissent de flotter,

on n’en discerne jamais qu’une pluie fine

qui talque l’âme d’une manière d’Infini.

Il est des êtres dont l’intime

 substance vous échappe

et c’est sans doute pour ce motif

qu’ils vous interrogent sans cesse,

vos jours en sont poudrés

d’un juste effroi,

vos nuits se perdent dans

leur continent d’encre,

vos songes deviennent si arachnéens,

ils semblent vous fuir pour un sibyllin

ailleurs sans contours bien précis.

 

En quel lieu étiez-vous

Qui n’était nullement le mien ?

 

Cependant, vous abandonner

 à ce motif si vague revenait à

procéder à ma propre disparition.

Comme si j’étais un simple halo

 émanant de votre subtile forme,

une fumée dont le feu

se serait dissimulé sous

quelque mystérieuse cendre.

Plus je m’ingéniais à vous inscrire

en quelque géométrie,

plus vous vous absentiez de moi,

il n’en demeurait que ces cercles

qui fripent l’eau et s’évanouissent

au sein de leur surprenant vortex.

Mon langage, lui aussi,

échouait à vous décrire

et les prédicats

que je convoquais,

 « grande »,

« mince »,

« voluptueuse »,

clignotaient un instant

derrière mon front pour

n’y jamais reparaître.

 

En quel lieu étiez-vous

Qui n’était nullement le mien ?

 

En réalité vous aviez

la consistance

 d’un feu-follet,

l’irisation verte

d’une aurore boréale,

le bleu translucide

d’un iceberg.

Il fallait que je m’arrange avec

 l’imprécision de ma vision,

avec l’inconstance de mon toucher

et il m’apparaissait, le plus souvent,

que vous n’étiez que la dentelle

d’une imagination trop

fertile et capricieuse.

En quelque manière,

vous étiez le deuil

qui justifiait ma présence sur Terre

et j’aurais pu vous rendre vivante,

étrange paradoxe,

à orner de chrysanthèmes la tombe

dont vous sembliez occuper

l’émouvant et fragile tumulus.

 

En quel lieu étiez-vous

Qui n’était nullement le mien ?

 

Le précaire était votre mode d’expression,

ma mélancolie la teinte par laquelle

je lui apportais une réponse.

L’illusion eût pu se poursuivre une éternité,

il m’était toutefois alloué la possibilité

de vous approcher au gré d’une image,

 fût-elle le témoin d’une cruelle absence.

 

Votre corps est blanc,

d’une pureté d’albâtre,

il évoque aussi bien un

champ de neige immaculé,

la douce palme d’une virginité,

la page libre sur laquelle, bientôt, l’Écrivain

posera les premiers mots de son poème.

Vous êtes la figure même d’une forme

abandonnée à son propre futur,

la cambrure de votre chair

en démentirait-elle la souple disposition.

Seules les braises de vos aréoles

attisent la blancheur d’un possible désir.

Certes il est bien délimité mais

son prix n'en a que plus de valeur.

Rouge pulvérulence dont le blanc

est atteint en sa nacre épandue.

 

En quel lieu étiez-vous

Qui n’était nullement le mien ?

 

Votre corps, ce luxueux céladon

est tendu à la manière d’un arc,

 il est atteint d’une vibration de cristal.

Chose étonnante parmi toutes,

teinté d’une sourde opacité,

il est le lieu d’une étrange transparence,

une invite à être auprès-de-vous-en-vous

dans l’instant qui brasille et convoque

à la fête de la rencontre.

Et votre visage,

ce masque vénitien

si troublant,

on voudrait l’ôter,

 mais au risque de Soi,

mais au risque de vous perdre.

La bouche-cerise est un fruit

 à portée de mes lèvres assoiffées.

 Le nez-étrave s’anime

d’imperceptibles fragrances.

Les yeux-insectes sont des soies noires

en lesquelles me noyer pour l’éternité.

Et vos cheveux, ce rutilant

ruisseau de cuivre,

cette chute de feu sur le

reposoir de votre couche.

Comment ne pas y succomber,

comment ne nullement s’y immerger

jusqu’à brûler la lame

de ma conscience ?

 

En quel lieu étiez-vous

Qui n’était nullement le mien ?

 

Et ce décor qui vient à vous,

qui focalise en ses traits

le précieux et le rare.

Une frise murale faite d’un

croisement de lignes bleues

vient dire l’exactitude

de votre présence,

 l’immanence qui vous fait être là,

dans une lumière de gemme

évidence parmi

les tumultes du Monde.

Et cette natte pareille

 à la fleur de lotus,

ne dit-elle votre grâce en

même temps que votre pureté ?

Ce don de vous dans ce

qui n’est que retrait

est la faveur qui me relie à vous,

me fait votre Obligé,

me noue à votre invisible destin.

Ma nuit s’annonce bientôt

et la basse lumière du crépuscule

 m’incline à vous rejoindre

dans ce songe que

 vous semblez mimer

avec le plus parfait naturel.

Alors, à la seule force de mon

 imaginaire fouetté par

mon ardent désir,

je-serai-Celle-que-vous-êtes,

je ne me confondrai en moi

qu’à vous halluciner.

Demeurez ainsi,

dans cette pose

mi-hiératique,

mi-voluptueuse,

c’est l’étonnant paradoxe

qui convient le mieux

  à votre venue à l’Être.

 Soyez simple

et aliénante geôle,

je serai votre Prisonnier !

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher