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13 juillet 2023 4 13 /07 /juillet /2023 08:43
Est-il possible de comprendre ?

Source : Science et Vie

 

***

 

   [Entrée en matière – Le texte qui va suivre, réflexion sur un Poème d’Emmanuel-Emmanuel, n’est sans doute rien moins que difficile à saisir. En raison de son objet même car tout travail de compréhension-interprétation suppose plus un défrichement qu’un déchiffrement, tellement le Langage de l’Autre est toujours énigme. Et la métaphore qui fait signe vers l’action de défricher n’est nullement le fait d’une pure fantaisie. C’est bien d’une forêt des mots au sein de laquelle, Lecteurs, Lectrices, nous avons à ouvrir la clairière du sens. Or cette tâche est toujours difficile, sinon impossible.  Au motif même que le contenu de l’énonciation est le lieu opaque de non-dits, de réserves, de dissimulations, d’implicite, de pure subjectivité. Autrement dit c’est une Terre qui se lève devant nous dont nous devrons fouiller le sol à nos risques et périls, au risque de ne point trouver cette gemme que son Auteur a pris soin de travestir sous la vêture du lexique dont chacun sait le caractère d’immense polysémie.

    Si des mots comme « refuge », « renoncement », « sevrage » peuvent trouver de claires significations au titre même de leur dénotation usuelle, il en va bien autrement avec la zone toujours interlope des connotations, travail de la subjectivité sur les formes langagières. Car, de la linguistique à l’existentiel l’écart est ample, souvent abyssal. Le mot n’est pas de nature simplement langagière, ceci serait trop simple. Le mot est aussi reflet ontologique, signe de l’exister en son exorbitante polyphonie. Dans cette perspective plurielle de la pullulation sémantique, comment trouver son orient, poser ses propres repères, faire que l’acte de lecture ne soit jeu purement gratuit ?

   Interpréter, glisser la lame du couteau dans les interstices de la chair, l’endommager le moins possible, ménager ses fibres naturelles, entrer dans le su au gré de son propre insu qui devra se faire discret afin de ne nullement bouleverser l’ordonnancement de ceci même qui se donne à comprendre. On sera immédiatement alertés que toute tâche d’interprétation, au prix du nécessaire décalage qu’elle implique, suppose un réaménagement de ce qui a été dit, écrit, proféré. Il y va de la rencontre de deux subjectivités, de deux mondes étrangers l’un à l’autre. Comprendre adéquatement ne consiste nullement à parvenir au plein de la signification, seulement déflorer sans détruire, prélever le nectar sans offusquer la corolle, butiner le précieux sans en disséminer la beauté originelle.  

   L’édifice babélien, l’originaire comme le symbolique, est assemblage de terre crue, raison pour laquelle il est difficile de s’y aventurer autrement que dans la retenue. Comprendre-interpréter est un pur travail de modification de la source, c’est pourquoi les ruisseaux qui en résultent en aval ont perdu de leur vitalité primitive. C’est à pas comptés que nous devons pénétrer dans l’enceinte du Langage. Il y a tant à voir dans la pureté. Demeurons sur le seuil. Seulement d’ici l’édifice sera au repos et nous-mêmes assurés de ne rien transgresser du geste originel.]

 

*

 

« Par combien de refuges

Par combien de renoncements

Sous l’addition des sevrages

Force de ne plus t’aimer

Voudrais-je quitter l’orbite de cette terre désespérée

Sa pluie si belle

Ses cheveux doux

Si fous

De l’attente

Des calamités et du chaos

Je voulais être un arbre

E. Szwed

07-VII-23

Je voulais être un arbre »

 

Commentaire d’Emmanuel-Emmanuel dont j’ai partagé le Poème

Dans mon Groupe « Écriture & Cie » :

 

« J'espère et je crois que vous comprenez. Merci donc. »

 

*

 

   « Est-il possible de comprendre ? ». Å première vue la question paraît naïve mais, sans doute, parce qu’insuffisamment interrogée.  Comprendre, est-ce si naturel qu’il y paraît ? Comprendre, est-ce si logique que supposé ? Y aurait-il une sorte de pré-compréhension, d’a priori qui nous habiteraient si bien que, toute question de ramener en notre direction un possible sens, ceci constituerait l’évidence même ? Il y aurait donc résolution à même la question. Certes, nous les Humains ne sommes nullement une terre vierge et les chemins que nous avons parcourus ont semé en nous quantité de jalons qui sont autant de facilitateurs d’une future saisie des problèmes et, corrélativement, de leur dénouement. Cependant, si j’applique à chaque énoncé auquel je fais face en tant que déchiffreur (le terme de « défricheur » serait peut-être plus exact), le postulat selon lequel, d’emblée, une réponse m’est donnée face à l’énigme qu’est tout questionnement, il semble bien que je fasse abstraction d’une réalité liée à l’essence même de toute énonciation proférée par un Locuteur. Entre Celui qui me questionne et auquel je dois répondre et celui que je suis dans le présent de la situation, ce qu’il est essentiel de saisir, c’est qu’un abîme nous sépare existentiellement et que cet abîme est abîme de sens. Et c’est bien cet abime qui installe entre les Hommes, la polémique, les divergences, les guerres, parfois.

   Supposons un énoncé en référence tel que celui-ci. Un jour d’été, en pleine lumière, au sein de cet épanouissement sans limite qui vient à moi, un sentiment de plénitude immédiate m’atteignant, un Quidam s’adresse à moi de telle manière :

 

« Il fait beau aujourd’hui »

 

   alors se dégage immédiatement une adéquation de l’énoncé, du réel et de nos deux présences, si bien que rien ne demeure dans l’ombre, rien ne se dissimule sous quelque voile mystérieux, l’assertion nous saisit en sa vérité, notre compréhension de ce qui fait phénomène sera soudain si saturée que rien ne nous questionnera plus avant. Il y aura homologie des situations signifiantes. Il y aura accord et l’énoncé trouvera sa chute positive dans le cadre de sa profération. Certes l’exemple est simple, si ce n’est simpliste, mais parfois faut-il partir du simple pour aller vers le complexe. Ici, la situation, si l’on peut dire est de « nature », la chose convoquée se donnant telle la colline à l’horizon, tel le rocher sur le rivage. Tout y est explicite. Tout y est transparent.

    Mais là où la chose se complique, c’est lorsque de l’implicite, du caché, du non directement préhensible obscurcissent ce qui vient à nous dont, jusqu’ici, notre expérience ne s’est nullement enquise. C’est comme si l’énoncé venait du trou du Souffleur, au théâtre, que le Souffleur nous était inconnu, de même que la scène qu’il articule pour nous mais qui se dérobe à l’exercice de nos sens. C’est donc de l’indistinct qui fait fond sur de l’illisible, c’est donc un rébus avec ses clés qui ne nous sont nullement accessibles dans le moment du dialogue. Si, dans le cadre de ce dialogue, Locuteur et Allocutaire partagent une expérience commune, alors la tâche de compréhension sera grandement facilitée. L’Allocutaire, informé des motifs développés par son Vis-à-vis, saisira immédiatement le sens du message qui lui est adressé. Si, situation inverse, Locuteur et Allocutaire se trouvent en des lieux et des temps différents, la clarté de l’énoncé, du moins pour le Destinataire, s’en trouvera considérablement affaiblie. D’où la nécessité d’une mise en commun des motifs qui guident l’émergence du corpus afin qu’une terre partagée soit le lieu d’une entente qui, faute d’être présente, réduirait la communication au silence.

   Mais appuyons-nous sur le contenu du Poème cité en référence de manière à ce que, du concret de l’énonciation, quelque chose nous soit donné comme un sens possible. Ce qui, d’emblée pose problème sur le plan de l’interprétation, se trouve entièrement contenu dans le vers suivant :

 

Force de ne plus t’aimer

 

   Le t, pronom personnel de la deuxième personne du singulier a été graphiquement accentué car c’est de lui dont il s’agit, de ce mot pivot autour duquel se construit la totalité de la signification du Poème. Tout rayonne à partir de lui, tout le corpus tourne en orbite, si l’on peut oser cette métaphore, à reposer sur la nécessaire ambiguïté de Celui ou Celle qui en est le Destinataire. Or ce fameux Destinataire se perd à même l’anonymat d’un mot qui est à peine un mot, ce TE ou ce TU qui ne subsistent, après l’élision, que dans la forme évanescente de ce  t qui nous met en demeure de le comprendre et nous place de facto en situation d’échec. Car comment pourrions deviner ce vers qui il fait signe, les indices sont si minces, si flous, que l’enquête menace de tourner court.

   Bien sûr le contexte du Poème nous permet d’élaborer quelques hypothèses dont, toutes, cependant, à chaque moment, risquent de verser dans la fausseté. Å qui donc s’adresse ce qui se donne sous la figure de la plainte ? Le seul pas qui puisse se faire en cette contrée vide, est un pas, sans doute vers cette Aimée qui, soudain se trouve répudiée, après que du négatif a été éprouvé à son encontre. « Refuges », « renoncements », « sevrages » semblent indiquer une frustration du Narrateur, sentiment si négatif qu’il ne suppose nul retour en direction de Celle qui en a fomenté l’aporétique tissu. Point de non-retour que souligne l’irréductibilité du mot « force », comme une injonction intérieure du Narrateur qui se résout, non seulement à ne plus orienter son amour vers son Aimée, mais à doubler son geste de la décision tragique de quitter le sol nourricier de la Terre. La Terre aux mille vertus. La Terre belle et douce. La Terre promise aux « calamités » et au « chaos ». Mort du Narrateur donc, lequel au terme d’un processus semblable à celui de la métempsycose, renaît à lui-même sous les espèces d’un arbre. Sans doute d’un Arbre symbolique puisant à même la merveille du sol, grâce à ses racines, la force de s’élever sous la forme du tronc, des branches, des feuilles, nouvelle génération venant annihiler les traits de l’Absurde qui en précédait la venue.

   Bien évidemment, un commentaire plus serré permettrait de donner sens à chaque fragment du corpus, de préciser son jeu propre, ses relations avec les autres mots, enfin de bâtir une narration vraisemblable qui, nous hissant vers le haut, nous exonèrerait du bourbier d’incompréhension dans lequel nous risquions de nous enliser. Cependant rien ne nous assure de la validité de notre interprétation et ici il nous faut reprendre quelques considérations d’ordre général. Afin d’en assurer une meilleure appréhension conceptuelle, j’aurais recours à la figure explicative du diagramme, laquelle, par son travail de synthétisation, assemble le divers sous une forme immédiatement lisible.

 

Est-il possible de comprendre ?

    Brossés à grands traits et d’une façon synthétique, les deux motifs de la compréhension (en situation d’une expérience commune du Locuteur et de l’Allocutaire) et de l’interprétation (en l’absence de cette même expérience) pourraient se traduire en termes d’harmonie ou de dysharmonie. Harmonie lorsque, d’une manière générale, les contenus de l’énonciation coïncident : Locuteur et Allocutaire se réfèrent à une expérience commune. Dysharmonie lorsque ces mêmes contenus divergent : Locuteur et Allocutaire sont existentiellement situés sur deux plans différents, lesquels créent les conditions mêmes d’une mésinterprétation ou, pire, d’une totale incompréhension.

   Ce qui est à comprendre (dans le champ de la compréhension), c’est qu’un dialogue minimal est la condition de possibilité de tout échange fructueux. En quelque façon le « Soi » du Lecteur doit se superposer, se calquer sur celui de l’Auteur, affinités préalables à toute entente réciproque. Instaurer un dialogue, c’est faire en sorte que l’étymologie du mot « dialogue » ne reste lettre morte, mais que le « dia », « ce qui traverse » puisse rencontrer le « logos », le « discours », la « raison » de celui à qui la parole est destinée. Hors de cette rencontre, de cette convergence, de cette osmose en vue de laquelle tout discours est produit, il n’y aura jamais que la glaise d’une lourde incompréhension, deux positions parallèles dont l’essence est de ne jamais aboutir à cette belle jonction du mot proféré, du mot reçu en la totalité de sa signification.

Est-il possible de comprendre ?

 

Diagramme de Venn montrant

quels glyphes en majuscules

sont partagés par l'alphabet

grec, latin et russe.

 

 

   Le recours au diagramme ci-dessus, ou « Diagramme de Venn », reporté au diagramme proposé plus haut, permettra de saisir ce lieu unique, cette manière de creuset, de réservoir mis en commun, là où une entente identique des choses les conduira à leur accomplissement le plus parfait. Ce qui a été nommé, dans le premier diagramme, au lieu d’intersection des deux cercles :

Mise en commun des expériences

Zone de compréhension « objective » de l’Allocutaire

Zone de médiation

 

Se réverbère en miroir dans le second diagramme, là où

 

O M K T

 

A X Y H

 

B E P

 

Sont les parties communes, partagées

des glyphes de langues originellement distinctes

grec, latin et russe

 

   C’est donc dans une zone bien déterminée du réel, une zone de médiation qui fait se superposer, se chevaucher des expériences plurielles, que peut se donner, dans un genre d’universel commun, la signification ultime qui sera entente entre Locuteur et Allocutaire. Ce qui, énoncé en termes qui me sont chers, revient à énoncer une fusion des affinités comme seule mesure qui rende possible un échange humain.

   Ainsi, si le corpus du Poème cité en référence, devient « cause commune », entente, possession partagée, alors l’énigme s’éclaire et se résout dans la plus pure clarté. Les « refuges », « renoncements », « sevrages » se désocculteront, sortiront de l’ombre et le « » de « Force de ne plus t’aimer », s’exilant de sa zone de mystère, deviendra le « tiers inclus » grâce auquel un dévoilement aura eu lieu, autrement dit le surgissement d’une Vérité. De manière semblable, l’arbre anonyme trouvera à s’épanouir selon la forme hautement compréhensive de ses racines fondatrices, de son tronc rugueux au contact du réel, du réseau infini de ses branches, du scintillement de ses milliers de feuilles, autant de minuscules métaphores d’une herméneutique en acte. Car, nous Humains ne sommes que ceci, un constant dépliement compréhensif-interprétatif de qui-nous-sommes en direction de-qui-nous-ne-sommes-pas, cette altérité qu’il faut faire sienne au risque de Soi. Sans doute n’y a-t-il rien de plus essentiel que de nous comprendre nous-mêmes et ce qui ne l’est nullement, car notre destin est tissé de ceci :

 

Être est comprendre

Ignorer est Non-Être

  

Puissions-nous, à partir de ceci, lire le beau Poème

d’Emmanuel-Emmanuel à nouveaux frais :

 

« Par combien de refuges

Par combien de renoncements

Sous l’addition des sevrages

Force de ne plus t’aimer

Voudrais-je quitter l’orbite de cette terre désespérée

Sa pluie si belle

Ses cheveux doux

Si fous

De l’attente

Des calamités et du chaos

Je voulais être un arbre

E. Szwed

07-VII-23

Je voulais être un arbre »

 

*

 

Oui, nous voudrions « être un arbre », un arbre compréhensif

Disposé à l’entente de l’Autre à l’aune de ses feuilles

De ses branches, de ses racines, de ses rhizomes

Et pouvoir rejoindre en un saut de la pensée

Celle qui, toujours aimée, s’éclaire

Au plus haut

Du Sens

 

O M K T

 

A X Y H

 

B E P

 

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