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23 janvier 2025 4 23 /01 /janvier /2025 09:41
Photographier : quête de Sens

à M'Hamid El Ghizlane

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

    « Å M'Hamid El Ghizlane », nous précise Hervé Baïs. Certes la précision n’est nullement superflue mais l’étrangeté nous saisit devant un tel nom dont les graphies berbères ⵜⴰⵔⴳⴰⵍⴰ, aussi bien qu’arabes امحاميد الغزلان ne font que nous égarer davantage. Comme si ces étranges sonorités aux portes du Désert, instillaient, en nous, de spécieux et bien irréels mirages. Oui, parfois le réel lui-même se plait à se vêtir d’un voile, à se rendre, en une certaine manière inaccessible, si bien que nous peinons à en rejoindre le baroque lexique. Ce paysage poudré des lointains d’un horizon distant, nous faisons l’hypothèse de son existence, bien plus que nous n’en confirmons la présence concrète, cette sorte de tutoiement des choses dont nous espérons qu’elles se donneraient à nous, les choses, dans une façon d’évidence, « en chair et en os », préhensible matière dont la texture nous serait toujours déjà familière, intime en quelque sorte, une proche banlieue si vous préférez.

  

   Si, en tant que prédicat de-qui-nous-sommes, nous prenons la perspective du « microcosme », alors, aussitôt, nous comprenons combien la vastitude du « macrocosme » (ce qui-n’est-nullement-nous), excède de beaucoup notre presque illisible dimension. Comment choisit-on le lieu d’une destination ? Pourquoi celui-ci, presque aux confins du Monde, plutôt que celui-là, à portée de la main, disponible dès que nos yeux s’ouvrent ? La plupart de nos motivations sont des mystères, leurs sources inapparentes qui font leur clair trajet à l’ombre de notre inconscient. Mais cessons ici le cercle des questions qui, par nature, fonctionne en boucle, la dernière question rejoignant la première, nos certitudes se donnent alors pour l’inconsistance d’une nuée de cendres.

  

   Cependant une interrogation se manifestera en tant que la dernière : ce paysage du désert, existe-t-il en dehors de notre conscience, possède-t-il encore quelque nervure dès l’instant où, nul regard ne se posant sur lui, on pourrait douter de son existence ? Problème de la conscience intentionnelle possiblement constituante du Monde, mais ce débat nous entraînerait trop loin. Pour l’instant faisons l’hypothèse que toute donation de Nature l’est en toute effectivité, que cette chose que je vois à l’horizon est bien assurée de sa propre présence, que mon possible départ n’en altèrera nullement l’être. Mais que l’on soit Idéaliste, accordant la priorité ontologique à l’esprit, ou bien Réaliste fondant toute parution sur la puissance de la matière, il va sans dire que Tous, Toutes, avons besoin de ces « certitudes » existentielles, de ces points de repère sans lesquels rien ne ferait signe, sauf les orbes d’une vacuité sans fin.    

  

   Disons qu’avant de rencontrer cette photographie, rien de particulier ne s’imprime sur l’écran blanc de notre faculté de connaître, que tout entendement du réel est infiniment disponible, qu’aussi bien notre ravissement pourrait résulter de la vision d’une claire lagune, de la cime enneigée d’une montagne, mais aussi des traits d’un visage, des contours souples d’une silhouette. Å vrai dire, rien n’est préformé, rien n’est projeté et c’est une libre disposition à l’accueil de ce qui viendra qui caractérise le mieux notre attitude. Que nous soyons cependant en attente de quelque chose, nul n’en pourrait contester la réalité. Toujours un désir latent qui rencontrera l’un des secrets motifs fomentés à l’abri des regards. Dans le creux le plus caché des affinités, cette exacte mesure de l’intime, végètent des objets innommés, fourmillent des passions retenues, fructifient des baies dont l’épanouissement sera l’essence la plus approchante de ce que nous portons en nous d’irréductible, d’impartageable. Toujours nous attendons que notre être soit confirmé par telle surprise au coin de la rue, par tel tableau qui nous émeut, par telle lumière qui ruisselle en nous de façon quasi magique.

  

   Donc attente en tant qu’espérance, en tant que saisie d’un fragment jouant à titre de complétude, en tant que ceci, indéterminé, dont nous rêvons en silence, le plus souvent à défaut d’en voir la sublime concrétisation. Que cette image d’Hervé Baïs me plaise et au-delà de cette immédiate satisfaction, mes habituels Compagnons et Compagnes de route n’en seront guère étonnés. Toute cette simplicité doucement et subtilement composée, voici, en effet, de quoi effacer bien des peines, le plus souvent inutiles car imaginaires bien plus que réelles. Tout ce lexique de l’immédiate venue des choses en leur vérité, voici de quoi allumer une félicité dans quelque pli de la chair, sans doute de l’âme s’il lui plait de se manifester d’une façon ou d’une autre. Donc il me faut dire les choses telles qu’en elles-mêmes elles se donnent sans réserve, dans la générosité même de leur étonnante survenue. Que ce soit le résultat d’une action invisible de mon esprit, que ce qui apparaît le fasse simplement de soi d’une manière autarcique, qu’un possible démiurge ait insufflé en ces phénomènes la vitalité de leur être, peu importe.

 

C’est la donation

en tant que donation

qui est à retenir,

la présence en tant que présence et,

essentiellement, la joie en tant que joie

qui se lève de ces purs surgissements.

 

   Le ciel est si haut, si aérien en sa cendrée discrète, un « noir clair » pourrait-on dire, si l’on ne craignait le heurt, le paradoxe de l’oxymore. Mais ici rien n’est à craindre. Tout va de soi, tout comme la longue caravane des chameaux et chameliers se dirige vers la lagune de sel pour y prélever la nourriture des hommes, assurer leur survie. Le ciel vient au paysage avec discrétion, retenue, comme s’il voulait assagir son immense énergie, la faire se poser sur la terre avec une infinie attention, une onctuosité si ceci vous convient mieux. Sauf ces infinies précautions, la Puissance Céleste pourrait tout anéantir de ce qui végète au-dessous et attend son éclosion du bon vouloir de ce qui est le plus haut, le plus éminent, le plus lumineux. Sans qu’il s’agisse de quelque arrière-monde religieux ou même des dieux du polythéisme,

 

nommons donc les « Célestes » en tant

que ces forces magistrales,

 

le disque étincelant du Soleil,

la lactescence de la Lune,

le frémissement des Étoiles,

 la vivacité de l’Éclair,

le sourd tellurisme du Tonnant,

la haute et belle venue du Poème,

la distinction à nulle autre

pareille de l’Œuvre d’Art.

 

 

    C’est ceci qu’il faut entendre dans ma prose par « Célestes » ou parfois par « Suressentiels » : des dimensions sans limite, des lois surhumaines, des souverainetés sans égal, des potentiels cyclopéens, peut-être même des noms qu’il ne faudrait nullement prononcer car L’Immense l’est toujours en lui-même, le Sublime l’est toujours en lui-même, sans qu’il leur soit besoin de recourir à quelque subordination, à quelque vassalité que ce soit.  Certes mon écriture devient hyperbolique pour une simple question de logique et d’analogie. Mais comment dire l’Innommable, ces Hautes Essences dont la subtilité même nous énivre et nous reconduit à la nature inaperçue de la paramécie perdue dans son bouillon de culture ?

  

   Il suffit d’être à Soi, dans le plein accomplissement de-qui-l’on-est et, soudain, la terre se couvre de fleurs, le ciel bourgeonne, l’océan soulève ses vagues d’écume au plus haut. Oui, j’ai prononcé « Soleil », puis « Lune », puis « Étoiles », puis « Éclair » et beaucoup parmi vous penseront à l’énoncé de quelque étonnante cosmologie et ils seront en chemin vers une vérité car ces Pures Semences Célestes sont l’ordonnancement même du monde, son hymne étincelant, sa plus riche parure. Si, Hommes, Femmes, nous prétendons parvenir à notre essence, c’est bien à la hauteur que nous portons sur ces signes qui, d’une évidente manière, pour qui sait voir, sont les nôtres. Si nous savons descendre en nous, au profond des abysses, dans cette verte lueur d’aquarium, à la manière de subtiles fractales, de mouvants kaléidoscopes, de savants hologrammes, c’est nous que nous verrons dans cette étincelante verroterie :

 

Nous-Soleil,

Nous-Lune,

Nous-Éclairs

 

   et nous nous reconnaîtrons tels ces vivants fragments de l’Univers, telles ces poussières de galaxies qui, le plus souvent, nous demeurent cachées car nos yeux sont entachés de cécité au motif de nos turbulents désirs, de nos vives hallucinations, de nos multiples et aliénantes déraisons.

  

  Et le sable, direz-vous, les multiples et fascinants grains de mica, ces genres de corpuscules élémentaires, que n’en faites-vous donc le commentaire ? « Patience dans l’azur » dirait le Savant à la barbe blanche, le Sage à la haute et cosmique sapience. Patience : L’infra-réel qui est aussi bien le supraréel ne se livre qu’aux yeux de Ceux, de Celles qui, longtemps ont médité sur le destin des Galaxies, sur leur propre destin qui en est l’image réverbérée. On regarde le moutonnement gris, la lente ondulation, on regarde l’infinie souplesse, le modelé subtil, les croissants de lune des barkhanes, les faibles palpitations lovées au sein même de la matière et c’est un autre monde qui s’ouvre avec ses discrètes gemmes, avec ses éclats de vertes émeraudes, le feu de ses rubis, le sourd mystère de ses améthystes. Oui car le monde le plus inapparent est peut-être celui en lequel se dissimule la plus grande vigueur, la signification la plus fouillée et, corrélativement, la plus fascinante.

  

   Certes, dire du désert qu’il est mirage, c’est simplement constater une évidence. Et c’est bien à l’aune de cette illusion, sous l’irisation d’un songe, sous le magnétisme de la chimère que nous atteindrons notre propre thébaïde peuplée d’une solitude habitée. Nous laissant aller aux lentes oscillations des dunes, à la  succession des ergs sculptés de vent, à la magie des collines flottantes, aux éternelles fluctuations des sables mouvants, c’est de nous dont il sera question, de notre toujours possible osmose avec les gerçures blanches des salines, les touffes de buissons de créosotes et de prosopis duveteux ; c’est bien le vol des gangas contre la toile noire du ciel qui sera notre vol ; c’est bien l’allure agile des onyx-gazelles qui sera la mesure même de notre marche ; c’est bien notre discrétion que reflétera le trottinement menu des gerboises, que confirmera la fuite rousse du fennec.

  

   Nous n'aurons guère d’effort à produire pour nous glisser dans la tunique de charbon du scarabée-pygmée, pour rejoindre en leur bloc d’ambre millénaire, l’immobilité des mouches-fruitières, la lenteur définitive des criquets kalphites. Oui, chercher le sens est ceci : viser ce qui demeure occulté, y introduire la lame de sa lucidité, en délivrer les élytres que retenait la tunique de fibre résineuse. Ainsi les choses se déploient-elles et trouvent-elles leur essor au gré du seul pouvoir dévoilant de notre intuition, laquelle est puissance de révélation du regard. Il suffit de regarder les valeurs étymologiques de ce mot, beau entre tous : « action de contempler », « connaissance immédiate », « pressentiment qui nous fait deviner ce qui est ou doit être », « vue, regard », « regarder attentivement ; avoir la pensée fixée sur ». L’étymologie est cette science subtile, aussi près d’une signification originaire que possible, une pureté si l’on veut, une authenticité que les usages ultérieurs, le plus souvent mettent à mal au gré des infinies métonymies qui en défigurent l’essence première. En vertu de quoi notre saisie du réel se veut « étymologique », ce qui, analogiquement, veut dire :  au plus près de la constitution d’un sens premier à l’abri des trahisons et mutilations de tous genres. Autrement dit l’attention portée aux choses en leur racine même, en leur intégrité la plus effective. Exigence de rigueur ? Certes !

  

   Et, me direz-vous encore, pourquoi n’avez-vous évoqué plus tôt l’arbre, cette majesté ? Ma réponse sera simple. Je suis parti d’un simple horizon périphérique (le ciel, le sable) pour gagner le centre de l’image, là où se condense le sens maximal du sujet et, en ce sens, vous aurez entièrement raison de me rappeler à ma tâche d’écriture. Cependant nulle hiérarchie dans la Nature, pas plus que dans les Êtres, tout est équivalent et ce sont nos usages qui nous trompent, lesquels, parfois, nous font privilégier le tronc au détriment de la racine. L’un aurait-il plus de signification que l’autre ? Évidemment non. Que nos affinités nous fournissent un regard sélectif, certes, mais il faut en convenir, le Monde, lui, ne nous suggère rien d’autre que de traiter d’une manière identique la totalité de ses présences.

  

   Positivement, sans quelque contestation possible, l’arbre est là, « en majesté », dominant de sa haute et éblouissante stature la totalité de l’image qu’il sature et accomplit en un certain sens. Irradiés par tant d’aimantation, en effet, nous pourrions tout gommer alentour et supposer que le Photographe ait souhaité seulement « tirer le portrait » de cette énigme vivante. « Énigme » : comment un arbre peut-il persévérer en son être en un milieu si hostile ? Miracle du vivant. Symboliquement il est cet unique médiateur qui unit les opposés du ciel et du sable, il est, pour parler grammaticalement, la « conjonction de coordination » qui unit les divers éléments de la phrase.  Pure éminence du « ET » en tant que « copulative servant à coordonner des termes, des groupes de termes et des phrases, et exprimant une addition, une jonction, un rapprochement. » Quel autre mot pourrait donc s’acquitter plus avant de cette tâche hautement et parfaitement synthétique ? Vertu de deux lettres assemblées, ET, qui en disent autant que mille autres mots. Identique à la puissance du symbolisme : on se représente la « balance » et, soudain, devant soi, l’on a la totalité de la justice, ses magistrats, ses lois, ses jurisprudences, ses effets sur les citoyens que nous sommes. Le Langage est pure merveille, mais cette assertion je l’ai déjà énoncée mille fois !

 

    Il nous faut venir à l’arbre ou, bien plutôt le laisser venir à nous dans cette sérénité qui convient aux choses sincères dépouillées de toute intention illisible. Là, à la crête des dunes, sur le flot des vagues minérales, un arbre inconnu qu’il me plaira de nommer « Acacia », « acacia radiana », sorte d’arbre légendaire que broutent les dromadaires, dont les branches servent à confectionner des piquets de tente et à alimenter les feux du peuple Nomade. Bien sûr il ne s’agit que d’une hypothèse, mais vraisemblable au motif que cette variété est quasiment la seule à pouvoir affronter l’aridité du désert. De toute façon, ce qui importe pour nous, c’est avant tout son esthétique, la fonction de liaison du divers dont il constitue la force aussi unique qu’essentielle à la compréhension de ce milieu fascinant mais habité des plus grands dangers. Petit rappel, c’est la notion, belle entre toute de SENS, qui oriente notre quête. Que nous devons reprendre sans délai. Jouant sa partition sommitale avec le ciel en toile de fond, étendant ses bras dans toutes les directions de l’espace, tutoyant un buisson frère, s’enracinant profondément dans la touffeur inconnue des vagues de sable, nous pouvons lui attribuer le prédicat d’opérateur central de l’image dont il réalise à lui seul, la majeure partie de la tâche de synthétisation et d’unification.

  

   Qu’ici, Ceux et Celles qui me font l’amitié de lire mes textes aient repéré, en filigrane, cette constante volonté d’idéaliser, d’esthétiser le Monde, ne seront nullement étonnés de découvrir, plus loin, quelques unes des conséquences qui découlent logiquement de ce tropisme incliné à faire venir, au moins par l’écriture, une possible et ultimement espérée, beauté des choses. Å cet égard, obligation m’est faite de postuler la dimension constituante du réel de toute conscience s’appliquant à en décrypter l’insigne valeur. Autrement dit, ce site désertique, avec son ciel, son sable, sa végétation, c’est moi qui lui donne acte au seul motif de ma contemplation.

 

Donc, le Réel,

c’est Mon Regard

 

   Que cette assertion demeure simple hypothèse nullement confirmée par quelque activité destinée à en assurer la vérité, ceci importe peu. Je dis à nouveau qu’il s’agit d’une postulation, d’un intime ressenti, du surgissement d’une intuition qui, dans l’instant de mon observation, ne rencontrent nulle contradiction.  Bien au contraire, tout se donne selon une adhésion immédiate à ce-qui-vient et me rencontre à la façon d’une complétude : depuis toujours j’étais en attente de cette image, qui me comble et me ravit. Dans le sens d’être ravi aux habituelles contingences, dans le sens de donner une architecture à un hasard qui, hors cette configuration, n’aurait contribué qu’à m’égarer.

  

   Maintenant, il me faut suivre la trace ouvrante de l’arbre, y trouver d’inépuisables ressources au motif que son riche symbolisme, réalise à lui tout seul, un véritable travail d’assemblage : un cosmos s’offre en lieu et place d’un chaos. Je contemple l’arbre, ce qui veut dire, en une certaine façon, que je m’y abîme, mais totalement, mais positivement, en une manière d’accentuation plurielle des significations, lesquelles deviennent de simples et incontournables évidences.

 

Je suis l’Homme-Arbre à la membrure immense

qui tutoie la dimension des espaces infinis.

Je suis l’Homme-ramification, celui qui,

s’élevant de Soi, connaît de lointains horizons.

Je suis l’Homme-Tronc, cette solide assise

 qui s’établit selon la carrure de la raison

contre le passage fébrile de la poussière.

Je suis l’Homme-racine,

l’Homme-rhizome,

 l’Homme-radicelle,

 

   celui qui avance parmi les galeries souterraines, les bifurcations de la matière sourde et limoneuse de l’inconscient, qui en devine les secrets, en interprète les desseins cachés. Oui, c’est bien ceci, la tâche éclairante, désoperculante de la conscience, s’introduire comme un coin d’acier dans la bûche têtue du réel, le prendre à revers, ce réel, en quelque sorte, le posséder de l’intérieur, l’obliger à livrer jusqu’à sa moindre parcelle close, énonçant dès lors une nouvelle présence nous invitant à en décrypter l’énigme. Une lourde inconnaissance se manifestant en savoir doté d’une diaphane allégie.

 

Oui, il nous faut créer les conditions mêmes

de l’éligibilité des choses

à leur possibilité d’essence

  

    Et puisque cet arbre, ce large parasol, cette distension de ce qui demeurerait occulté, cet arbre donc devient infiniment étendu, décuplé par la puissance d’effectuation, de performativité de notre regard, nous ne pouvons qu’avoir recours à la force déployante de la métaphore, ce transport du réel hors de ses propres frontières, et dire le sublime travail de synthétisation de l’image, de conceptualisation infinie des sèmes qui y sont déposés. Nous devons dire (et ici je parle au nom de tous et de toutes),

 

l’Arbre-Harmattan porteur de cet alizé continental

qui fait des grains de sable, de purs cristaux,

des diamants fécondés par la lumière du Soleil.

 

Nous devons dire l’Arbre-Simoun, celui dont

la puissante haleine chaude métabolise

les corpuscules de matière,

les transforme en vives pierreries,

elles illuminent jusqu’aux

plus lointains horizons.

 

Nous devons dire l’Arbre-Sirocco,

ses vagues brûlantes qui font

se volatiliser la cendre des pierres,

la répandant jusqu’en d’impensables altitudes.

 

 

Et, en guise d’autres significations,

nous pourrions largement nous inspirer

de toutes les directions de la Rose des Vents,

 

en appeler à l’Arbre-Borée,

à ses rafales de vent du nord ;

à l’Arbre-Euros,

à ses tourbillons venus de l’est ;

à l’Arbre-Zéphyr qui balaie tout,

venu de l’ouest ;

à l’Arbre-Notos, à ses coups

de boutoir venus du sud.

 

   Voyez combien cette photographie de M'Hamid El Ghizlane, nous a emmenés loin, très loin, si bien qu’au terme de la description, nous ne savons plus réellement qui nous sommes : vents alizés, nuages de criquets kalphites, vols libres de gangas, significations plurielles, échevelées ; vent océanique ou désertique. Si notre identité s’est diluée au milieu de ce si riche divers, c’est à l’aune de la pure beauté, laquelle venant à nous, nous arrache aux « fourches caudines » du quotidien, nous dispose à l’accueil de l’improférée et haute valeur des choses. Certes, nous reviendrons à M'Hamid El Ghizlane, au moins dans sa mesure symbolique, nous y retournerons lestés d’un nouveau savoir : que le regard est une merveille que cette singulière photographie agrandit à la mesure de son formidable élan, de sa ferveur, de sa justesse. Toute œuvre digne de ce nom est porteuse de ces transcendances. « Transcendances », Certes le terme est osé, le plus souvent exposé à une mécompréhension de ceux qui en reçoivent la charge sans atténuation. Cependant nous lui affecterons l’une de ses plus évidentes valeurs étymologiques : « se dépasser soi-même ». Oui, c’est ceci que nous avons à faire. Faute de s’y atteler, ne nous plaignons nullement de n’avoir sous les yeux que de simples images « d’Épinal ». Notre société contemporaine excelle en la matière. Voyez par exemples les amusants « selfies », qui, certes, ne prétendent nullement à de telles altitudes !

 

Ici : du sens.

Là-bas : du non-sens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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