Ce qu'être veut dire.
Toujours, la diastole-systole de l'existence nous incline à ce sentiment d'ambiguïté, à cette vibrante démesure qui nous fait osciller entre deux pôles identiquement cernés "d'inquiétante étrangeté" . Notre naissance, nous ne pouvons la connaître, pas plus que nous pourrions, en quelconque façon, nous situer à son origine. Notre mort nous est promise, mais sans que nous en connaissions le terme et la forme dont elle habillera nos contours.
Etrange balancement du blanc au noir, de la lumière à l'ombre, de la joie à la douleur, de la révélation à l'occlusion de tout ce qui signifie et rayonne dans l'orbite de notre éphémère fiction. C'est ainsi, l'histoire que nous écrivons au regard du monde est toujours cette alternance, cette marche syncopée, ce sautillement sur place alors que nous croyons avancer vers notre destin. Mais c'est bien plutôt le destin qui s'annonce à nous selon son implacable volonté. Car si nous sommes libres, et ceci, il nous faut bien le postuler, nous ne le sommes que conditionnellement, simplement en raison de ces deux polarités essentielles, du début, de la fin, qui ne sauraient nous appartenir en propre.
Alors, de la longue cohorte des jours, il nous faut nous arranger, nous disposant sans délai à en recevoir l'offrande, à en subir, parfois, la densité pareille à une gangue de plomb. Car notre marche est entravée comme celle des dromadaires dont on garrote les pattes afin qu'ils ne s'évanouissent dans le désert, parmi la multitude des herbes folles et des épines d'acacia. Progresser, existentiellement parlant, est toujours ce risque de piqûre mortelle ou, à tout le moins, de profonde blessure nous offrant fièvre purulente et urticants bubons.
Mais il nous faut revenir au réel et l'habiller de vêtures plus aisément compréhensibles. Il nous faut, une fois de plus, avoir recours à l'image afin que ce fameux "sentiment tragique de la vie" dont faisait état Miguel de Unamuno, nous apparaisse dans une dimension vraisemblable. Alors, quoi de plus éclairant que de s'en remettre à une hispanité dont la riche symbolique existentielle nous en dira plus qu'une rhétorique métaphysique ne le pourrait. Il faut, seulement une fois, avoir été immergés, d'abord dans la foule emplie de piété de la Semaine Sainte, puis, sans pause, se retrouver dans la clameur étourdissante de la Féria. C'est de cette sublime dialectique que peut naître et prendre essor ce sentiment ontologique que le Philosophe espagnol a si mis bien mis en exergue dans son œuvre. Car, nous autres, Hommes égarés dans la mondanité, il est de notre devoir de nous confronter à l'incompréhensible, l'incommensurable, le hors-de-propos puisqu'aucun langage ne saurait tenir le discours de la stupeur longuement.
Il s'agit de cela, de cette incroyable prise de conscience de ce qu'être veut dire lorsque, après avoir déambulé avec les agonisants et les flagellés, avoir accordé ses pas au balancement des mystérieuses cagoules dissimulant l'épiphanie humaine, soudain nous sommes propulsés en pleine lumière, dans la profusion de la Feria, alors que dans l'ombre de la fête s'illumine déjà l'habit de lumière qui aura raison de la fougue noire, taurine, indivisible, turgescente, naseaux fumants, écumeux, comme pour dire la beauté en même temps que le drame de l'ultime combat.
Parfois nous est-il indispensable de nous confronter à ces sanglantes allégories de manière à ce que surgisse en plein jour l'espace d'une vérité que, toujours, nous portons en nous mais que nous remettons au hasard afin qu'il en dispose à sa guise. Sans doute est-il trop douloureux de passer, sans transition, du vif éclat à l'ombre mortifère, de l'éclairement à la ténèbre. Une chose de l'ordre du sacré - la Semaine Sainte - basculant dans la folie ouverte par le profane - la Feria - est ce qui, certainement, constitue le pivot d'une compréhension en profondeur de ce qu'exister veut dire et dont, toujours, nous retardons l'explication.