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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 10:18

 

Empreintes anthropologiques.

 

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                                Photographie : Blanc-Seing.                      

 

  Souvent nous n'accordons guère attention aux marges existentielles, notamment à tout ce qui, rejeté par notre société avidement consumériste, gît et meurt dans quelque terrain vague ou bien dans l'espace désolé des friches urbaines. Notre habituelle vanité, notre naturelle propension à se  diriger vers tout ce qui brille et s'habille des atours les plus flatteurs, agit dans une manière de cécité dont nous sommes porteurs vis-à-vis du simple, du modeste, du destiné à bientôt disparaître. Et, pourtant, si le sujet paraît bien puéril, tout juste digne d'affecter la sensibilité naïve de l'enfant, pouvons-nous nous détourner aussi facilement de ce qui, un jour, fut considéré comme remarquable, alors qu'aujourd'hui nous le rangerions volontiers dans un sympathique mais désuet Musée Grévin faisant ses menus entrechats dans la compacité d'une cire antique pareille à l'inertie de la momie ?

  Mais qui donc, ici et maintenant, pourrait bien se soucier du tréteau bancal, du montant de porte de guingois, du fût de chêne mangé par les intempéries, de la bassine offusquée d'huile, de l'étrave rongée par les marées, du balai-brosse aux crins décatis par des années d'usage, des milliers de frottements destinés à recouvrir de bitume la cabane exposée aux assauts de l'air marin ? N'y aurait-il pas une sorte de comportement inconséquent, de glissement de la raison, d'obnubilation de l'attention, d'occupation  proche de l'obsession à porter intérêt à ce qui,visiblement, n'en a pas.

  Le problème est bien là, de la visibilité à l'encontre de laquelle, toujours, se dresse la notion d'invisibilité, car, aussi bien, si la Lune exhibe sa face de lumière, elle nous dissimule sa dimension  cachée et nul doute que le secret en passe de se révéler excède la réalité déjà connue, maintes fois exposée à nos regards lassés. Autrement exprimé, ce qu'il y a à extraire de la mine est toujours infiniment plus excitant que le sol de cette dernière, fût-il prometteur de prochaines découvertes. Dans le cercle de cordages, le col goudronné de l'entonnoirla tuile enduite de chaux, l'échelle aux barreaux de guingois, le fragment de tôle ondulé dorment, en filigrane, quantité de significations, de signes latents qui ne demandent qu'à être décryptés. Or, ces hiéroglyphes ne comportent aucun mystère, ne nécessitent nullement la connaissance d'une clé spécifique à leur entendement. Tout y est latent, tout y est inscrit dans l'usurel'écaillela déformation, tout y est continuellement présent, tout s'y rassemble à partir de la trace que l'homme y a déposée au cours des âges, grâce à son activité fébrile, à son action de métamorphose sur la nature et les matériaux dont elle veut bien lui faire l'offrande. C'est pour cette raison que la lecture que nous avons de ces vieux outils, de ces récipients, de ces matériaux anciens, plutôt que d'emprunter la voie de la simple morphologie ou bien de l'esthétique, doit se disposer à en réaliser une approche phénoménologique à partir de laquelle tout s'éclairera dans une dimension  anthropologique.

  Ce que nous rechercherons, bien en amont de la simple forme de l'objet, ce sera l'empreinte longuement, patiemment déposée, la trace du labeur, la joie de créer mais aussi bien sa contrainte, l'usure subséquente de l'Artisan qui, au fil des jours, identiquement à son rabot, à sa varlope, portera en lui, pareillement à des stigmates, les marques insignes du temps. Ainsi, l'objet, l'outil ne peuvent jamais être dissociés, non seulement de la fonction à laquelle ils ont été affectés dès l'origine, mais de ceux qui en ont assuré la réalisation puis la mise en œuvre. Car, si l'instrument peut, en apparence, bénéficier d'une relative autonomie, il est d'abord et avant tout le prolongement naturel de la main de l'homme, la pointe avancée de sa conscience, la flèche grâce à laquelle il agit sur le réel, le façonne, le rend malléable et disponible, l'adapte à ses besoins, le module en fonction de ses destinations successives, le ploie afin d'assurer son règne sur les choses.

  Ainsi, la bassinela tuilele pinceau, du fond de leur modestie nous disent la royauté de l'homme, le sceau continuel qu'il dépose sur l'environnement, l'amenant, souvent, à la hauteur de la sublimation, à la transcendance dont l'œuvre d'art est révélatrice. Tout est signe depuis l'apparition de l'homo sapiens, aussi bien la trace d'argile rouge sur les surfaces pariétales des grottes préhistoriques, aussi bien le silex biface, le tesson de terre cuite, les gravures sur les flancs lustrés des potirons au Pérou, les routes qui sillonnent le globe de leur lacis dense, les huttes d'herbe des populations nomades, les glyphes incas sur les flancs des pyramides au Guatemala, la fumée qui s'échappe du foyer, la corde de chanvre gisant au flanc de l'épave, le bidon cabossé duquel s'écoule la poix à calfater, le pinceau enduit de peinture, le pilon attendant de faire son bruit de bois dans le mortier qui est son réceptacle naturel et complémentaire.

  Métaphoriquement, identiquement au mortier et au pilon qui s'ajointent dans un processus dialectique afin qu'un sens puisse surgir, identiquement à l'articulation qui implique la rotation du condyle dans le glénoïde, tout joue en écho, tout se réverbère, tout se décline dans un infini emboîtement d'abymes. L'homme aussi qui, jamais, ne peut s'absenter de la marche du monde.

 

 

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Calebasse gravée - Pérou -

Source : Google images.

 

 

 


 

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