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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:33

 

Honnies soient qui mâles y pensent (19)  

 

  On le comprendra aisément, à la lecture de cette dernière missive, la dilatation des alvéoles de Monsieur le Comte fut à son comble et malgré la prise d’une thérapeutique renforcée, le Docteur Charles d’Yvetot fut convoqué au chevet du patient auquel il administra une série de piqûres d’Aconit ferox et de Stannum, renforcée d’extraits actifs de Pulmine. Pendant plusieurs jours, l’hôte de La Marline dut accepter une assistance respiratoire sous la forme d’une pompe à piston, actionnée, tour à tour, par Yvette-Charline, par le fidèle Anselme Gindron, les trois gardes-chasses, les bûcherons de La Devinière et les scieurs de la succession d’Eustache Grandin. Monsieur le Comte retrouvant ses esprits et son souffle, le Docteur d’Yvetot prit la responsabilité de stopper la machine, la laissant toutefois à portée de toute main secourable au cas où l’emphysème s’emballerait sous la forme d’une crise aiguë. Fort heureusement celui-ci capitula bientôt et laissa Monsieur le Comte au repos.

  Il ne quittait guère sa chambre et son fauteuil que pour gagner sa Librairie, s’asseyant sur le divan près de la fenêtre qui donnait sur les communs, l’écurie et la pièce d’eau, se distrayant seulement grâce aux visiteurs qui venaient à La Marline, lui apporter soutien et réconfort. Cependant Ninon s’étonna de ne plus recevoir de nouvelles malgré les nombreuses lettres adressées à Fénelon.  Ayant été informé de ses problèmes de santé, Le Postillon, homme de tact et de bonne éducation, attentif à ne pas soulever de brouilles familiales, avait réservé  au courrier de Monsieur le Comte, une place discrète dans un des coffres dissimulé sous le siège de la voiture postale. Dès que Fénelon fut autorisé par son Médecin à faire quelques tours dans le parc, il ne put se retenir d’en franchir les limites, au prix d’un essoufflement dont il consentait à payer le prix, réconforté à l’idée de serrer prochainement dans ses doigts les lettres porteuses de jasmin.

  Ce ne furent pas moins de dix enveloppes que le Postillon offrit à Fénelon qui manifesta, à l’égard du messager, une immense gratitude, sous la forme d’un écu l’enveloppe. Les lettres, soigneusement enfouies dans la veste de chasse, ne furent décachetées que sous les vénérables poutres de la Librairie dont la porte avait été soigneusement fermée à clé. L’odeur de jasmin transporta d’aise le Maître des lieux qui jouissait plus des bienfaits des missives que de la pompe à air du bon Docteur d’Yvetot. La grande tendresse dont Ninon faisait preuve, son témoignage d’une sincère amitié, son impatience à le revoir, firent de la lecture du  Comte, un véritable enchantement, comparable à la méditation des « Essais » de Montaigne, et parfois même plus. Quoique fatigué par sa longue convalescence, Fénelon s’empressa de répondre au courrier de Ninon - comment devait-il la qualifier maintenant, après toutes les révélations qui lui avaient été faites ?-, sa confidente, son Egérie, sa compagne des jours tristes, sa conseillère, son ancienne maîtresse, sa « Fille de joie » ? Dans l’instant il ne résolut pas cette question, laissant au Destin - qui lui avait toujours été favorable - , le soin de décider.

  Son optimisme naturel revenait peu à peu. Il irait le lendemain, dès le jour levé, à la rencontre de la voiture postale. Il ne doutait pas, qu’après les propositions contenues dans sa lettre, Ninon ne pourrait qu’obtempérer à ses désirs. Monsieur le Comte, doué d’un naturel d’une incorrigible ingénuité, eût pu assumer la devise de Candide lui-même : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».Cependant, endossant les vêtements du jeune protagoniste du conte de Voltaire, eût-il été capable d’en tirer les enseignements nécessaires, en éprouvant le réel dans sa dimension abrupte et parfois tragique ?

  A sa grande satisfaction, les événements qui suivirent penchèrent plutôt du bon côté, laissant dans l’ombre les désagréments qui eussent pu escorter la si fantaisiste liaison d’un Comte et d’une Fille de joie.  Après les émotions liées à son état de santé, aux nouvelles de Ninon décrivant sa dépendance vis-à-vis du « Milieu », le Comte se fit une raison, souhaitant mener une vie parallèle dont il s’accommoderait, le plus clair de son temps en Sologne, pour sauvegarder les apparences, se ménageant toutefois de nombreuses escapades à Paris où l’appelleraient, de plus en plus souvent, la gestion de ses affaires et le maintien de son patrimoine, quoiqu’il se trouvât dans l’impossibilité de léguer ce dernier à qui que ce fût, ce dont il s’était entretenu avec maître Aristide de Fontille-Meyrieux, ami de toujours, depuis les bancs de l’école communale. A ce sujet, un projet avait été conçu mais demeurait provisoire, Fénelon de Najac souhaitant prendre le temps de la réflexion avant de désigner son légataire universel.

  

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