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26 février 2014 3 26 /02 /février /2014 09:14

 

Honnies soient qui mâles y pensent (2)

 

 

  Imitant, en toute modestie, Michel Eyquem, Seigneur de Montaigne, le Comte avait fait graver, sur les poutres de sa Librairie, quelques sentences et devises et affectionnait tout particulièrement les dictons et proverbes dont il était coutumier, en faisant même parfois un usage immodéré.

  Ce matin d’octobre, envahi de brumes, faisait, du paysage solognot, un cadre romantique et désuet incitant à la rêverie, à laquelle Fénelon de Najac se laissa bientôt aller car, pensait-il, " refuser le songe, c’est ouvrir la porte à la mélancolie ", état d’âme qu’il n’avait jamais éprouvé, même aux heures les plus sombres de sa vie. On l’aura compris, le Comte était d’un naturel plutôt optimiste, disposé à la vie qu’il " croquait à belles dents ", amateur de bonne chère, de voyages, de chasse et de pêche, toutes activités qu’il pratiquait assidûment, son état de rentier le laissant libre de vaquer à des occupations diverses et variées selon l’humeur du jour et la qualité des offres que lui faisait le Destin. Car monsieur le Comte croyait au Destin, sans excès toutefois, mais avec l’assurance que ce dernier lui était plutôt favorable, s’arrangeant, quand nécessaire, pour qu’il le fût en toute occasion, signant en cela son inclination pour l’épicurisme et l’hédonisme auxquels sa nature le prédisposait, dans une optique altruiste cependant, point de vue qu’il avait fait graver, en toutes lettres, sur une des poutres de sa Librairie :

 

« Plaisir non partagé n’est plaisir qu’a demi ».

 

 Quant aux vertus du Destin à son égard, et bien que Fénelon de Najac fût d’une croyance religieuse plus que tempérée - une attitude sociale plus qu’une conviction - , ces vertus, donc, étaient illustrées par un vers de La Fontaine, extrait du "Gland et de la Citrouille" :

 

" Dieu fait bien ce qu’il fait. "

 

  Le Comte, dans sa soixante-quinzième année, arrivant à " l’automne de sa vie ", ne put s’empêcher de faire le rapprochement entre celle-ci, sa vie,  et celui-là, l'automne, et salua, une fois de plus, la sagesse populaire, qui savait si habilement user de métaphores, fussent-elles des plus prosaïques, pour peindre, en quelques traits, une réalité que bien des savants, lettrés et littérateurs de tous poils mettaient toute une vie à élaborer, sans toutefois y parvenir, ou alors avec moins de justesse et d’esprit d’à-propos qu’un modeste savetier qui, à longueur de journée, dans son échoppe, tricotait en sifflant quelques sentences bien senties, dignes de figurer dans le Dictionnaire de l’Académie. Tout imprégné de la vanité humaine qui ne faisait, somme toute, que dérouler des louanges à son propre usage et ceindre son front des lauriers du plus haut mérite, le Comte fut bien aise de constater que, lui-même, participait de l’humain, en ceci qu’il éprouvait, à la propre contemplation de sa vie, une satisfaction non dissimulée et, osait-il même se l’avouer, un sentiment proche de l’admiration, sentiment que son éducation classique lui interdisait d’énoncer, ou du moins de proférer à haute voix, ce que, bien sûr, il évitait. Mais, qui donc, dans le secret de sa Librairie, (hormis lui-même),  pouvait s’imaginer pénétrer les arcanes d’une voix toute silencieuse que, parfois, pouvait trahir l’ébauche, sur ses lèvres, de quelques mots, mourant avant que d’être nés ?

  Méditant l’idée que Dieu avait plutôt bien ordonné son Destin - il y avait bien eu quelques chausse-trappes, parfois, mais dont il s’était toujours sorti - , le Comte se pencha sur son passé, un peu comme on regarde au dessus de son épaule, pour apercevoir, dans la trame du temps, les quelques fils qui relient à des saisons, des printemps, des étés, des hivers. Il y vit une sorte de tourbillon, de carrousel, de kaléidoscope dont il reconnut les facettes, les reflets mouvants, genre de cinématographe dont les bobines tournaient à rebours, images saccadées - certaines s’arrêtaient plus longtemps que d’autres qui semblaient vouloir se fixer à la toile blanche de l’écran - ; il fut étonné de scènes oubliées, de paroles occultées, comme au temps du cinéma muet, il parcourut du temps, de l’espace, beaucoup d’espace lié à ses voyages effectués dans " la force de l’âge ", vers quarante ans, alors qu’il était un rentier heureux et actif, attentif à gérer l’état de son patrimoine, quand bien même sa propre descendance s’arrêterait en même temps que lui. Charles d’Yvetot, son médecin de famille d’alors lui ayant fait entrevoir, avec tous les ménagements dont le Comte était l’objet, les problèmes de santé de la Comtesse, le fait qu’il faudrait bien admettre un jour, que l’hôtesse de La Marline ne pourrait lui donner d’héritier - ce n’était pas faute de le vouloir, mais la nature avait toujours le dernier mot - , le patrimoine recevant, de ce fait, une nouvelle destination dont les amis du Comte profiteraient, toujours dans l’optique hédoniste qui l’habitait.

  Son tempérament ouvert, sa vigueur, qu’il avait héritée de son grand-père paternel, Hugues-Richard-Artimon, il les dédiait aux affaires qu’il traitait, le plus souvent, à la Capitale, rendant visite aux Administrateurs des Chemins de Fer, avec lesquels il signait des contrats plus qu’avantageux, concernant la vente de kilomètres de fûts de chêne, destinés, en tant que traverses, à courir le long des ballasts pour emporter les voyageurs sur les rails de France, d’Europe, et bien au-delà; aussi, contribuait-il, toujours dans son désir d’altruisme, à la joie du voyage et c’était, non sans quelque émotion et quelque fierté, qu’il évoquait les bois qu’il avait élevés, lui et ses ancêtres, à la gloire de la villégiature, et c’était un peu quelques bouts de lui-même qui emportaient l’aristocratie du vieux continent sur les voies menant à Paris, à Rome, à Venise, peut être même à Saint-Pétersbourg ou dans les régions reculées du Caucase.

 

 

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