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28 février 2014 5 28 /02 /février /2014 08:53

 

Honnies soient qui mâles y pensent (3)

 

 

Lors de ses séjours à Paris, le Comte descendait au Grand Hôtel près de l’Opéra, étant ainsi à deux pas de la Gare Saint-Lazare où il rencontrait ses interlocuteurs avec lesquels il traitait de rentables marchés, les de Lamothe-Najac ayant toujours eu, dans leur famille, une tradition d’habiles négociateurs, dont certains prétendaient qu’elle était une des marques distinctives des habitants de la région, dont l’élevage du bois constituait l’armature, en quelque sorte, sinon l’âme et Fénelon de Najac n’avait en rien dérogé à cette règle, l’instituant même sous les auspices d’un certain art de vivre. Or c’était moins l’appât du gain qui conduisait ses négociations que le sentiment de l’appartenance réciproque du bois et des hommes; toute essence végétale étant, pour les solognots, chevillée au corps, à la façon du lierre enserrant de leurs mailles serrées les troncs neigeux des bouleaux. Le Comte fréquentait les restaurants en vue dans les beaux quartiers, visitant parfois un musée dans la journée et, le soir, se faisait invariablement conduire en cabriolet dans les grands théâtres parisiens pour y voir et y écouter, aussi bien de la comédie que de la tragédie et ne détestait pas non plus l’opérette, bien qu’il la trouvât plus légère, mais au moins avait-elle l’avantage de le distraire des bois et des chemins de traverses.

  Ce fut à l’occasion d’un déplacement vers la Comédie Française, que le Comte, assis à l’arrière d’un confortable cabriolet, fit la découverte d’un aspect de Paris qu’il n’avait jamais expérimenté mais dont il avait la connaissance, car Fénelon de Najac, hédoniste et épicurien, n’étant aucunement puritain, ne détestait pas les sorties au cabaret, les chansons à boire, les serveuses au langage déluré et à la gorge en balconnet. Cependant sa curiosité s’était limitée aux cafés à la mode du côté de Montmartre ou de Montparnasse, sans que la curiosité le poussât à franchir la Porte Saint-Martin et à déambuler dans les rues interlopes où évoluaient " Les Mystères de Paris ", évoqués dans le célèbre ouvrage d’Eugène Suë, dont il avait également lu " Le Juif errant ".

  Sur le siège en cuir noir était posé un petit livre relié de cuir rouge, sans doute oublié par le voyageur précédent, dont le titre attira l’attention du Comte : " La Vie Parisienne ". Avant même d’avoir feuilleté l’ouvrage, il en supputa le contenu et, pensant avoir à faire au livret de l’opérette d’Offenbach, devant comporter, à son avis, quelques détails biographiques et des commentaires sur l’œuvre, il commença à tourner quelques pages, s’apercevant bientôt que le recueil en question n’était qu’une sorte de pensum apparemment dédié aux plaisirs faciles et nocturnes proposés par certains quartiers et vantant les mérites de quelques restaurants populaires et autres gargotes. Sur un haussement d’épaule plus fataliste qu’indigné, le Comte laissa choir le petit volume au maroquin rouge sur le siège de la voiture, remonta le col de sa pelisse et s’enquit, auprès du cocher, du temps qui le séparait de La Comédie Française où se jouait " Les Femmes savantes ".

  Au moment où Fénelon de Lamothe, descendu sur le trottoir, s’acquittait de la course auprès du cocher, celui-ci lui remit le maroquin rouge qu’il pensait être le sien et que le Comte fourra au fond de sa poche, projetant de le jeter dans la première poubelle qu’il trouverait. Cependant le hall d’entrée de la Comédie Française ne disposant pas d’un mobilier si commun, pas plus que les couloirs ou les loges, le livre resta dans sa poche, au vestiaire, entre les fourrures des élégantes venues au spectacle. Ce dernier terminé, le Comte regagna son hôtel, prit un bain et se plongea dans son lit douillet, n’ayant pas omis de déposer ses chaussures sur le seuil de sa porte - on les lui cirerait - , avant que de s’endormir. Le livre rouge dormait, lui aussi, au fond de la poche du Comte, attendant seulement que son heure fût venue.

  Et son heure vint, le lendemain, aux alentours de dix huit heures, après une journée bien remplie. Le Comte, souhaitant se changer les idées, repensa au vade-mecum, s’en saisit et se mit à le feuilleter distraitement. Le livre, peu épais, comportait des pages en nombre limité, agrémentées de quelques gravures et de plans de rues. Pensant aux quelques mots de Callimaque, Bibliothécaire d’Alexandrie, dont la citation figurait dans sa Librairie : " Un petit livre vaut mieux qu’un gros parce qu’il contient moins de sottises. "encouragé par les paroles de l’érudit, Fénelon en parcourut rapidement le contenu, y débusquant cependant quelques conseils qui, pour prosaïques qu’ils fussent, ne laissaient pas de l’intriguer.

 

 

 

 

 

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