Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 07:52

 

 

  Us et coutumes du bon Youri Nevidimyj.

 

  Youri, en bon Exilé à la recherche constante de ses racines, fréquentait toujours le même sol dont il espérait que ce dernier lui donnerait accès à ses propres sources, à sa propre énigme, la même que les Autochtones de la Ligne 27 cherchaient avec, il faut bien l'avouer,  une certaine fièvre, et les démangeaisons associées à une passion cannibale. Au hasard de ses trajets compulsionnels, de ses virées dépourvues de but précis, il avait fini par substituer l'impérieuse nécessité d'élire certains espaces à la manière de véritables icônes dont faire l'économie eût été l'équivalent d'un renoncement à soi. Ainsi, certaines haltes s'étaient imposées elles-mêmes avec la tyrannie de la nécessité existentielle. Les fragments épars de son anatomie, répandus depuis les limites de la taïga jusqu'à la mansarde du XIII°, en passant par la case orphelinat, trouvaient un début d'assemblage à défaut de pouvoir s'illustrer sous la figure d'une osmose parfaite.

  Nevidimyj avait conscience que, s'il voulait persister dans la vie, à défaut d'exister vraiment, il devait s'inscrire dans cette perpétuelle recherche de lieux commis à le doter d'un territoire vraisemblable. Le trajet quotidiennement réitéré, les haltes aux mêmes stations, son invagination dans une manière de génie du lieu traçaient les contours de son esquisse probable. Renoncer à cela, à ce pèlerinage en lui-même lui eût été fatal, c'est du moins ce qu'il redoutait avec la plus vive des souffrances qui fût. Toujours préoccupé des rives à atteindre, il faisait l'impasse du courant qui le portait, sur lequel voyageaient de concert ses coreligionnaires puisqu'aussi bien ils poursuivaient le même but : s'y retrouver avec l'obscurité Nevidimyjienne.

 

  Une chronique des lieux.

 

Le Jardin du Luxembourg ou l'esquive des jours.

 

  Bien évidemment on aura compris la difficulté d'attribuer une justification aux actes de Nevidimyj et faire la moindre hypothèse sur le choix de ses haltes sur le trajet du Bus 27 n'aurait été que supputation gratuite.  Youri, quoique habité d'une vive intelligence, n'en fonctionnait pas moins sous l'autorité d'une impulsion parfois incoercible qui le jetait hors de son cocon d'acier avec la vivacité que possède un ressort comprimé à se détendre. Lorsque, après Saint-Jacques, il apercevait les frondaisons s'étalant autour du Sénat, il se levait vivement de son siège, appuyait sur le bouton de demande d'arrêt et se plantait auprès de la porte centrale du bus, manifestant une certaine impatience avant que les soufflets ne s'ouvrissent. Son état d'agitation contrastant avec l'immobilité qui l'avait affecté jusqu'alors ne manquait  d'inquiéter nombre de ses Covoyageurs, certains se trouvant même bien inspirés de descendre à sa suite afin que, le suivant, puisse se lever un coin du voile du mystère Nevidimyj. L'on se souviendra cependant du statut de quasi invisibilité du Russe pour en déduire avec aisance et même un brin de flegme britannique que la filature n'était en rien une partie de tout repos, Youri, de sa démarche zigzagante et imprévisible semant irrésistiblement ses poursuivants au gré des complications urbaines, kiosques à journaux, colonnes Moriss, étals divers, terrasses de cafés, attroupements de chalands face aux vitrines pléthoriques.

  Mais ç'aurait été mal connaître l'entêtement de certains Passagers du 27 que de croire que ces derniers, découragés par la fuite éternelle de leur proie, se fussent réduits à un pur et simple abandon. Non. Le vice était ancré au fin fond de quelque turpitude inavouable ou, à tout le moins, s'inscrivait dans les mailles d'un désir irrépressible. Donc, au milieu des bancs et des chaises métalliques, parmi les allées gravillonnées de blanc, derrière les kiosques peints en vert, au travers des ilots de marronniers, dans la perspective des vasques et des balustres de pierre le jeu se poursuivait que Nevidimyj percevait sans même qu'il lui fût nécessaire de se retourner. C'était comme de sentir la brise sur une partie dénudée du corps ou d'anticiper  la perception de l'écho alors qu'on vient de lancer sa voix à l'assaut d'un cirque de montagnes. Toujours le Fuyard glissait entre les doigts de ses poursuivants. Toujours ces derniers ressentaient cet échec avec un sentiment d'humiliation dont, au fond d'eux-mêmes, ils faisaient le serment de se venger. Il n'était pas rare que le Bolchevik - car c'est sous ce type d'attribut révolutionnaire que Youri s'illustrait en ces occasions -, disparût derrière le piédestal de Baudelaire, s'abritât dans l'ombre de la stèle de Stefan Zweig, s'ingéniât à se confondre avec le buste de Flaubert ou bien cherchât refuge auprès de Léda et le Cygne derrière le grand fronton de la Fontaine Médicis.

  Les jours de malchance, au cours desquels il ne parvenait que de justesse à rejoindre sa figure d'invisibilité, il s'esquivait volontiers grâce à l'usage d'un ingénieux stratagème, se cachant au plein jour, si l'on peut dire, parmi les Adeptes du Tai-chi-chuan, se coulant dans leurs postures élégantes, cette esthétique flattant de surcroît ses nobles origines, dont, pour rien au monde, il n'eût voulu se départir. Malgré la hargne de ses ennemis à vouloir fendre l'armure, il parvint toujours à leur échapper assurant ainsi au secret dont lui même ne possédait nullement la clé, sa charge de mystère. Et il se sentait d'autant plus aise de vivre dans ce relatif inconfort, dans cette ambiguïté permanente, que cette dernière était la condition même de son obstination à vivre parmi la touffeur des incertitudes. Il lui fallait côtoyer quotidiennement l'abîme, marcher sur ce fil étroit de funambule afin que ses jours pussent se colorer des teintes du projet à entretenir, sa flamme fût-elle vacillante comme la faible lumière des feux follets. Mais rien ne servirait de prolonger plus avant les assauts dont Nevidimyj parvint toujours à déjouer les pièges mortels. Il convient, à présent, de poser les fondations topologiques de sa prétention à exister parmi les Vivants.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher